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Emploi 2024 : un « retour à la normale »… sauf pour les ESN (étude)
Dans son baromètre du mois de janvier 2024 consacré aux tensions au recrutement, KYU Associés évoque un « retour à la normale » au cours de l’année 2023. Ce n’est pas le cas du conseil IT et de la programmation, marché sur lequel les tensions vont encore s’accroître au début de l’année.
À partir des données de Pôle Emploi, KYU a comparé le volume d’offres publiées entre le premier semestre 2022 et 2023 pour alimenter son modèle de prédiction maison. En moyenne, le nombre d’offres d’emploi sur les 20 secteurs qui recrutent le plus a chuté entre le S1 2022 et le S1 2023, et cet indicateur risque de baisser encore de deux points de pourcentage au premier semestre 2024.
Un « retour à la normale »
« Notre analyse des offres d’emploi nous permet d’identifier une tendance stagnante, voire baissière, des intentions de recrutement pour l’année 2024 », indique Lyne Chahed, consultante politiques publiques chez KYU Associés. Le marché de l’emploi retrouve les dynamiques qu’il arborait avant la survenue de la COVID.
Lyne ChahedConsultante politiques publiques, KYU Associés
Toutefois, trois secteurs se distinguent. Le premier en volume d’offres n’est autre que le commerce de détail (+ 1 point de %), le deuxième correspond aux « activités pour la santé humaine » (+2 points de %) et le troisième s’avère, sans véritable surprise, être « la programmation, le conseil et autres activités informatiques » (+2 points de %). Plus précisément, entre le premier semestre 2022 et la même période en 2023, le nombre d’offres d’emploi du secteur du conseil et de la programmation IT a augmenté de 18 %. Entre le S1 2023 et le S1 2024, KYU table sur une croissance de 20 % du nombre d’offres.
En 2023, les ESN, dont Sopra Steria (3 100 postes ouverts en France en CDI), Capgemini (9 000 embauches en CDI prévues sur le territoire) ou CGI France (plus de 600 postes à pourvoir actuellement) ont affiché des ambitions importantes en matière de recrutement.
Bien qu’en forte tension, le commerce de détail et les activités pour la santé humaine peinent à attirer les recrues.
Malgré son dynamisme, le commerce de détail est réputé pour ses conditions de travail contraignantes, la non-durabilité de l’emploi et son recours massif au temps partiel, ce qui explique la forte intensité de l’embauche.
Le secteur des activités pour la santé humaine qui fait face à l’enjeu majeur du vieillissement de la population, et à « un contexte de crise généralisée (crise de l’hôpital public, déserts médicaux) » peine à recruter, non seulement parce que le taux de chômage est faible, et que les métiers sont exposés à des conditions difficiles (temps de travail, risques psychosociaux), mais également parce qu’il y a un manque de main-d’œuvre formée et qualifiée.
Le conseil IT et la programmation, figure d’exception
Sur ce dernier point, il existe des similarités avec le marché des activités de programmation et de conseil en informatique. Selon KYU, il est « historiquement marqué par de fortes tensions au recrutement, expliquées par un manque de main-d’œuvre disponible, et le lien entre l’emploi et la formation ».
Pour autant, ce secteur porté par les ESN, en bonne santé financière, « présente une situation très favorable en termes de qualité d’emploi ».
« Le revenu salarial annuel des métiers du secteur se situe au-dessus de la moyenne des salariés. Par exemple, nous sommes à 47 000 euros de salaire brut moyen pour un développeur Java », relate Lyne Chahed.
Cette plus grande aisance est aussi visible à travers les statuts des salariés. Au global, le secteur des activités informatiques et des télécommunications est une machine à produire des cadres, selon une étude de l’APEC, diffusée à la fin du mois d’octobre 2023. D’après les données traitées par l’association, le secteur IT et télécoms affiche un taux d’encadrement de 66 %, contre 21 % pour l’ensemble des secteurs. Toutefois, 56 % des embauches en 2022 concernaient des cadres de moins de cinq ans d’expérience.
Le développeur Java toujours très recherché par les ESN
Selon KYU Associés, les dix intitulés de poste les plus recherchés à la fin de l’année 2023 sont – dans l’ordre – développeur Java, ingénieur logiciel, chef de projet, chef de projet informatique, consultant, ingénieur en cybersécurité, ingénieur commercial, lead développer, ingénieur devOps et Full Stack Developer.
Dans ce classement, il est bon de noter de menues évolutions. Si ce sont des « usual suspects », il semble que la demande en consultant ait baissé en 2023 par rapport à la même période en 2022. De même, le développeur PHP n’est plus répertorié dans ce top 10, contrairement au Full Stack Developer, qui y fait son apparition.
Dans son rapport publié en novembre 2023 sur les données de 2022, la DARES (Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques) indique que la catégorie « ingénieurs et cadres d’étude, R&D en informatique, chefs de projets informatiques » est sixième de son top 30 des métiers les plus en tension, et ce, malgré une baisse du nombre d’offres entre 2021 et 2022.
Une fois encore, KYU observe « une forte concentration des offres en Île-de-France (37 % du total des annonces) et dans une moindre mesure en Auvergne-Rhône-Alpes (15 %) », dixit Lyne Chahed.
Cette année, le cabinet ne fait pas état de la croissance des offres en région. La répartition des offres serait similaire à l’année dernière. En revanche, du fait de la généralisation du télétravail – conséquence durable de la crise de la COVID –, l’inadéquation géographique des employés du secteur du conseil et de l’intégration IT n’est plus réellement une difficulté, note la consultante.
Le volume d’employés de ce secteur du conseil et de la programmation reste encore faible en comparaison du commerce de détail (1 600 000 salariés en 2022) et des activités pour la santé humaine (1 800 000 salariés), selon le bilan de l’Acoss dressé en 2023 sur l’année 2022. Le nombre de salariés référencés par la Caisse National des Urssaf est passé de 443 200 en 2021 à un peu moins de 445 000 en 2022. Le secteur accumule toujours trois quarts des embauches du secteur informatique et télécommunication.
Des données ouvertes à actualiser plus fréquemment
Est-ce révélateur des statistiques du secteur en 2023 ? Comme le prouvent les chiffres cités ci-dessus, le travail de KYU dépend fortement des données émises par Pôle Emploi-France Travail, la DARES, France Stratégie et de l’Acoss. Même si les offres d’emploi agrégées à l’aide de TextKernel permettent de se projeter sur l’année en cours, Audrey Ferrera, manager chez KYU Associés, indique que le cabinet doit souvent traiter des données vieilles de deux ans, elles-mêmes diffusées l’année dernière. Certaines analyses, par exemple le niveau d’adéquation des formations proposées par les établissements agréés avec les fiches de poste, demeurent difficiles à dresser, mentionne la manager.
Les équipes de KYU Associés pointent là le même travers souligné par les rapports de l’Union européenne et de l’OCDE concernant la politique d’ouverture de données de la France. Si l’open data est une réalité dans les administrations, la fraîcheur et la qualité des données sont à améliorer.
Quid des autres métiers censés émerger avec l’adoption de l’intelligence artificielle ?
Pour Audrey Ferreira, il reste difficile de mesurer l’évolution des rôles recherchés. « Nous effectuons une analyse sémantique des offres d’emploi publiées sur le site Web de Pôle Emploi et celles agrégées par notre partenaire TextKernel », explique-t-elle. « Notre moteur ne contient pas tous les intitulés de poste. D’un employeur à l’autre, deux intitulés identiques peuvent ne pas correspondre à la même fonction ».