SAP balise une voie d’ascension vers le cloud plus risquée, mais « transformatrice »
Lors de l’édition européenne de Sapphire, SAP a partagé sa vision d’un paysage IT agile et résilient, adapté aux besoins futurs des entreprises. Pour ce faire, l’éditeur encourage ses clients à adopter l’approche de migration greenfield vers S/4HANA Cloud, en optant de préférence pour l’édition SaaS de son ERP. Un choix risqué, mais transformateur, assume SAP.
Il y a deux ans, le programme RISE with SAP devait avant tout simplifier la contractualisation avec l’éditeur allemand en vue de convertir un ERP ECC vers S/4HANA cloud. En la matière, le choix des entreprises est limité : la fin du support d’ECC est prévue au plus tôt pour 2027 et au plus tard en 2030 (moyennant un support étendu).
RISE est devenu le porte-étendard de la stratégie cloud de SAP. Il y a infusé sa vision de l’ERP moderne, celle qui doit lui permettre de rester pertinent aux yeux des entreprises à l’avenir.
Selon SAP, cet ERP moderne doit être plus modulaire, plus simple à maintenir, plus agile.
Si RISE permet d’adopter l’édition public cloud de l’ERP, le programme est considéré comme un véhicule pour accélérer les migrations d’ECC vers S/4HANA Private Cloud Edition. En clair, un bon nombre de clients ont choisi cette offre pour effectuer une migration en respectant la méthodologie « clean core » (ou fit to standard).
La stratégie du retour au standard prend
« Même si je n’étais pas une adepte de l’appellation, le concept de “clean core” est simple à comprendre. Il s’agit d’utiliser l’ERP standard et là où l’entreprise doit mettre en place des processus différenciants de les déployer sur la BTP [Business technology Platform] », rappelle Julia White, Chief Marketing & Solutions Officer, et membre du comité exécutif chez SAP, auprès du MagIT.
Dans cette configuration, les spécifiques « atterrissent » donc sur la Business Technology Platform (BTP), la PaaS de SAP reposant sur la technologie open source Cloud Foundry.
« Le plus gros fournisseur d’énergie en Amérique du Sud a adopté S/4HANA avec seulement 10 % de code spécifique. Ce genre d’exemple permet à nos clients de croire que cela est possible », illustre Julia White.
Les promesses du programme RISE ? Les entreprises peuvent profiter des tarifs négociés par SAP auprès des hyperscalers et – idéalement – décommissionner une grande partie de leurs infrastructures on premise maisons ou infogérés. L’édition Private Cloud de S/4HANA doit faciliter les mises à jour de l’ERP (à un rythme annuel ou bisannuel, recommande SAP), mais elle confère aux entreprises la maîtrise de ce processus, là où SAP dicte la cadence des changements dans S/4HANA Public Cloud Edition.
Un équilibre entre les migrations brownfield et greenfield
Toutes éditions confondues, Bert Schulze, vice-président S/4HANA Product Success & Co-Innovation, responsable des programmes d’adoption de S/4HANA chez SAP, indique pour sa part qu’environ la moitié des clients choisissent une approche brownfield et l’autre moitié adopte une migration greenfield.
Dans les grandes lignes, avec une approche brownfield, les processus de l’entreprise évoluent peu.
« Comme il s’agit d’une conversion purement technique, l’approche brownfield est un peu plus rapide qu’une migration greenfield », indique Bert Schulze. « Cela n’a rien à voir avec la technologie SAP. C’est simplement parce que vous n’avez pas besoin de retourner voir les métiers et de réitérer sur les processus parce que vous adoptez ceux déjà en place ».
Cela demeure une meilleure approche qu’un simple lift and shift d’ECC vers le cloud, selon les propos de Christian Klein, PDG de SAP, lors du keynote d’ouverture de Sapphire Barcelone.
« J’ai récemment rencontré un client aux États-Unis, dont je ne citerai pas le nom, qui vient de terminer une migration de plusieurs années de l’ancien système ERP vers le cloud. Il s’agissait d’un projet purement lift and shift. Ils ont développé à court terme encore plus de personnalisations pour satisfaire les besoins de l’entreprise. J’ai donc fait le calcul. Ce client dépense près de 30 fois plus par session qu’avec le logiciel ERP standard. Ce n’est pas seulement mauvais pour nous. C’est également mauvais pour le client, car il continue à gérer son entreprise avec un ERP vieux de dix ans », affirme-t-il.
« Et la complexité de la pile IT signifie que l’entreprise ne bénéficiera pas de nouvelles fonctionnalités rapidement, puisque chaque projet informatique prend du temps et la prochaine mise à niveau de l’ERP sera certainement très coûteuse », poursuit-il.
SAP aimerait pourtant que l’approche greenfield gagne du terrain avec RISE. Une montagne à gravir au vu de l’iconographie de l’éditeur.
« L’histoire racontée par Christian [Klein], c’est notre cauchemar », commente Julia White. « Des gens ont passé tout ce temps et dépensé tout cet argent dans le cloud et n’obtiennent rien de nouveau. Ils ont fait la même chose ».
« Au début du programme RISE, certains clients pensaient qu’il s’agissait d’avoir les mêmes systèmes dans le cloud. L’adoption du cloud est importante, mais ce n’est pas l’objectif final : il s’agit de changer vos processus métiers, de les moderniser, de les simplifier », ajoute-t-elle.
Dans le cas d’une migration brownfield, il est possible après coup d’analyser les processus en place (de préférence avec Signavio, insiste SAP) puis de les faire évoluer ou de les étendre en déployant des extensions SAP, des partenaires ou faite main sur la BTP.
« Si vous êtes en plein milieu d’une transformation d’entreprise, ce n’est pas l’approche que je recommanderai », déclare Bert Schulze. « Quand vous investissez dans un ERP, c’est pour sept à dix ans. Vous devez vous demander à quoi ressemblera votre entreprise d’ici là et à quel point l’IT doit être agile et flexible pour soutenir les besoins de votre entreprise ».
Selon le responsable, remettre à plus tard la gestion du changement est « une mauvaise idée, car le budget débloqué ira avant tout dans la mise à jour ».
Pour autant, SAP l’assume désormais : « c’est un périple, cela ne se fait pas du jour au lendemain, et il s’agit d’amener toutes les parties prenantes dans la salle avec vous. Si vous ne le faites pas, vous ne les aiderez pas », lance Julia White à l’adresse des DSI.
L’approche greenfield, synonyme de transformations métiers, selon SAP
L’approche greenfield est donc plus coûteuse. Pas nécessairement parce qu’elle est techniquement plus complexe, mais qu’elle réclame davantage de préparations. Des étapes pouvant coûter une dizaine de millions d’euros pour de grandes multinationales.
Philips Domestic Appliances, revendu à Hillhouse Capital par Royal Philips en septembre 2021 et dorénavant nommé Versuni a décidé il y a deux ans d’adopter l’approche greenfield.
« Quand il a été question de migrer notre ERP vers le cloud, nous avons perçu comme une opportunité unique d’adapter nos systèmes aux besoins réels de nos métiers et de nos consommateurs », déclare Corine Adams, DSI de Versuni.
« Mais cela nécessite d’effectuer une transformation métier, et non une transformation IT. Vous devez comprendre votre organisation, explorer vos processus, vous devez avoir les bons talents et connaître les bonnes pratiques d’adoption du cloud. C’est une approche un peu plus risquée et cela nécessite d’impliquer la direction », ajoute-t-elle.
De plus, Versuni a fait le choix d’adopter S/4HANA Public Cloud Edition, une offre entièrement managée par SAP.
« Je dirais qu’un projet dans le cloud public, c’est 70 % de gestion du changement et 30 % de déploiement IT, car il s’agit avant tout d’activer des fonctions une fois que vous avez mis en place les bons standards métiers », acquiesce Bert Schulze.
C’est un scénario idéal pour l’éditeur et son écosystème. Il peut de la sorte maîtriser la feuille de route, éviter davantage les déboires techniques, s’assurer un flux de revenus récurrents, ainsi que recommander ses services de conseils, ceux de ses partenaires ESN et cabinet de conseils.
Pour autant, l’édition « SaaS » de l’ERP n’est pas la plus populaire. Depuis 2015, sur l’ensemble des déploiements, Bert Schulze et son équipe ont pu « superviser 1 400 conversions vers S/4HANA hébergées en cloud privé et environ 350 implémentations de S/4HANA en cloud public ».
Une ascension longue à préparer, peu importe la voie choisie
Aussi, certaines organisations ne sont pas prêtes à prendre le risque d’un déploiement greenfield, surtout dans un contexte économique difficile.
« Plus un projet est long, plus il est risqué. Ces deux dernières années, nous avons constaté que les clients craignent parfois des réductions de budget alors qu’un projet est en cours de réalisation », déclare Bert Schulze. « Ils envisagent donc de mener leur projet aussi vite que possible, ce qui est en faveur de l’approche brownfield ».
D’autres clients existants préfèrent temporiser et prendre le temps pour se préparer. C’est le cas de Coca Cola Europacific Partners qui a profité de la pandémie pour étendre son benchmarking et l’évaluation de ses processus avant d’adopter IBP, la suite de planification de la supply chain de SAP. L’entreprise doit aussi migrer vers S/4HANA. Tim Marsden, directeur IT Supply chain, chez Coca-Cola Europacific Partners estime que son organisation n’a pas encore tous les éléments en main concernant la gestion des données.
« Nous sommes sur le point de nous lancer dans le déploiement de S/4HANA dans l’ensemble de notre empreinte mondiale. Nous sommes donc très désireux de comprendre de la part de SAP non seulement quels sont les modèles de données clés au niveau de l’entreprise que nous pouvons exploiter, mais aussi quels sont les fonctionnalités, les avantages et les capacités supplémentaires que nous pouvons développer en termes de gestion de nos opérations d’embouteillage, de nos relations avec les clients, les fournisseurs d’une manière beaucoup plus informée ».
Enfin, il faut noter que SAP n’avait pas tous les outils et les guides en place pour accompagner ses clients dans cette transformation dès 2015.
« Depuis lors, nous avons lancé et amélioré un certain nombre d’outils qui ont considérablement simplifié les processus de migration », assure Bert Schulze.
Il reste toutefois quelques trous dans la raquette. Pour n’en citer qu’un, SAP ne localise pas lui-même certains de ses modules dans certaines régions cloud, ce qui oblige les clients à les déployer eux-mêmes. Un outil lancé récemment en accès anticipé doit, là encore, simplifier ce processus.