FinOps : IBM rachète Apptio 4,6 mds $ pour réduire les coûts du cloud
Apptio doit combler les lacunes de gestion financière d’IBM Turbonomic, en fournissant un outil pour aider les organisations à prendre des décisions de budgétisation IT basées sur leurs objectifs commerciaux. Une ambition louable qui surestime le niveau d’adoption du FinOps dans les entreprises, selon les experts.
IBM veut aider ses clients à mieux contrôler les aspects financiers des déploiements multicloud et hybrides grâce à l’acquisition pour 4,6 milliards de dollars d’Apptio, un éditeur de logiciels d’optimisation et de gestion des coûts du cloud.
Big Blue paiera cette somme en numéraire à Vista Equity Partners. L’actuel propriétaire d’Apptio avait acquis l’entreprise pour 1,9 milliard de dollars en 2019. Le rachat devrait être finalisé au cours du second semestre de cette année.
Fondé en 2007, Apptio est un partenaire d’IBM depuis 2021, année durant laquelle les deux entreprises ont déclaré qu’elles collaboreraient pour favoriser l’adoption des technologies open source d’IBM dans le cadre de déploiements cloud hybride. Sans surprise, le groupe comptait sur Red Hat OpenShift, la fameuse plateforme multicloud à mi-chemin entre CaaS et PaaS.
Outre ses 1 500 clients, Apptio est important pour IBM, car son moteur de décision financière sert à piloter, planifier, prédire et à rapporter les budgets cloud dès la phase de migration.
De fait, les coûts de déploiement sont difficiles à maîtriser. Les entreprises ont souvent besoin d’aide pour estimer les capacités de calcul nécessaire pour éviter une panne lors des pics d’activité.
Les entreprises ont tendance à surcompenser les ressources IT et à payer plus que nécessaire, selon Bill Lobig, vice-président de la gestion des produits IBM, lors d’un entretien récent avec Techtarget [propriétaire du MagIT].
« Je n’ai jamais rencontré un informaticien qui ait été licencié pour avoir surprovisionné ses systèmes », lance-t-il. « J’en ai rencontré certains qui ont eu des difficultés lorsqu’ils sont tombés en panne pendant une période d’acquisition de clientèle, lors du Black Friday ou des fêtes de fin d’année ».
Le marché de la gestion des coûts du cloud en pleine consolidation
Les entreprises utilisent parfois le logiciel ApptioOne en combinaison avec le produit de gestion des ressources applicatives Turbonomic d’IBM. Acquis en 2021, ce logiciel APM doit permettre de réduire les coûts en aidant les professionnels de l’IT à éviter le surdimensionnement des ressources en cloud. Selon les retours des utilisateurs sur les sites Web Gartner Peer Insights et G2.com, les organisations exploitent généralement cet outil pour affiner la gestion de leurs machines virtuelles, le plus souvent dans des environnements VMware ESXi.
Ce n’était pas le premier coup d’essai d’IBM. En 2020, il avait acheté Nordcloud, qui disposait également d’une technologie de gestion et d’optimisation des coûts du cloud (Cloud Cost Management & Optimization, CCMO).
Bien évidemment, IBM n’est pas seul sur le terrain de la CCMO. En sept ans, le marché s’est fortement consolidé : l’on compte une vingtaine d’acquisitions. Des entreprises telles que Nutanix, Cisco, NetApp, VMware et autres ont renforcé leur portefeuille FinOps, un élément clé de leurs stratégies de croissance, selon les dires de Tracy Woo, analyste chez Forrester Research, dans un billet de blog.
Pour rappel, le terme FinOps fait référence à une méthodologie de gestion des dépenses IT souvent affiliée à l’adoption du cloud.
« Si le rythme des acquisitions a ralenti dans l’écosystème IT, l’espace FinOps demeure en pleine effervescence. Nous recevons beaucoup de demandes à ce sujet », écrit Tracy Woo.
Tracy WooAnalyste, Forrester
De fait, à la difficile maîtrise des coûts du cloud s’est ajoutée l’inflation, ayant poussé les fournisseurs à augmenter les prix de certains de leurs services.
IBM veut bâtir une suite FinOps
Pour Olivier Rafal, cofondateur et directeur du conseil chez Wenvision (ex-Envision by SFEIR), l’intérêt pour le FinOps est constant depuis trois ans. La préoccupation des entreprises porte moins sur ces hausses sporadiques que sur la croissance des usages dans le cloud. « Parce que la facture augmente en fonction de l’usage, l’objectif est de maintenir une consommation raisonnée des ressources cloud », affirme-t-il. « Ce sont des économies que l’on peut réinvestir dans de nouveaux services [mais] tout ce qui peut contribuer à optimiser les coûts des entreprises est intéressant ».
L’intégration d’Apptio, de Turbonomic et de Nordcloud permettrait à IBM de disposer d’une offre de bout en bout. Elle inclurait des services d’observabilité, de gestion des coûts du cloud, de gestion des ressources et des actifs applicatifs, ainsi que des services de conseil en matière de cloud, commente l’analyste de Forrester. L’étendue de cette suite serait impressionnante une fois l’intégration achevée, mais signer avec Apptio maintenant comporterait des risques, prévient-elle, lors d’un interview avec TechTarget.
La feuille de route technologique d’Apptio pourrait considérablement changer une fois qu’IBM aura finalisé l’acquisition. Cette intégration demande qu’Apptio se mette au service des grands groupes. En conséquence, les prix pourraient augmenter et les contrats d’assistance risquent d’être moins adaptés aux besoins des petites entreprises. « IBM a l’habitude de traiter avec les grandes entreprises, de sorte que certains des petits clients d’Apptio pourraient voir leur support déprécié ou leur facture augmenter à un niveau intenable pour eux », signale-t-elle. Les entreprises qui envisagent de faire appel à Apptio devraient chercher à signer des contrats pluriannuels qui fixent les prix afin de retarder les augmentations potentielles, ajoute-t-elle.
Le FinOps gagne en popularité, mais le niveau d’adoption demeure limité
D’autant qu’une telle suite n’est pas forcément adaptée aux besoins actuels des entreprises, selon Olivier Rafal.
Si le directeur du conseil chez Wenvision évoque son expérience du marché français, la FinOps Foundation rapporte dans son étude « State of The FinOps 2023 » que 61,8 % des répondants sont encore dans la première phase du modèle de maturité du FinOps.
Pour rappel, la fondation définit cette maturité en trois phases : Crawl, Walk, Run. Dans cette première étape du parcours FinOps, les organisations utilisent peu d’outils d’analyse et de reporting, des indicateurs clés et des politiques d’application « basiques », tandis que l’adoption des pratiques de reporting et d’optimisation est loin d’être généralisée.
« Les premières étapes du FinOps portent sur l’organisation, la mise en œuvre de l’étiquetage des charges de travail, de l’identification des processus », précise Olivier Rafal. « Une fois que l’étiquetage des ressources est correctement effectué, déployer des tableaux de bord “maison” n’a rien de compliqué ».
À travers son étude, la FinOps Foundation observe que les organisations dépensant plus d’un million de dollars par an dans le cloud installent d’abord les outils natifs des trois géants du cloud (dans l’ordre, AWS, Azure et GCP). Cloudability d’Apptio arrive en quatrième position. Toutefois, les outils les plus utilisés par les sondés sont « fait-maison », par-dessus les briques des fournisseurs cloud.
Olivier RafalCofondateur et directeur du conseil, Wenvision
« Aujourd’hui, peu de mes clients recourent à des outils tiers de gestion des coûts du cloud », confirme Olivier Rafal. Cependant, le spécialiste ne nie pas l’intérêt d’une suite intégrée.
« Une suite comme celle que veut proposer IBM peut être intéressante pour gérer des ressources différentes depuis un outil de management et pour obtenir des recommandations », remarque-t-il. « Mais il convient de comparer le coût de souscription et de mise en œuvre aux économies potentiellement réalisables ».
« Il faut déjà avoir un chef d’orchestre du FinOps, une ou plusieurs personnes qui sont chargées de la gouvernance. Le sujet de l’outillage vient éventuellement dans un second temps », insiste Olivier Rafal.
Or, toujours selon la FinOps Foundation, les entreprises de la région EMEA ont pour l’instant des difficultés à diffuser la culture FinOps quand les organisations nord-américaines commencent à s’inquiéter de la précision des prévisions, de la répartition des ressources consommées en unité de coûts et du déploiement de la gouvernance à l’échelle.
Un gros travail d’intégration à prévoir
Malgré un niveau d’adoption « hétéroclite » (dixit Olivier Rafal), IBM y croit dur comme fer. Depuis qu’Arvind Krishna est devenu PDG en avril 2020, le groupe a acquis 30 entreprises pour développer ses capacités en matière de cloud et d’IA. En sus de Turbonomic et de Nordcloud, Big Blue a mis la main sur l’éditeur APM Instana, les fournisseurs de services managés dans le cloud public Taos et Neudesic, l’éditeur de logiciels de process mining myInvenio et le spécialiste de la migration dans le cloud Sentaca.
Apptio et ses trois produits (ApptioOne pour la supervision du cloud privé et hybride, Cloudability pour le cloud public et TargetProcess, un outil de planification des investissements Agile) viennent s’ajouter à cette liste. Une liste qui dans les faits représente un défi en matière d’intégration des produits et des services, reconnaît IBM. « Nous sommes sur la voie de l’intégration », assure Bill Lobig.