Sonatus veut orchestrer les voitures comme l’on gère des ressources réseau
Alors que les constructeurs automobiles doivent s’adapter pour électrifier et moderniser leurs modèles, Sonatus entend simplifier l’importation des technologies IT – du stockage au réseau, en passant par les conteneurs – dans les véhicules.
Dans le monde de l’automobile, un concept se répand plus rapidement qu’une flaque d’huile. Il anime tous les constructeurs et leurs partenaires. Celui-ci est intrinsèquement lié à la modernisation et l’électrification des véhicules. Il s’agit du Software-Defined Vehicle.
« L’appellation Software-Defined Vehicle (SDV) désigne la possibilité de faire évoluer une voiture tout au long de sa durée de vie, grâce à une architecture centralisée, en la mettant à jour et en intégrant de nouvelles applications pour améliorer ses fonctions » définit le groupe Renault, dans un communiqué.
Cette approche SDV a été popularisée par Tesla et sa capacité à mettre régulièrement à jour ces différents modèles pour en améliorer les fonctionnalités de sécurité et les applications d’infodivertissement (infotainment, en anglais). Certaines des fonctionnalités additionnelles peuvent faire l’objet d’une monétisation, sous la forme d’une transaction unique ou d’un abonnement. Une aubaine pour les constructeurs.
Gen LiResponsable des activités techniques avant-vente EMEA, Sonatus
Il y a pourtant plusieurs visions du SDV. « Tout le monde utilise le terme, mais chacun a une compréhension différente du Software-Defined Vehicle », affirme Gen Li, responsable des activités techniques avant-vente EMEA. « Pour Sonatus, il faut pouvoir enrichir les fonctions du véhicule au cours de son cycle de vie, mais le faire de manière allégée et moins chère ».
L’ingénieur avant-vente ne pose pas simplement une posture commerciale. Il a rejoint Sonatus en 2022 après onze ans de carrière dans le développement de logiciels embarqués et d’architecture de système de gestion de batteries.
Du réseau à la voiture connectée
Fondée en 2018 par Jeffrey Chou, PDG, et Yu Fang, CTO, Sonatus est une startup américaine établie à Sunnyvale, en Californie. Elle est implantée aux États-Unis (Sunnyvale, Detroit), en Europe (Paris, Dublin, Milan) et en Asie (Shanghai, Taipei, Séoul, Tokyo). Elle a levé environ 110 millions de dollars, dont 75 millions lors de sa série A en décembre 2022, selon Crunchbase.
Son principal client ? Le consortium coréen Hyundai Motor Group et ses marques Hyundai, Kia et Genesis. « On parle de plusieurs millions de véhicules sur la route d’ici l’année prochaine et nous sommes en production depuis 2020 », informe Karine Paulini, directrice du développement pour Sonatus en Europe.
« Ce que fait Sonatus est très différent de mon expérience passée. Nous utilisons beaucoup de technologies qui viennent du domaine IT et des datacenters », avance Gen Li.
Cela s’explique en partie par le passé des fondateurs. Jeffrey Chou et Yu Fang ont fondé ensemble plusieurs sociétés revendues à McData Corp, Brocade Communications (Brocade a racheté McData avant de tomber dans le giron de Broadcom) et à Cisco. Celles-ci étaient spécialisées dans le développement de réseaux SAN et FAN (File Area Network), et dans la conception de technologie de mémoire pour switch et routeurs.
Karine PauliniDirectrice Europe développement, Sonatus
« Le concept du Software-Defined n’est pas nouveau. Il remonte à environ 15 ans dans l’IT. Par exemple, Cisco (pour qui j’ai travaillé) a été un acteur important dans l’émergence du Software-Defined Networking », déclare Karine Paulini. « Finalement, c’est la capacité de gérer par le software des fonctionnalités qui étaient auparavant dépendantes du hardware. Cela peut s’appliquer à tous types de véhicules ».
Compléter les mises à jour OTA par la gestion de configuration
À la différence de Tesla ou d’autres constructeurs qui exécutent principalement des mises à jour « Over the Air », Sonatus propose aussi avec sa plateforme une « manière légère de configurer le véhicule », dixit Gen Li.
« Lors d’une mise à jour OTA, vous devez immobiliser la voiture pendant près d’une heure. La durée de ce processus dépend énormément de la qualité du réseau et de l’endroit où se trouve le véhicule », renseigne l’ingénieur avant-vente. Ce processus peut être plus long. Dans sa documentation, Tesla remarque que « certaines mises à jour logicielles peuvent durer trois heures » sur les Model 3 et Model Y.
Si cela est « moins problématique pour un véhicule électrifié », ces mises à jour peuvent impacter fortement le fonctionnement des batteries des voitures thermiques ou hybrides. Or, les fabricants qui n’ont pas terminé leur transition vers l’électrique auront le droit de commercialiser leurs modèles essence ou diesel jusqu’en 2035. D’où l’intérêt, selon Sonatus, de pousser des configurations qui n’interrompent pas le fonctionnement du véhicule et qui sont peu consommatrices en énergie et en bande passante.
« Ces mises à jour Over the Air sont importantes pour maintenir les firmwares en condition opérationnelle, mais l’on peut aussi délivrer des fonctionnalités en complément. Avec la gestion de configuration, la différence fondamentale, c’est que l’on ne touche pas au code », défend Karine Paulini.
Quatre produits pour les fabricants et leurs partenaires
Pour ce faire, la plateforme de Sonatus comprend quatre produits. Il y a d’abord Sonatus Foundation. C’est l’architecture qui se déploie par-dessus une distribution de Linux et les systèmes de bas niveau comme Autosar ou SOAFFEE. C’est aussi le nom du control plane à déployer sur GCP, Azure ou AWS. Celui-ci sert à gérer et à configurer le réseau Ethernet dans la voiture, la passerelle de conversion CAN/Ethernet, la communication avec le cloud et les diagnostics.
« Notre offre inclut à chaque fois des composants logiciels qui s’exécutent dans le véhicule, sur les ECU, sur les Gateway, etc. Et un composant dans le cloud qui va permettre de gérer, superviser le logiciel dans la voiture », résume Karine Paulini. « Nous sommes partenaires avec les trois géants du cloud, mais cet orchestrateur peut aussi s’installer dans les data centers du client ». Cela permet de gérer des logs, de disposer d’un moyen de partager le stockage par le réseau, d’analyser les logs et de contrôler le système de freinage Dynamic DBC quand le véhicule en est équipé.
À cela s’ajoutent des fonctions de détection des intrusions sur les réseaux Ethernet et CAN, ainsi que des agents pour superviser la sécurité des ECU, les calculateurs répartis dans l’ensemble d’un véhicule. « Dans une voiture récente, il y a en moyenne 80 à 100 calculateurs », renseigne Karine Paulini.
Foundation inclut également des moyens de gérer des conteneurs et une architecture SOA.
Le tout permet, entre autres, d’optimiser la prédiction de déchargement d’un véhicule électrique ou hybride. En sortie d’usine, il est possible que le constructeur n’ait pas pris en compte un critère qui affecte le rendement de la batterie. Foundation permet d’intégrer d’autres critères – et donc des signaux supplémentaires issus du réseau CAN – dans un service raccordé à la passerelle associée.
Par-dessus cette fondation, le second produit, Sonatus Collector, doit simplifier la collecte de données et la gestion des configurations. Collector permet de récupérer les images et vidéos, les codes de diagnostics, les signaux Ethernet et CAN, et les logs.
« Collector est un produit reconfigurable de manière dynamique. Il permet par exemple de lancer des diagnostics à distance lorsqu’un conducteur découvre un problème de freinage ou autre », affirme Karine Paulini. « Il est possible de réaliser des collectes de données sur un seul véhicule ou toute une flotte pendant quelques jours afin d’établir un rapport et effectuer des modifications logicielles si possible ».
Cette collecte peut être configurée sur une période spécifique et les données seront remontées dans le cloud en passant par une connexion 3G/4G/5G. Le constructeur a aussi le choix de stocker localement les signaux et les logs avant de les transférer quand le véhicule est connecté à une borne WiFi.
Le troisième produit, Sonatus Guard, inclut des fonctions de gestion des menaces, ce que l’industrie automobile appelle un VSOC. L’outil détecte les attaques comme les intrusions réseau ainsi que les ransomwares connus. Selon le même principe, l’on applique des seuils d’alertes ou des règles pour bloquer le trafic malveillant.
Automator, où la méthode IFTTT appliquée à l’automobile
Le dernier ajout et quatrième produit en date de la plateforme n’est autre que Sonatus Automator pour appliquer et orchestrer des « recettes » d’automatisation. La startup veut en faire son fer de lance. Ce module entrera en production dès 2024.
La concoction de ces recettes passe par une interface utilisateur qui reproduit des fonctions IFTTT (If Then, Then That) permettant d’élaborer des suites de conditions. En résultent des fichiers JSON de quelques kilooctets qui, une fois poussés vers les véhicules, permettent d’orchestrer les déclenchements des capteurs embarqués. Ils sont transmis aux véhicules à travers les réseaux cellulaires 3G/4G/5G.
Les possibilités sont nombreuses. Par exemple, en sus d’enclencher les essuie-glaces quand un capteur sur le pare-brise détecte une averse, le système peut contrôler la fermeture des fenêtres. Si un OEM ou un constructeur lui donne l’accès, un gérant de flottes automobiles sera en mesure de piloter le verrouillage des véhicules, vérifier la charge, le niveau de plein, ou toute autre opération nécessaire dans son activité.
Un tel système peut également inclure la voiture dans un écosystème domotique ou de smart city. Pour ce faire, Automator s’intègre aux API tierces ; ces workflows qu’un constructeur automobile peut monétiser en tant que services additionnels.
Par ailleurs, Automator sert aussi en amont de la fabrication, pour tester des fonctionnalités, et en aval pour automatiser les tests des véhicules en sortie de ligne de production. « Avant la production, par exemple, l’on peut effectuer des tests de système de climatisation avec Automator et collecter les données avec Collector », illustre Karine Paulini.
Gen LiResponsable des activités techniques avant-vente EMEA, Sonatus
« Chez Sonatus, le Software Defined Vehicle s’appuie sur une boucle d’observation, d’analyse et de réaction. Cela permet d’améliorer le véhicule en continu », affirme Gen Li.
De manière plus générale, Sonatus se dit prêt à prendre en charge le paradigme que les fabricants automobiles déploient actuellement. « Les constructeurs sont en train de mettre en place ce que le marché appelle des architectures zonales », relate la directrice du développement commercial. « Ils souhaitent réduire le nombre d’ECU [Engine control unit] pour réaliser des économies et consolider ces calculateurs sur des contrôleurs de zone qui vont être connectés à une gateway centrale », ajoute-t-elle.
Pour ce faire, Sonatus entretient des partenariats avec ARM, Broadcom, Marvell, Micron, NXP, R-Car, SK hynix et STMicroelectronics. Côté cloud native, la startup s’est entourée de Google Cloud, AWS, Microsoft Azure et Elastic. « Nous travaillons avec les constructeurs en direct, mais c’est souvent une collaboration à trois pour intégrer nos logiciels dans les équipements de fournisseurs de rang 1 ou de rang 2 », indique Karine Paulini.
Le SDV intéresse les fabricants, mais également les Tier 1 qui sont mis au défi de faire évoluer leurs solutions. « Ils sont très demandeurs de partenaires qui conçoivent des solutions logicielles », assure la directrice du développement commercial. Sonatus se montre toutefois prudent et ne préfère pas révéler le nom de ses clients et prospects européens, tout comme il garde confidentielle la portée de son partenariat avec Hyundai Motor Group.