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Affaire RHEL : Oracle veut devenir Red Hat à la place de Red Hat
Dans un billet de blog, Oracle a fait part de son mécontentement concernant la décision de Red Hat de limiter l’accès au code source de RHEL. Le fournisseur entend réunir la communauté autour d’Oracle Linux, qui doit rester compatible avec l’OS de Red Hat. Toutefois, il ne précise pas encore comment, contrairement à AlmaLinux et SUSE.
AlmaLinux et Rocky Linux ne sont pas les seuls projets affectés par la décision de Red Hat de cesser la distribution des « sources correspondantes complètes », dérivées de Red Hat Enterprise Linux (RHEL).
Depuis 2006, Oracle utilisait également certains de ses paquets open source pour recompiler une distribution « downstream » de RHEL nommée Oracle Linux.
« Les clients et les éditeurs de logiciels indépendants peuvent passer de RHEL à Oracle Linux sans modifier leurs applications, et nous certifions les produits logiciels Oracle sur RHEL même s'ils sont conçus et testés uniquement sur Oracle Linux, jamais sur RHEL », écrivent Edward Scren, Chief Corporate Architect, et Wim Coekaerts, Responsable du développement d’Oracle Linux chez Oracle, dans un billet de blog publié le 10 juillet 2023.
Par les voix de ces deux représentants, Oracle signifie à IBM, propriétaire de Red Hat, qu’il n’adhère pas à la politique du groupe.
« Nous avons des opinions très différentes sur nos responsabilités en tant qu’administrateurs de logiciels libres et concernant le fait d’opérer sous la GPLv2 [la licence open source de RHEL N.D.LR] », assurent les deux porte-parole.
En matière de respect des projets open source, Oracle n’est pas exempt de tout reproche, mais le fournisseur n’aurait pas joué ce jeu dangereux avec sa distribution Linux, considérant qu’il ne fallait pas fragmenter l’écosystème plus qu’il ne l’était déjà. En sus de Red Hat et Oracle, plusieurs fournisseurs de distributions commerciales se partagent le marché, dont SUSE, Canonical (Ubuntu), AWS ou encore Microsoft.
« Oracle a toujours mis les binaires et les sources d'Oracle Linux à la disposition de tous », poursuivent-ils. « Nous n'avons pas de contrats d'abonnement qui interfèrent avec les droits d'un abonné à redistribuer Oracle Linux. En revanche, les contrats d'abonnement d'IBM précisent que vous êtes en infraction si vous utilisez ces services d'abonnement pour exercer vos droits au titre de la GPLv2 ».
La faute d’IBM, selon Oracle
Les deux représentants estiment que la justification de Red Hat – la filiale de Big Blue affirme qu’elle doit payer les développeurs chargés de livrer ces paquets exploités par tous – est « étrange ».
Les deux porte-parole voient là plutôt un moyen « d’attaquer directement » les compétiteurs proposant des dérivés de CentOS Linux, en premier lieu AlmaLinux et Rocky Linux, mais aussi, ce que les deux porte-parole n’écrivent pas noir sur blanc, Oracle lui-même. « Moins de compétiteurs veut dire plus de revenus pour IBM ».
Comme les éditeurs touchés par ce changement de taille, Oracle se plaint, mais doit trouver une alternative.
Dans un premier temps, le fournisseur ne compte pas changer de cap. « Nous continuerons à développer et à tester nos produits logiciels sur Oracle Linux. Oracle Linux continuera d'être compatible avec RHEL dans la mesure du possible », écrivent-ils.
« Dans le passé, l'accès d'Oracle aux sources RHEL publiées a été important pour maintenir cette compatibilité. D'un point de vue pratique, nous pensons qu'Oracle Linux restera aussi compatible qu'il l'a toujours été jusqu'à la version 9.2, mais après cela, il peut y avoir une plus grande chance qu'un problème de compatibilité survienne. Si une incompatibilité affecte un client ou un ISV, Oracle s'efforcera de remédier au problème ».
Oracle ne précise pas (encore) ses intentions
Dans ce message censé rassurer les clients et les utilisateurs, les porte-parole d’Oracle ne s’épanchent pourtant pas sur les techniques choisies, les possibles sources permettant d’accéder aux précieux paquets, ni sur ce que les équipes d’Oracle et la communauté auraient à (re)construire pour conserver l’intégrité de l’OS.
Questionné sur ces sujets par LeMagIT le 12 juillet dernier, le fournisseur n’a toujours pas apporté de précision à ce jour.
Pour rappel, en 2010, Oracle a débuté le développement de son propre noyau Linux en remplacement de celui de RHEL : Unbreakable Enterprise Kernel. En principe, le fournisseur cloud est moins affecté par le changement opéré par Red Hat que Rocky Linux ou Alma Linux. Pour autant, ce kernel a été pensé pour les middlewares et les applications Oracle.
C’est bien autour d’UEK et d’Oracle Linux que la firme de Larry Ellison espère rassembler une plus large communauté. Oracle se dit prêt à accueillir les versions « downstream » de sa distribution Linux, qu’elles soient libres ou commerciales. « Oracle fait la promesse suivante : tant qu'Oracle distribuera Linux, Oracle mettra les binaires et le code source de cette distribution à la disposition du public et en toute liberté », avancent les auteurs du blog.
Oracle aboie, SUSE et AlmaLinux passent
Mieux, Oracle entend recruter les « mécontents » de la décision de Red Hat et convaincre les éditeurs de le suivre.
Le concurrent de Red Hat sait très bien que ce dernier a annoncé en avril dernier un plan de licenciement de 4 % de sa masse salariale, soit environ 760 personnes. Une décision qui a provoqué la colère de certains employés français, mais qui touche uniquement les postes « généraux et administratifs », et non les équipes de vente et de développement, selon Red Hat.
À ce sujet, Edward Scren et Wim Coekaerts terminent d’ailleurs sur une note provocante. « Enfin, pour IBM, voici une grande idée pour vous. Vous dites que vous ne voulez pas payer tous ces développeurs RHEL ? Voici comment vous pouvez économiser de l'argent : inspirez-vous de nous. Devenez un distributeur en aval d'Oracle Linux. Nous nous ferons un plaisir d'en assumer la charge ».
Coutumier des postures agressives, Oracle n’a pas forcément bonne réputation dans la sphère open source. Plusieurs internautes ont profité de l’annonce d’Oracle pour saluer l’attitude du fournisseur, mais aussi rappeler (parfois dans le même message) qu’il n’a toujours pas rendu la licence CDDL du système de fichiers ZFS compatible avec la licence GPL.
Aussi, Oracle n’est pas le seul à profiter de l’occasion pour tenter de prendre la couronne de la distribution commerciale Linux à Red Hat. Le 11 juillet, SUSE a annoncé sa volonté de créer un fork de RHEL interopérable qu’il compte rendre disponible librement, « sans restriction » et y investir 10 millions de dollars « au cours des prochaines années » tout en maintenant OpenSUSE et SUSE Linux Enterprise. Qui dit mieux ?
CIQ, le parrain officiel de Rocky Linux, s’est déjà dit prêt à collaborer avec SUSE pour mener à bien ce projet. Pour leur part, les contributeurs principaux d’AlmaLinux ont indiqué le 13 juillet dernier leur souhait de ne plus offrir une distribution Linux 100 % compatible avec RHEL, mais d’assurer la prise en charge des binaires applicatifs construits par-dessus cet OS ou ses clones. Comme l’anticipait Philippe Ombrédanne, CTO de nexB, les éditeurs de clones de RHEL « trouveront des moyens de contourner ces limitations ». À la colère succède la recherche des chemins de travers.