Les 6 causes du renouveau de l’ERP (étude)
Une étude du MagIT montre un fort regain d’intérêt pour l’ERP en France. Analystes et éditeurs confirment cette « nouvelle vague », dont les déclencheurs vont de la fin du support des grandes suites à un existant inadapté aux volontés de transformations digitales.
Comme chaque année, TechTarget – groupe de presse international, propriétaire du MagIT – réalise une étude mondiale sur l’IT B2B auprès de nos lecteurs. En France, une des tendances IT qui a retenu notre attention est le très net regain d’intérêt pour l’ERP avec des intentions d’investissement dans ce type de projets qui bondissent de 100 %.
Le point est d’autant plus intéressant que l’ERP était un peu « passé de mode » médiatiquement et, surtout, que l’on n’en change pas par plaisir.
Alors, quels sont les facteurs qui expliquent ce renouveau de l’ERP ?... Et y a-t-il vraiment un renouveau de l’ERP ?
« L’ERP monolithique est mort, mais pas l’ERP »
Coupons court au suspens. Après un large tour des éditeurs et des analystes : ils confirment.
« Nous constatons un intérêt considérable pour la modernisation et l’investissement ERP », explique Liz Herbert de Forrester. « Oui, nous constatons clairement un regain d’intérêt pour les ERP », acquiesce Marc Lotito, Associé chez Magellan Consulting.
Oracle confirme aussi et partage ses chiffres en toute transparence : les revenus de Fusion en 2022 ont augmenté de 28 % (contre 21 % pour le groupe). L’ERP est donc devenu moteur de croissance du géant du logiciel et l’éditeur prévoit une progression d’au moins 10 à 15 % par an pour cette offre.
Pour Cegid, c’est aussi une extension du marché à laquelle nous assistons. « L’ERP n’est plus réservé aux grands groupes et aux grandes entreprises ; de plus en plus d’ETI et de PME transforment leur SI en s’équipant de solutions ERP modernes », assure Guillaume Réjou, directeur Marketing Produits du Marché Finance de l’éditeur français.
« L’ERP monolithique est mort, mais pas l’ERP » ; résume Olivier Lemaitre, directeur France des solutions finance et supply chain d’Oracle France. Sans se concerter, Sophie Bodet, directrice Marketing Western Europe de Forterro (l’éditeur français d’ERP industriel dont un des plus connus est Sylob) a presque la même formule : « L’ERP monolithique n’est plus ».
Les raisons de ce renouveau sont multiples. On peut les résumer en cinq grandes catégories.
I – Des systèmes ERP vieillissants
Lors de son arrivée à la tête de SAP France, le nouveau PDG de la filiale (Olivier Nollent) nous expliquait lors d’un entretien exclusif que « malgré les nuages que l’on voit s’amonceler, les entreprises investissent. […] Pour certaines, c’est un investissement qu’elles ont décalé et qui est [devenu] un impératif aujourd’hui. »
Marc LotitoMagellan Consulting
Même son de cloche chez Workday. « Aujourd’hui, certains [DAF] n’arrivent pas à produire leurs états. […] Le système est trop ancien, les données ne sont pas temps réel. Il faut demander à l’IT de produire des rapports, ce qui peut prendre une semaine, etc. », confirme le Country Manager France de l’éditeur, Hubert Cotté. Conséquence, « On voit arriver de vrais projets de refonte du back-office »
« De nombreuses entreprises s’appuient encore sur de vieux ERP qui ne répondent plus suffisamment aux besoins des métiers, en raison de leur manque de flexibilité et de leur faible facilité d’utilisation », synthétise Liz Hrebert de Forrester.
L’Alsacien Divalto nuance néanmoins ce constat. « Les projets sont nombreux, avec cependant – quelquefois – une certaine frilosité dans la prise de décision, dans un contexte économique qui reste malgré tout perturbé », remarque Jérôme Virey son Président.
Bref, beaucoup d’entreprises françaises en seraient arrivées à ce moment de bascule où la « dette technologique » commencerait à devenir intenable, ce qui expliquerait un « rattrapage » – pour reprendre les mots du PDG de SAP France.
Les CFO comme les COO seraient par ailleurs au premier rang pour cette demande de cœur applicatif consistant, ajoute Olivier Lemaitre d’Oracle France, qui parle même de « mise au rancart de solutions arrivant en fin de vie ».
II – Une volonté de transformation numérique
Le deuxième facteur, qui recoupe le premier, est la volonté de transformation digitale des entreprises.
« Nos clients sont tous dans des trajectoires de transformation importante de leurs business models », nous déclarait Olivier Nollent de SAP France dans la même interview. « Ils manœuvrent tous dans un contexte macroéconomique de plus en plus fluctuant. Ils doivent tous gagner en agilité. Et pour cela, ils ont besoin de mettre en place des SI beaucoup plus modulaires. »
Les entreprises cherchent également des processus plus lean, plus efficaces, plus standardisés et plus simplifiés, et à prendre des décisions en ayant des données propres et fiables sur lesquelles s’appuyer, ou encore à capitaliser sur l’IoT et passer à l’industrie 4.0.
Autant de choses difficiles à faire avec un existant vieillissant, voire obsolète.
Particulièrement concernée par cette modernisation du back-office liée à une volonté de transformation numérique, l’industrie serait un des segments les plus dynamiques, avance Jérôme Virey de Divalto.
Pour Infor, éditeur racheté par le géant industriel américain Koch, « la modernisation de l’ERP est une priorité d’investissement chez nos clients – particulièrement sur les thèmes de l’Hyper Automation, de l’IA et du ML afin […] d’améliorer la scalabilité des processus et de réduire les erreurs de traitements ».
« Après l’installation des premiers ERP à partir de la fin des années 90 et tout au long des années 2000, il est temps pour les entreprises de renouveler leurs solutions », témoigne Marc Lotito de Magellan Consulting. « Cela concerne notamment l’ensemble du secteur Énergie-Utilities-Télécom-Industrie (qui est beaucoup plus équipé d’ERPs que les secteurs Banque/Assurance et Secteur Public) », explique-t-il.
III – Arrivée d’une génération « d’ERP moderne »
Troisième facteur, ce besoin concorde avec l’arrivée à maturité d’offres cloud et/ou de nouvelle génération sur le marché dont tous les éditeurs, sans exception, s’accordent sur le portrait type.
Cette nouvelle génération d’ERP se caractérise par :
- Des interfaces plus ergonomiques, y compris mobiles.
- Des ERP plus adaptés (verticaux et microverticaux – au cœur de la stratégie d’un éditeur comme Infor) avec de bonnes pratiques sectorielles embarquées.
- Des ERP plus adaptables, avec des paramétrages plus fins et le no-code/low-code pour des extensions.
- Des ERP plus modulaires qui permettent une adoption progressive des solutions, en débutant par exemple la finance, le reporting (au sens large de « l’Enterprise Performance Management » ou EPM) pour enchaîner sur les achats ou la Supply Chain. Voire de garder certaines fonctions sur site.
- Des ERP plus connectés : avec des APIs et des connecteurs. C’est un point central pour l’industrie et l’IoT.
- La modularité et la connectivité sont les deux caractéristiques de ce que Gartner appelle « l’ERP composable »
- Des ERP plus sécurisés en natif
- Des ERP plus « analytiques » avec de la BI et des tableaux de bord intégrés
- Des ERP plus « smart » avec de l’analytique avancée – comme des fonctions prédictives et prescriptives, ou de planification dynamique à la volée (c’est-à-dire faire des prévisions plusieurs fois par semaine pour un pilotage pragmatique, au plus près du terrain) – et infusés à l’IA pour automatiser des choses comme la réconciliation bancaire. Ou encore complétés avec de la RPA.
IV – Les contraintes réglementaires
Quatrième facteur, et non des moindres, l’évolution réglementaire impose de nouvelles contraintes aux entreprises, ce qui les pousserait – en plus de leurs volontés de transformation – à regarder cet outillage plus moderne et capable d’y répondre.
On citera pêle-mêle le Prélèvement à la Source, la facture électronique, ou encore la Déclaration sociale nominative. Mais le vrai déclencheur (en tout cas pour envisager de migrer la pièce maîtresse de l’ERP qu’est le « core Finance ») semble bien l’ESG et donc, le reporting de données extra-financières RSE.
Or actuellement, selon une étude de CCH Tagetik, à peine 19 % des DAF auraient à leur disposition un outil de consolidation qui leur permette de produire de tels KPIs.
« Le vrai driver [d’un changement d’ERP financier], c’est le pilotage de la data », acquiesce Hubert Cotté de Workday. « D’ailleurs, ces problématiques ESG – sujet très chaud pour les directions financières et les directions générales – c’est de la consolidation ».
V – Fin du support initial des grands ERP
Tous ces éléments font que Magellan Consulting parle « d’une deuxième » vague de l’ERP.
Mais il existe une autre raison, peut-être la plus forte dans les décisions de migration : la fin du support et l’obsolescence des versions historiques des « grands » ERP, en premier lieu SAP ECC (à horizon 2027).
C’est d’ailleurs le premier facteur cité par Magellan Consulting et le second par Forrester.
« Le premier facteur d’explication est l’obsolescence des versions historiques des “grands” ERP selon des modalités qui évoluent (à horizon 2027 pour SAP, et selon une logique d’évolution continue pour Oracle). Cela représente des contraintes fortes pour les DSI qui doivent suivre une cadence soutenue de mises à jour », insiste Marc Lotito. « Toutefois, la complexité de ces transformations, à la fois fonctionnelle et technique, engendre la nécessité de bien les préparer avec […] des roadmaps complètes, qui s’étalent généralement sur 4 à 5 ans ».
Un timing qui fait que 2022 et 2023 sont donc les bons moments pour regarder à nouveau « l’irremplaçable ERP » – dixit Sophie Bodet de Forrtero.
VI – Des projets ERP moteurs du trajet vers le CX
Autre enseignement de l’étude du MagIT/TechTarget, les projets ERP – en back-office – ne se substituent pas aux projets CRM ; ils s’y ajoutent au moment où les entreprises françaises étendent leurs outillages CRM vers l’expérience client CX.
« Ces dernières années avaient été marquées par un fort attrait pour la thématique de l’expérience client, et donc une vague d’investissement massif sur les Front office », partage Olivier Nollent (qui a passé plusieurs années chez Salesforce avant de prendre la direction de SAP France). « Cependant, pour que l’expérience client soit fluide et complète, nos clients prennent conscience que des processus de bout en bout bien orchestrés et agiles, ainsi que des données structurées et fiabilisées, sont indispensables.
D’où le focus mis sur les projets de refonte du backbone de l’entreprise ». Le CRM/CX serait donc, en quelque sorte, le sixième facteur de renouveau de l’ERP.