Linux : Red Hat jure que sa nouvelle stratégie RHEL ne fera pas exploser les prix
Assailli de critiques concernant sa décision de ne plus partager librement le code source de son Linux, l’éditeur peine à maintenir un ton diplomate sur le thème des coûts de Linux. Seuls les analystes lui témoignent leur soutien.
Les critiques continuent de pleuvoir à l’encontre de Red Hat. Pour rappel, depuis le 21 juin dernier, non seulement le code source complet de son Linux RHEL n’est plus accessible sans souscrire à une licence depuis le Red Hat Customer Portal, mais l’éditeur n’a aussi plus l’intention d’actualiser les dépôts qui permettaient de mettre à jour les distributions dérivées de RHEL, notamment AlmaLinux, Rocky Linux et, surtout, Oracle Linux. En substance, développeurs et utilisateurs estiment que ces changements pourraient finir par rendre le déploiement d’un Linux Red Hat plus coûteux.
Pour mémoire, Red Hat proposait lui-même un clone fonctionnel de RHEL dépourvu de licence payante (et donc de support) entre 2014 et 2021 : CentOS. Celui-ci est aujourd’hui remplacé par CentOS Stream, qui correspond plus ou moins à un système gratuit en version bêta perpétuelle. CentOS Stream est un Linux qui repose sur une multitude de projets en cours de développement ; sa vocation est de partager le débogage des fonctions qui intégreront les futures versions de RHEL. Il n’est absolument pas question de s’en servir en production.
Seule consolation, le code source de RHEL version finale restait disponible, permettant ainsi à des tiers de compiler leur propre clone du Linux de Red Hat. Mais voilà : Red Hat a signé l’arrêt de cette possibilité le mois dernier. Red Hat évoque l’incohérence de favoriser des distributions concurrentes. Le public l’accuse de trahir l’esprit Open source de Linux.
La crainte d’un Linux plus cher
Parmi les critiques, Oracle – dont le propre Linux se cale sur les fonctions et les racines de RHEL – a publié un billet de blog au vitriol. Accusant son éternel concurrent IBM – la maison mère de Red Hat – d’être à la manœuvre pour tirer plus d’argent de Linux, les auteurs de ce billet vont jusqu’à proposer à ce même IBM d’abandonner RHEL au profit d’Oracle Linux, si sa contrariété est de ne plus vouloir investir dans le développement du système.
Bien que l’on ne sache pas si la plupart des clients de RHEL seront affectés par ces changements, certains observateurs prédisent que le revirement stratégique de Red Hat précède une envolée des coûts de déploiement de Linux en entreprise.
« Selon moi, il s’agit juste de pousser les utilisateurs de versions gratuites de Linux à devenir des clients payant », analyse Chris Riley, directeur des relations avec les développeurs chez l’éditeur américain HubSpot, dont le CRM repose sur RHEL pour ses versions SaaS. « Manifestement, l’abandon de CentOS au profit de CentOS Stream n’a pas permis de faire rapidement cette transformation. Le fait de gêner à présent les cloneurs est symptomatique d’un échec. »
« J’ai toujours été sceptique à l’égard du modèle commercial des logiciels libres. Cela ne m’étonne pas que, dans cet environnement macroéconomique, ils finissent par explorer tous les leviers pour augmenter leurs revenus », ajoute-t-il, amer.
Red Hat se défend de manière plus ou moins diplomate
En réponse, les responsables de Red Hat ont vigoureusement affirmé qu’ils ne prévoyaient ni coûts supplémentaires, ni quel qu’inconvénient que ce soit pour les développeurs ou les utilisateurs. Selon eux, les conditions de licence pour RHEL restent les mêmes. L’éditeur ne s’efforcerait pas de favoriser un modèle plus payant ni à restreindre les moyens mis à la disposition des développeurs pour accéder au code source de RHEL.
Selon Red Hat, tous ces changements auraient pour ambition d’encourager un comportement plus fair-play de la part des cloneurs.
« Le simple reconditionnement sans valeur ajoutée dans le monde de l’Open source est largement considéré comme une mauvaise conduite », a déclaré Gunnar Hellekson, le directeur général de RHEL. « Nous avons pris une décision qui s’efforce de trouver un juste équilibre entre décourager les mauvaises conduites et encourager les bonnes. Pour nous, la bonne conduite consiste à participer au travail autour de CentOS Stream. »
Gunnar Hellekson assure que Red Hat n’essayait pas de décourager les cloneurs – aussi appelés « rebuilders » – mais voulait les convaincre d’utiliser le code source distribué dans CentOS Stream. Nous « n’exigeons pas d’eux de faire quelque chose de différent de Red Hat. En utilisant CentOS Stream, les cloneurs pourraient plus facilement ajouter de la valeur à leurs distributions et mieux différencier leurs versions par rapport à leurs concurrents sur leurs marchés respectifs », a-t-il déclaré.
Dans un récent billet de blog, Mike McGrath, directeur de l’ingénierie « Core Platform » pour Red Hat, est beaucoup moins diplomate. Après en avoir appelé au respect du « travail acharné de milliers d’employés de Red Hat pour coder de nouvelles fonctionnalités, corriger des bogues, intégrer des fonctionnalités », il s’en prend à « ceux qui ne veulent pas payer pour le temps, les efforts et les ressources consacrés à RHEL, ceux qui veulent le reconditionner pour leur propre profit ». Et d’ajouter : « Leur demande d’accès au code RHEL n’est pas sincère ! »
Des analystes soutiennent Red Hat
Mike McGrath a des soutiens du côté des analystes, notamment Jack Gold, du cabinet de conseil J. Gold Associates : « Franchement, une grande partie du travail initial effectué sur RHEL a été mis à la disposition de la communauté Open source. Ils ont passé beaucoup de temps et dépensé beaucoup d’argent pour mettre au point tout cela. Il est normal qu’ils espèrent en tirer davantage de revenus. D’autres l’ont fait avant eux. »
« Je ne vois rien de mauvais dans la décision de faire de CentOS une distribution en amont de RHEL, plutôt que le laisser être un moyen d’utiliser RHEL sans payer les coûts de licence », commente Paul Nashawaty, analyste du cabinet d’études ESG. « Et puis toutes ces réactions n’inciteront probablement pas Red Hat à changer de cap. Red Hat avance, lui, et, ce, depuis un bon moment », conclut-il.