Fork de Terraform : OpenTF met sa menace à exécution
Ce groupe, dirigé par des éditeurs, souhaite donner à une fondation, idéalement la Fondation Linux et plus particulièrement à la CNCF, un fork dérivé de la dernière version open source de l’outil d’infrastructure as code.
Le changement de modèle commercial d’Hashicorp annoncé le 10 août ne passe vraiment pas. Celui qui a généralisé le passage d’une licence open source MPL 2.0 (Mozilla Public License 2.0) au modèle ouvert, mais propriétaire BSL (Business Source License), s’est attiré les foudres d’un groupe d’éditeurs dont les offres reposent sur l’outil d’Infrastructure as Code Terraform.
Des acteurs comme Scalr, Spacelift, Gruntwork ou Env0 ont participé au lancement d’OpenTF, donnant lieu à la publication d’un manifeste.
Bien que les responsables d’HashiCorp n’aient nommé aucune entreprise dans le billet de blog sur le changement de licence, ils ont fait allusion à des concurrents d’HashiCorp qui avaient pris du code open source pour vendre des produits, mais qui n’avaient pas contribué en retour. En réponse, les membres de l’OpenTF ont indiqué qu’ils avaient tenté de contribuer à HashiCorp Terraform, mais que leurs pull requests ont été ignorées ou rejetées, en particulier après que l’entreprise a réorganisé son processus d’évaluation des contributions en 2021.
L’intention des créateurs d’OpenTF était claire : soit Hashicorp rétablissait la licence open source de Terraform, soit ils lanceraient un fork du projet. Selon l’annonce publiée le 25 août, les responsables de la fronde contre l’éditeur ont rapidement perdu espoir.
Les signataires – plus de 100 entreprises, 10 responsables de projets open source et 400 individus – se sont engagés à donner de leur temps pour mettre cette menace à exécution si Hashicorp ne répondait pas favorablement à leur demande. Sur GitHub, la page du projet OpenTF a récolté – à ce jour – plus de 4 300 étoiles.
Si l’éditeur a mis à jour sa FAQ pour éclaircir les points d’ombre signalés par certains utilisateurs, il n’a pas répondu à l’ultimatum d’OpenTF. Dont acte.
OpenTF détaille ses intentions et aligne les troupes
OpenTF lancera officiellement un fork de Terraform d’ici à une à deux semaines, comme l’indique la publication effectuée sur le site homonyme en date du 25 août.
Qui plus est, les membres de l’OpenTF entendent se rapprocher de la Linux Foundation.
« Nous avons rempli tous les documents nécessaires pour qu’OpenTF fasse partie de la Linux Foundation, avec comme objectif final qu’OpenTF devienne membre de la Cloud Native Computing Foundation (CNCF) », peut-on lire dans le message. « En confiant la responsabilité du projet à une fondation, nous nous assurerons que l’outil reste véritablement open source et indépendant des éditeurs ».
Quatre entreprises ont promis l’équivalent de 14 ingénieurs à temps plein (ETP) pour le projet et ce nombre devrait doubler dans les semaines à venir, selon le billet publié sur OpenTF.org.
« Pour vous donner une idée, Terraform a été maintenu par environ 5 ETP de HashiCorp au cours des deux dernières années », selon l’article. « Si vous ne nous croyez pas, regardez leur référentiel ».
HashiCorp n’a pas divulgué ce chiffre précis, mais a cité des problèmes de personnel comme cause des retards dans les révisions des contributions à Terraform en 2021.
La Cloud Native Computing Foundation (CNCF) est ouverte à une contribution potentielle de la fourche Terraform, selon un message publié le 26 août sur le forum Hacker News par son directeur technique Chris Aniszczyk.
« C’est génial de voir à quel point cette communauté est enthousiaste ! » écrit Chris Aniszczyk. « Nous, à la [Fondation Linux], sommes ravis de travailler avec la communauté élargie pour la placer sous une gouvernance neutre, à l’instar de nos nombreuses autres fondations/projets. Du côté de la CNCF, nous accueillerons volontiers une demande via les processus officiels lorsqu’ils seront un peu plus avancés dans l’établissement de leur gouvernance initiale ».
Un message que le CTO de la CNCF n’a pas réitéré sur X (ex-Twitter) ou sur LinkedIn, au moment de publier cet article.
Le Fork de Terraform suscite des réactions mitigées
Certains spectateurs de l’affaire des licences de HashiCorp Terraform ont applaudi la décision prise par l’OpenTF vendredi dernier, espérant qu’elle servirait d’avertissement aux autres fournisseurs, quant aux conséquences du remplacement des licences open source par des licences propriétaires.
« Je suis un fervent défenseur de l’open source et je suis ravi d’apprendre qu’un composant aussi crucial dans le domaine de l’infrastructure continuera d’exister en tant que tel », affirme Anders Eknert, developer advocate chez Styra, qui soutient commercialement le projet Open Policy Agent (OPA, à prononcer Oh-Pa) contribué à la CNCF.
« Espérons que le fork sera suffisamment réussi pour envoyer un signal clair aux autres entreprises qui pensent que passer d’une licence open source à une licence propriétaire est une option lucrative », ajoute Anders Eknert, qui a souligné qu’il parlait en son nom propre en tant que partisan et contributeur individuel de l’open source, et non pas au nom de son employeur.
Précédemment, auprès du MagIT, Armon Dagdar, CTO et cofondateur d’HashiCorp, avait douté de la viabilité du projet open source OPA, considérant que le soutien de « grands sponsors » comptait davantage que le positionnement du projet sous l’ombrelle d’une fondation.
D’autres observateurs de l’industrie sont restés sceptiques quant à l’effort de l’OpenTF.
« Jusqu’à présent, il ne s’est rien passé », déclare Rick Rackow, ingénieur SRE chez Tomtom, un éditeur de logiciels de géolocalisation. « Vous savez comment on dit : “je ne crois que ce que je vois”. Jusqu’à présent, je n’ai rien vu d’autre qu’un manifeste et une annonce. Ils n’ont pas rejoint une fondation, ils n’ont pas créé la leur ».
« Créer un fork est une chose », ajoute Rick Rackow. « Le maintenir en vie – et dans le meilleur des cas, créer une communauté florissante autour d’elle qui, à un moment donné, devient une entité indépendante – en est une autre », juge-t-il.
« Une décision audacieuse », estime pour sa part Sebastian Gebski, principal solutions architect chez AWS dans un commentaire laconique publié sur LinkedIn. « Ce ne sera pas facile. Bonne chance ».
Sur la même plateforme sociale, Liz Fong-Jones, Field CTO chez Honeycomb.io, l’éditeur d’une plateforme d’observabilité, estime que la décision de Hashicorp est justifiée, étant donné que l’éditeur a contribué « à l’écrasante majorité du code de Terraform et qu’il n’abuse pas des accords de licence de contribution (CLA) ».
Dans un même temps, « il est naturel et logique pour les concurrents [d’HashiCorp] de forker le logiciel, mais de manière réaliste le chemin de la moindre friction pour les clients – qui paient également les personnes œuvrant à la conception de providers et sur l’infrastructure de base – sera de payer Terraform Cloud », considère-t-elle.
« Pour tous les autres, mon interprétation [de la FAQ d’HashiCorp], c’est qu’il semble possible pour un usager de déployer un planificateur/exécuteur open source et d’héberger par ses propres moyens les binaires Terraform sous licence BSL (ou open source OpenTF), en transférant les fichiers d’états sur S3 ou autre », poursuit-elle.
« La seule restriction concerne l’offre d’un service payant à d’autres personnes, mais la publication du code OSS d’un runner qui l’intègre pour que les gens l’hébergent eux-mêmes semble être acceptable selon la FAQ ».
La foire aux questions d’HashiCorp mentionne en effet qu’un responsable d’un projet qui utiliserait les binaires Terraform sous licence BSL sans fournir un service payant et dont le projet serait exploité par un fournisseur ne devrait pas être inquiété en cas d’action prise par HashiCorp contre ledit fournisseur.
Le soutien des fournisseurs cloud, une question de vie ou de mort ?
Personnellement, Liz Fong-Jones n’a rien à redire contre la décision de l’éditeur.
« J’ai déjà critiqué la tarification de Terraform Enterprise par le passé, mais je ne suis pas opposée à continuer à payer HashiCorp pour la valeur qu’ils m’apportent à moi et à mon organisation, même s’il s’agit d’un produit propriétaire ».
Elle juge également que les « concurrents d’HashiCorp sont devenus trop gourmands en exploitant la poule aux œufs d’or ».
« Je pense qu’ils n’ont pas pleinement apprécié ce à quoi ils s’engageaient en essayant de forker la dernière version MPL des providers et du code de base [de Terraform]. Les coûts de coordination sont importants lorsqu’il s’agit de faire travailler ensemble les contributeurs de plusieurs organisations […] et le rythme des changements d’API et de nouvelles offres des fournisseurs de cloud est tout simplement phénoménal ».
De manière générale, les commentaires consultés par LeMagIT sur LinkedIn démontrent l’attention apportée par la communauté des utilisateurs de Terraform au projet d’OpenTF. Certains d’entre eux attendent désormais de voir si cette version open source de l’outil d’IaC restera compatible avec le code de base fourni par HashiCorp et les providers. D’autres attendent la réaction des fournisseurs de cloud, qui pourraient favoriser l’essor ou sonner le glas du fork de Terraform.
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