Ordinateur quantique : IBM reste en tête avec deux nouveaux prototypes
Le constructeur a levé le voile sur les processeurs QPU Condor et Heron, qui ne sont pas plus performants que leurs prédécesseurs, mais plus fiables. Reste à savoir comment les programmer.
IBM a dévoilé en début de semaine ses unités de traitement quantique (QPU), Condor et Heron. Il respecte ainsi sa propre feuille de route et, selon la plupart des observateurs, se maintient ainsi en tête dans la course à l’informatique quantique.
Le QPU Condor, avec ses 1121 qubits utiles est, à égalité avec son prédécesseur Osprey (433 qubits utiles), le prototype le plus rapide au monde. Son progrès est d’être plus compact que son prédécesseur. Toute proportion gardée : les prototypes d’IBM étant basés sur des systèmes de cuves cryogéniques, Condor a l’avantage de n’utiliser qu’une seule cuve et à peine plus d’un kilomètre de câblage enroulé dans la cuve pour communiquer avec l’extérieur.
Heron est plus petit, avec 133 qubits utiles, mais peut se combiner avec d’autres QPU. Un nouvel ordinateur quantique utilisant trois Heron, appelé Quantum System Two, est opérationnel dans le laboratoire d’IBM à New York. Il mesure 2,5 mètres de diamètre sur 2,5 mètres de haut. Heron n’a pas beaucoup plus de qubits utiles que son prédécesseur (Eagle, 127 qubits). Mais les siens seraient 3 à 5 fois plus fiables – comprendre plus résistants aux énergies parasites qui ont cours à l’échelle subatomique.
Les 1121 qubits du QPU Condor ne sont pas plus fiables que les 433 du QPU Osprey. Mais leur plus grand nombre est censé servir à éponger les particules perdues accidentellement au cours de l’exécution d’un algorithme. Pour le dire autrement, Condor devrait atteindre en pratique plus souvent les performances qu’Osprey est censé atteindre, lui, en théorie.
La problématique est moins le nombre de qubits que leur fragilité
La quantité de qubits utiles ne correspond pas à une puissance de calcul, mais plutôt à une capacité maximale pour faire tenir des algorithmes. Au cours de leur exécution, les algorithmes gèlent progressivement les qubits dans un certain état, ce qui les empêche de resservir ensuite pour exécuter de nouvelles opérations quantiques.
L’enjeu de la recherche sur l’informatique quantique est de fait double. D’une part, les concepteurs d’ordinateurs quantiques s’efforcent d’assembler toujours plus de qubits fiables pour exécuter des algorithmes. D’autre part, les concepteurs de programmes quantiques doivent trouver les algorithmes qui rentabilisent au mieux le peu de qubits à disposition. Sachant que des principes physiques qu’on ne maîtrise pas encore s’appliquent : une opération peut déclencher une série d’interactions subatomiques qui vont geler des particules dans un état aléatoire avant même que l’on s’en soit servi.
Ainsi, IBM a pris l’habitude d’attribuer après coup à chacun de ses prototypes d’ordinateurs quantiques un score d’efficacité : le volume quantique. Il indique quelle quantité de qubits une machine peut en moyenne réellement offrir aux algorithmes. Ce volume quantique est systématiquement très inférieur au nombre de qubits utiles annoncé lors du lancement d’un nouveau prototype.
Une course technologique
De fait, ces prototypes d’ordinateurs quantiques ne permettent pour l’heure que d’exécuter des algorithmes excessivement courts avec très peu de données. Malgré la croissance de qubits utiles dans le QPU Condor et le Quantum System Two, un ordinateur classique peut toujours venir à bout du travail qu’ils font en quelques fractions de seconde.
Il n’empêche. La manière de travailler des systèmes quantiques – trouver directement, parmi un ensemble de possibilités, quelle solution se combine le mieux à un problème – promet une accélération phénoménale dans les traitements complexes.
« Nous assistons à une course. La Chine, IBM, Google, Microsoft, Honeywell veulent chacun être le premier à créer un ordinateur quantique opérationnel et efficace. Le pays, ou l’entreprise, qui y parviendra dominera l’économie mondiale », estime Michio Kaku, professeur de physique théorique au City College de New York, en marge de l’annonce d’IBM.
La plupart des prototypes d’ordinateurs quantiques fonctionnent dans les laboratoires de leurs concepteurs ou sont hébergés dans les centres universitaires. La clinique de Cleveland, aux USA, est pour l’heure la seule entreprise privée qui ait installé un prototype d’IBM dans ses locaux, avec l’idée d’apprendre à en maîtriser le principe pour, à terme, accélérer ses recherches sur le cancer.
« Les entreprises à la recherche d’un avantage en matière d’innovation, et qui voient dans les projets d’informatique quantique un énorme potentiel d’accélération pour leurs activités, pourraient vouloir s’équiper dès aujourd’hui de prototypes comme ceux qu’IBM met au point. Mais ce serait mettre la charrue avant les bœufs. Il faut auparavant développer les capacités de base nécessaires à la création d’applications quantiques qui, elles seules, pourraient rentabiliser l’investissement », estime Chirag Dekate, analyste chez Gartner.
L’enjeu : trouver le meilleur moyen de les programmer
« Il faut comprendre que les ordinateurs quantiques ont vocation à résoudre des problèmes que nous ne pouvons même pas exprimer dans la sémantique de l’informatique classique », dit Chirag Dekate, en expliquant qu’il ne s’agit pas d’apprendre un nouveau langage de programmation, mais de trouver une nouvelle façon de concevoir des programmes.
Selon lui, quelque 300 des plus grandes entreprises du monde, dont Boeing, BMW et Goldman Sachs, investissent à l’heure actuelle dans des plans de déploiement d’un ordinateur quantique. Ces entreprises n’utiliseront probablement pas d’ordinateurs quantiques avant plusieurs années. En revanche, elles évaluent les traitements et les processus – analyse commerciale, conception industrielle, etc. - que l’ordinateur quantique pourra optimiser. Lorsqu’il fonctionnera à l’échelle des problématiques qu’on lui soumettra.
Chirag Dekate fait par ailleurs remarquer que les ordinateurs quantiques ne sont absolument pas adaptés à l’utilisation de l’IA générative. En revanche, l’IA générative peut être utilisée pour écrire le code d’applications quantiques. Reste à savoir si les ordinateurs quantiques pourraient exceller dans le Machine learning. En théorie, cela devrait être le cas.
« Cela dit, il est peu probable que les systèmes quantiques remplacent les ordinateurs d’aujourd’hui. A priori, ils fonctionneront plutôt à côté, pour accélérer uniquement certaines fonctions », ajoute Chirag Dekate.