NetApp : « nous voulons devenir l’un des principaux acteurs du stockage SAN »
Conforté à la seconde place des fabricants de baies de stockage, NetApp réoriente sa stratégie pour surnager au-dessus d’un marché qui se tasse. Son directeur technique en France s’explique.
Mise à jour de la stratégie. Le fournisseur de baies de stockage NetApp, leader des solutions NAS, part à l’assaut du marché des baies SAN et entend amplifier plus encore ses efforts dans les services cloud. Principale raison : un chiffre d’affaires qui se tasse sur l’activité historique, mais qui reste globalement compétitif grâce à une progression spectaculaire de 25 %, en un an, concernant la vente de licences pour exécuter ses solutions sur les infrastructures des hyperscalers.
Sur le marché, NetApp a ainsi affiché lors du trimestre précédent un chiffre d’affaires de 1,58 milliard de dollars, plutôt en baisse par rapport à l’année précédente (- 6 %), mais globalement cohérent par rapport à ses concurrents. Sur à peu près la même période, Pure Storage réalisait un CA trimestriel de 589 millions de dollars (-5 % en un an), l’activité stockage de HPE baissait de 3 % à 1,1 md $ (contre 6,7 mds $ pour la globalité de ses activités) et Dell restait leader avec une activité stockage atteignant 3,76 mds $, quoiqu’en chute de 11 % par rapport à l’année dernière (son CA trimestriel global est de 20,9 mds $).
NetApp, considérant qu’il s’en sort plutôt honorablement sur un marché des équipements de stockage qui s’essouffle, décide donc d’appliquer ses bonnes recettes au segment qui lui faisait défaut : les baies SAN. Précisons que le constructeur proposait déjà à son catalogue du SAN : le plus souvent sous la forme d’un stockage en mode bloc optionnel sur ses NAS de la gamme AFF (All-Flash-Filer) et, timidement, sur une première gamme baptisée ASA (All-SAN-Array) en 2019.
C’est bien cette dernière gamme ASA que le constructeur entend relancer aujourd’hui. Elle doit être composée de SSDs uniquement NVMe et se connecter aux serveurs via des liens NVMe/TCP ou, au choix, NVMe/FC. On y retrouve les mêmes cinq modèles que dans la gamme AFA, puisque les deux familles sont matériellement identiques.
En entrée de gamme, l’A150 et l’A250 sont des machines 2U comprenant 24 SSDs de 17 To, la première offrant 4 ports Ethernet 10 Gbit/s et la seconde 16 ports FC 32 Gbit/s. On peut chacune les assembler en cluster de 12 nœuds pour totaliser 288 SSDs, soit 4,9 Po bruts. Le constructeur, misant sur les facultés de son système OnTap à réduire la taille des données par 5, préfère parler d’un peu plus de 24 Po utiles.
En milieu de gamme, les A400 et A800 sont des machines 4U qui intègrent 48 SSDs. L’A400 propose 24 ports FC 32 Gbit/s et 16 ports Ethernet 100 Gbit/s, tandis que l’A800 a 32 ports FC et 20 ports Ethernet. Le haut de gamme A900, en boîtier 8U, a 64 ports FC et 32 ports Ethernet. Ces machines supportent l’ajout de tiroirs de disques supplémentaires, ce qui leur permet de proposer un total de 2 880 SSDs dans un cluster de 12 nœuds, soit une capacité utile maximale, selon NetApp, de 351 Po.
Pour mieux comprendre l’ajustement de cap que se fixe NetApp avec les baies ASA, mais aussi son approche du cloud, celle de son activité historique, LeMagIT est parti à la rencontre de Philippe Charpentier, le directeur technique de NetApp France.
LeMagIT : Pourquoi lancer des baies de stockage uniquement SAN quand on est le leader des baies NAS ?
Philippe Charpentier : Nous avons plus de 20 000 clients dans le monde qui se servent du mode SAN sur nos baies AFA pour stocker des bases SAP ou Oracle. Et, parmi ceux-ci, 5 000 n’utilisent d’ailleurs que ce mode SAN sur leur baie AFA pour dissocier les bases de données du stockage VMware ou des sauvegardes. Il était donc cohérent de proposer une baie qui soit uniquement SAN, qui présente l’avantage d’être moins chère que son équivalente AFA, car elle intègre moins de fonctions logicielles. Le mode bloc nécessitant moins de dispositifs que le mode fichier.
Le démarrage très fort de la nouvelle gamme C-Series que nous avons lancée en début d’année [des baies uniquement composées de SSD QLC, presque aussi peu chers que les disques durs, NDR] nous conforte dans l’idée que la clé du succès réside dans la commercialisation de nouveaux produits qui répondent plus précisément aux besoins de nos clients.
LeMagIT : Néanmoins, vous aviez déjà lancé des baies uniquement SAN en 2019. En quoi cela change-t-il aujourd’hui ?
Philippe Charpentier : En effet. Mais, du fait de notre image très marquée sur le NAS, nous n’avions pas spécialement été sollicités par les entreprises sur ce type de produit. Notre analyse est que nous n’avions pas été suffisamment agressifs sur un segment de marché que nos concurrents occupent depuis longtemps. Donc, nous revoyons notre offre, en la fournissant avec une multitude d’engagements qui sont optionnels ailleurs et qui vont, nous le pensons, nous donner la visibilité qui nous manquait précédemment.
Ces engagements concernent par exemple les ransomwares : lorsque vous achetez une baie ASA, vous disposez de tous les dispositifs de sécurité renforcée. Ce sont typiquement les snapshots immuables, l’authentification multifacteur pour l’administrateur, l’impossibilité de toucher aux snapshots sans l’autorisation de deux administrateurs. Et, surtout, en cas d’attaque, une intervention dans les plus brefs délais de nos équipes pour restaurer – en quelques minutes à peine – les snapshots immuables de données saines. Et si des données sont perdues, nous payons une compensation financière.
Ajoutons à cela un engagement sur la disponibilité de la plateforme de 99,9999 % qui est exceptionnel sur ce marché [cela revient à une indisponibilité moyenne de la baie d’environ 32 secondes par an, NDR].
LeMagIT : vous évoquiez à l’instant votre nouvelle gamme de baies C-Series à base de SSD QLC. Vendez-vous encore des disques durs ?
Philippe Charpentier : Bien entendu ! Notre base installée est faite de baies qui sont en production depuis cinq ans en moyenne, ce qui signifie que certains de nos clients utilisent toujours des baies qui ont sept, voire huit ans et qui reposent uniquement sur des disques durs. Et ces clients continuent d’étendre leurs capacités de stockage en nous achetant des disques durs.
Les disques durs demeurent moins chers que les SSDs, y compris les SSDs QLC. Ils restent une offre attractive, surtout parmi les PME.
Cela dit, nous avons la volonté d’être le vendeur numéro 1 de SSDs. Nous expliquons à nos clients qu’une baie C-Serie coûte 10 % plus cher que son équivalente à base de disques durs. Néanmoins, 10 % en plus, ce n’est pas nécessairement très cher quand vous avez l’objectif de restaurer très rapidement des sauvegardes. Dans ce cas, le retour sur investissement justifie le différentiel de prix.
LeMagIT : Vous revendiquez que vos NAS sont le plus souvent vendus comme baies de stockage dans les déploiements VMware. Doit-on comprendre que le tassement global des ventes de baies de stockage est dû à un tassement des déploiements VMware ?
Philippe Charpentier : En France, je peux vous garantir que nous n’observons aucun tassement des déploiements VMware ! Au contraire : depuis que le rachat de VMware par Broadcom a été annoncé, les entreprises ont signé de nouveaux contrats avec VMware pour s’assurer qu’il s’engagerait avec elles sur de nombreuses années.
Bien entendu, ce rachat a suscité des discussions, autour de l’alternative Red Hat notamment. Mais la réalité est que VMware reste omniprésent. Et, ce, y compris en ce qui concerne les projets de nouvelles applications bâties sur Kubernetes.
C’est d’ailleurs une nouvelle demande que nous recevons de nos clients très grands comptes ; plus précisément les grandes banques qui investissent massivement dans Kubernetes. Entre les baies de stockage que nous leur fournissons pour leurs traitements VMware et celles que nous leur vendons pour stocker leurs sauvegardes, nous avons aujourd’hui beaucoup de demandes pour des baies destinées au stockage d’applications.
LeMagIT : Parmi les nouveaux usages, il y a aussi l’IA, qui favorise l’arrivée de solutions NAS dont l’architecture a été entièrement repensée pour offrir un maximum de performances. Comment comptez-vous adresser cette demande ?
Philippe Charpentier : Les solutions que vous évoquez sont celles qui déclinent des infrastructures de supercalculateur pour l’entreprise. Nous avons nous aussi une solution de stockage pour supercalculateurs : les E-Series. Ce sont des machines très performantes, sans aucune fonction de haut niveau, basées sur les systèmes de fichiers parallélisés Lustre et BeeGFS. Cependant, nous pensons que ce type de solutions reste inadapté aux entreprises.
En pratique, quand vous faites de l’IA, vous faites travailler des data scientists. Or, pour un data scientist, qui veut pouvoir présenter ses analyses le plus rapidement possible, le besoin est moins dans la technique que dans les fonctions. Un data scientist lance des traitements successifs sur des jeux de données qu’il fait évoluer au fur et à mesure. Il doit pouvoir revenir en arrière pour tester d’autres approches. Son problème est qu’à chaque traitement, il doit recomposer un jeu de données, et cela lui prend énormément de temps, y compris sur un NAS parallélisé.
Sauf s’il utilise des snapshots qu’il peut restaurer en quelques secondes. Et, ça, c’est la fonction essentielle qu’apporte OnTap, le système d’exploitation de nos NAS.
Dans le même ordre d’idée, nous avons des cas d’entreprises qui veulent sauvegarder chaque soir leurs bases Oracle ou SAP, mais celles-ci ont une taille trop importante pour que la sauvegarde traditionnelle se termine avant le lendemain matin. Ces entreprises se sont rendu compte que prendre des baies plus rapides n’allait en rien résoudre leur problème, qui réside plus dans la manière de sauvegarder une base de données que dans les caractéristiques de l’infrastructure.
En revanche, ce qui a sauvé ces entreprises, c’est de prendre des baies NetApp, avec une fonction de snapshot dans OnTap qui change radicalement le processus de sauvegarde. Et, de fait, qui élimine la problématique de la durée.
LeMagIT : Parlons du cloud. Quand on est fabricant d’équipements pour datacenters, n’est-ce pas se tirer une balle dans le pied que de faire la publicité pour des services de stockage chez les hyperscalers ?
Philippe Charpentier : Ce que nous disons à nos clients, c’est que si la problématique de la consommation d’énergie dans leurs datacenters devient une préoccupation trop importante, alors leur solution est de migrer des données dans le cloud. Franchement, le volume de données est à ce point exponentiel qu’il en restera toujours une partie dans le datacenter, mais l’on sait tous que le cloud va absorber au moins 50 % du volume.
Dans ce contexte, notre rôle est d’accompagner nos clients dans leur migration en cloud. Donc, nous facilitons cette migration, en proposant les logiciels de nos solutions en cloud, en mettant à leur service des moyens qui vont les aider à transférer leurs licences du datacenter au cloud pour que l’opération ne leur coûte rien. Et aussi en favorisant l’emploi de nos solutions par les hébergeurs de cloud eux-mêmes.
En France, les réflexions portent beaucoup sur SecNumCloud. Donc, nous travaillons sur ces infrastructures. Nous avons déjà des offres OnTap chez OVHcloud qui fonctionnent avec une version de notre système spécialement adaptée à leurs serveurs. Nous avons installé des baies NetApp chez 3DS OutScale. Et nous travaillons beaucoup en ce moment avec Thalès et Google sur la mise en place de S3NS, ainsi qu’avec Cloud Temple.