Processeurs : les USA stagnent alors que l’Europe multiplie les usines
Alors que le Chips Act américain est au point mort, l’Allemagne voit débarquer sur son sol une nouvelle usine de TSMC et une usine Intel finalement deux fois plus importante que prévu.
Remous dans le monde des puces. Un an après le vote par le gouvernement américain du Chips Act, les industriels des semiconducteurs n’ont toujours pas touché un cent des 52,7 milliards de dollars promis. Le Taiwanais TSMC, principal concerné, ne remet pas en cause l’implantation pour 12 milliards de dollars d’une usine en Arizona, mais il a annoncé cet été que ce projet serait repoussé à 2025 et, surtout, qu’il installerait finalement une usine en Europe, pour un coût néanmoins deux fois moindre.
Plus précisément, cette usine sera construite en Allemagne de l’Est, près de Dresde, dans une région qui prend petit à petit le surnom de Silicon Saxony et devrait devenir d’ici peu le fer de lance de la fabrication des semiconducteurs dans l’UE. Fin juin, l’Américain Intel, numéro 2 des usines de processeurs derrière TSMC, annonçait muscler ses investissements dans la même région : ce ne sont plus 17 milliards d’euros, mais 30 milliards qu’il compte y dépenser pour bâtir sa nouvelle usine européenne. Infineon et GlobalFoundries sont également installés près de Dresde.
L’Allemagne, nouveau fer de lance de la production de semi-conducteurs
Ces implantations sont notamment motivées par d’importantes subventions du gouvernement allemand, selon les médias locaux : près de 10 milliards d’euros ont ainsi été accordés à Intel et près de 5 milliards à TSMC. Pour l’UE, qui subventionne aussi ces déploiements à hauteur de 43 milliards d’euros au travers de son propre plan Chips Acts (calqué sur le modèle américain), l’enjeu est de localiser 20 % de la production mondiale de semiconducteurs.
L’Allemagne voit dans ces subventions un moyen de redynamiser l’emploi, tandis que l’UE entend ainsi devenir indépendante des circuits asiatiques, lesquels se sont montrés défaillants lors de la crise du Covid-19 et ont conduit à un gel de la production automobile. Plus que le risque d’une nouvelle pandémie, c’est surtout la menace que la Chine fait peser sur les usines taiwanaises de TSMC qui inquiète les institutions européennes.
L’usine d’ESMC, le nom de la filiale européenne de TSMC, verra sa construction démarrer au second semestre de 2024 et devrait être opérationnelle d’ici à 2027, la même année que celle d’Intel. Ces usines devraient bénéficier des technologies dernier cri, qui font aujourd’hui la supériorité de TSMC dans la finesse de gravure et qui, demain, devraient permettre à Intel de fabriquer des puces avec une précision inférieure au nanomètre, notamment grâce à des brevets IBM.
Selon les spécialistes, outre répliquer les productions asiatiques et américaines, l’industrie européenne des semiconducteurs pourraient se spécialiser dans l’intégration de circuits analogiques (décodage de signaux radio, optiques) au sein des processeurs. C’est l’une des quêtes principales que se donne Intel, au travers de ses contrôleurs photoniques pour les communications et de ses assemblages de différents circuits via des méthodes mises au point à Grenoble par le CEA-Leti.
Les USA s’embourbent dans les polémiques
Concernant le retard de l’allocation des subventions du Chips Act américain, il serait dû, selon Washington, à l’étude d’un nombre trop important de demandes de la part de startups. « La bureaucratie fédérale américaine est à l’œuvre », commente, non sans ironie, l’analyste indépendant Jack Gold, au micro de nos confrères de TechTarget USA.
« Les industriels sont censés pouvoir trouver des fonds ailleurs pour démarrer la construction d’usines. Mais on oublie de considérer qu’ils ont de toute façon besoin de ces subventions pour acheter l’équipement à installer dans ces usines », dit-il, en rappelant que l’équipement en question est principalement fabriqué en Europe, par le Hollandais ASML.
Frank Dzubeck, directeur du cabinet de conseil Communications Network Architect soulève un autre problème : « le gouvernement américain a pris conscience qu’en accordant des subventions à des entreprises asiatiques comme TSMC ou Samsung, il donnait l’impression de reculer dans sa promesse de reconstruire une industrie souveraine. » Une préoccupation dont l’Europe ne semble guère s’embarrasser.
Au centre des débats, une polémique lancée par Pat Gelsinger, le PDG d’Intel, qui revendique devoir toucher plus de subventions américaines que ses concurrents asiatiques. Selon ses déclarations, non pas pour des raisons de souveraineté, mais parce qu’Intel ne se contente pas de fabriquer des processeurs, il les développe aussi. Pour autant, on se souvient que l’un des arguments de Pat Gelsinger pour qu’Intel bénéficie de subventions européennes était justement qu’il ferait développer les futurs designs de ses puces dans un centre de recherche basé… en France.