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DMA : des membres du Congrès américain craignent pour la compétitivité des géants du cloud
Certains membres du Congrès américain se plaignent du manque de réaction de la part du gouvernement Biden quant à la menace que représenteraient les réglementations européennes Digital Services Act et le Digital Markets Act sur la compétitivité des fournisseurs de services numériques américains. Une position soutenue par les Think Tanks proches des géants du cloud.
Vu des États-Unis. L’Union européenne va de l’avant avec des réglementations qui ciblent les technologies émergentes telles que l’IA générative et les grandes plateformes numériques, ce qui suscite des inquiétudes en matière de sécurité nationale et de concurrence parmi les membres du Congrès américain.
Un groupe bipartisan de 46 membres du Congrès américain, dirigé par les représentants Suzan DelBene et Darin LaHood a fait part de ses inquiétudes dans une lettre adressée au président Joe Biden en juin. Selon eux, les politiques technologiques de l’UE, telles que la loi sur les marchés numériques (Digital Markets Act), qui s’appliqueront au plus tard en mars 2024, porteront préjudice aux entreprises et aux employés américains. Selon cette lettre, si elles ne sont pas contrées, « les éléments discriminatoires de ces politiques de l’UE affaibliront la compétitivité américaine en avantageant injustement les entreprises européennes nationales et en profitant par inadvertance aux concurrents chinois, russes et autres entreprises étrangères ».
Ce n’est pas la première fois que des membres du Congrès s’élèvent contre les politiques technologiques de l’UE. Suzan DelBene et Darin LaHood ont envoyé une lettre bipartisane signée par 30 représentants américains au président Biden en février 2022. Ce document exhortait l’Administration américaine à demander des modifications du Digital Markets Act. Les membres du Congrès considèrent que ces mesures ciblent « spécifiquement » les grandes entreprises américaines telles que Google, Apple et Amazon.
Pour être exact, le DMA et le DSA visent les « géants du Web », des entreprises réalisant plus de 6,5 milliards d’euros par an (pendant trois ans) et dont les services sont utilisés par plus de 45 millions d’utilisateurs européens. Si la majorité des entreprises concernées par le DSA sont américaines, l’on retrouve également la plateforme e-commerce de l’Allemand Zalando et celles des Chinois ByteDance (Tiktok) et Alibaba.
Les experts américains ont également commencé à s’inquiéter du manque de coopération entre les États-Unis et l’Union européenne en ce qui concerne les normes technologiques mondiales, alors que l’influence de la Chine suscite de plus en plus d’inquiétudes.
Mais l’Administration Biden n’a pas encore réagi en dehors des commentaires faits par des dirigeants tels que la secrétaire américaine au commerce, Gina Raimondo, qui, en 2021, a demandé à l’UE de traiter équitablement les entreprises et les produits américains dans leurs réglementations, dont le Digital Markets Act et le Digital Services Act.
La récente lettre adressée à Joe Biden réitère la frustration du Congrès à l’égard de ces règlements et de l’approche du président américain en matière de politiques commerciales et technologiques, selon Nigel Cory, directeur associé de la politique commerciale de l’Information Technology and Innovation Foundation (ITIF).
« Cela fait déjà deux ans que l’administration est en place et nous n’avons vu aucune action réelle contre ces politiques, qui sont clairement discriminatoires à l’égard des entreprises américaines », affirme Nigel Cory.
L’ITIF est un think tank américain basé à Washington, dit « non lucratif et non partisan », mais dont les pratiques de financement auprès des géants technologiques américains sont bien documentées.
Le Congrès attend davantage du Conseil du commerce et des technologies UE-États-Unis
Dans leur lettre, les représentants du Congrès demandent à M. Biden d’aborder ces questions de politique commerciale et technologique avec les dirigeants européens lors des réunions du Conseil du commerce et de la technologie (CCT) entre les États-Unis et l’UE, un forum créé en 2021 pour faciliter les discussions et l’alignement entre les dirigeants européens et américains sur ces questions.
En privilégiant les bonnes relations avec l’UE, le gouvernement de Biden s’est montré réticent à dénoncer les politiques de l’UE ciblant les entreprises technologiques américaines et d’autres lois et réglementations numériques telles que le Data Act et l’AI Act, note Nigel Cory.
« Ils n’ont tout simplement pas utilisé le CCT pour affronter directement l’Europe », poursuit-il. « Cela soulève la grande question de savoir à quoi sert le CCT s’il n’est pas utilisé pour s’opposer directement à ces politiques qui vont clairement à l’encontre des buts et objectifs déclarés que les deux parties se sont engagées à atteindre en le lançant ».
Selon M. Cory, l’un des facteurs susceptibles d’empêcher l’Administration Biden de riposter est le fait que des membres clés de l’administration et du Congrès s’alignent idéologiquement sur les efforts de l’UE pour freiner les géants technologiques. Plusieurs membres du Congrès, dont la sénatrice Amy Klobuchar, ont présenté des projets de loi visant à réglementer les grandes entreprises technologiques.
Des poids lourds américains difficiles à freiner
Pour rappel, et malgré son insistance, la Federal Trade Commission (qui, au vu de sa mission et des convictions de ses représentants nommés par Joe Biden, n’apprécient guère les fortes concentrations) n’a pas – jusqu’à preuve du contraire – réussi à faire échouer le rachat du géant du jeu vidéo Activision par le géant du cloud Microsoft. Le sort des deux compagnies n’est pas scellé : elles attendent la décision finale de la FTC et de l’autorité de la concurrence britannique pour annoncer la fusion.
Les États-Unis ont la possibilité de discuter des questions de politique commerciale et technologique dans le cadre du groupe de travail sur les défis commerciaux mondiaux du CCT. Toutefois, il reste à voir si la dynamique actuelle du Conseil permettra de répondre pleinement à ces préoccupations, avance Matthew Eitel, chargé de programme pour l’initiative sur l’innovation numérique au Centre d’analyse de la politique européenne (Center for European Policy Analysis). Malgré son nom, cet autre think thank/ONG américain, non partisan, est également installé à Washington. Parmi ses soutiens financiers, l’on retrouve officiellement AWS, Google, Microsoft ou encore le concurrent de Dassault, Lockheed Martin.
Alors que l’UE fait progresser ses réglementations en matière d’économie numérique, les États-Unis pourraient prendre du retard dans l’établissement des règles du jeu pour les entreprises et l’utilisation des technologies émergentes, remarque Matthew Eitel. Cela pourrait par ailleurs exposer les entreprises américaines à des problèmes de sécurité potentiels, étant donné que des politiques telles que la loi sur les marchés numériques exigent que les grandes entreprises classées considérées comme des « gardiens » fournissent à des tiers un accès à l’infrastructure technique et opérationnelle, ainsi qu’aux données.
« En d’autres termes, les États-Unis céderont [à l’Europe] la capacité de fixer les règles concernant le lieu, le moment et la manière dont les entreprises américaines peuvent exercer leurs activités, ainsi que les conséquences du non-respect de ces règles », s’alarme Matthew Eitel.
Pour autant, selon ces observateurs américains, si l’Administration Biden peine à défendre l’intérêt des entreprises américaines face aux législateurs européens, elle ne veut pas brader l’extraterritorialité de son droit.
L’accord EU-US Data Privacy Framework, qui régule le transfert de données entre les États-Unis et la zone UE, a été bien accueilli par les fournisseurs américains. D’après les associations comme Noyb, l’accord n’empêche pas l’application de la loi de surveillance américaine FISA Act, loi que le gouvernement Biden a défendue devant le Congrès en juin dernier en vue de son renouvellement controversé.
Concernant l’application de l’AI Act, les éditeurs français membres de l’association Numeum considèrent que ces géants américains conserveront l’avantage malgré le poids de la régulation. Ces grands groupes technologiques auraient à la fois les moyens techniques et financiers pour dominer le marché de l’intelligence artificielle.