Huawei : « l’innovation fait de nous l’équipementier le plus performant »
Un an après avoir annoncé des pertes record, l’équipementier chinois n’a pas perdu une part de marché en Europe et lance des solutions de pointe pour les telcos comme pour les datacenters.
Contre toute attente, l’acteur qui aura en définitive réussi à tirer à lui la couverture du MWC2023, le salon annuel des télécoms, est Huawei. L’équipementier, fort d’un stand gigantesque qui occupait l’essentiel de l’immense hall 1, y tenait pour ainsi dire un salon dans le salon, avec la nécessité d’arborer un badge spécial pour le visiter.
Dans ses allées, des antennes télécoms présentées comme étant meilleures – plus petites, moins chères, qui connectent plus d’utilisateurs – que celles de Nokia et Ericsson. Mais aussi des switches et des routeurs en avant-première, avant leur commercialisation en juin prochain, dont on nous dit qu’ils battent toutes les caractéristiques des produits Arista et Cisco. Que ce soit dans les datacenters, en Edge, ou encore dans l’infrastructure des opérateurs alternatifs qui vendent des fibres privées.
À l’honneur, la filiale française y fêtait ses 20 ans d’existence et signait à tour de bras des contrats avec des comptes du CAC40 – on apprendra que TotalEnergies lui achète des onduleurs hors pair pour enfin parvenir à stocker l’énergie de ses centrales solaires dans des batteries – comme avec les PME. Celles-ci bénéficieraient des mêmes traitements que les plus grandes entreprises : des délais de livraison ultra courts quand tous les autres fournisseurs souffrent toujours de pénurie et des configurations de pointe qui ne font l’économie d’aucune fonction.
Le constat est plutôt paradoxal, dans le sens où, dans l’imaginaire collectif, Huawei fait partie de ces équipementiers chinois forcément abattus depuis qu’ils sont bannis des marchés et privés de technologies innovantes par les USA. On se souvient qu’en mars 2022, il annonçait d’ailleurs une perte record de 30 % de son chiffre d’affaires du fait des sanctions américaines. Pourtant, en réaction, le groupe s’est lancé dans une politique d’innovation tous azimuts, avec l’objectif de reconquérir des parts de marché sur la seule foi de son savoir-faire.
« En un an, nous avons recruté 10 000 ingénieurs pour faire avancer notre R&D, pour développer les technologies que nous n’avons plus le droit d’acheter aux USA », commente Weiliang Shi, le PDG de Huawei France.
« Et c’est un succès. Notre innovation est ce qui nous permet aujourd’hui d’entrer dans les entreprises. Nous nous efforçons de proposer les produits les plus performants pour les clients, pas pour la compétition. C’est un petit peu comme si on nous avait empêchés de mettre des composants dernier cri dans des télés en pensant que cela nous mettrait hors course. Il nous a suffi de vendre des télés plus grandes. »
Pile un an après l’annonce de la nouvelle stratégie, tous les acteurs que LeMagIT a pu interroger voient Huawei comme une locomotive. Y compris dans le domaine des télécoms, le secteur historique du fournisseur, où il conserve, en France, les mêmes 20 % de parts de marché qu’avant les sanctions américaines.
Des antennes toujours très prisées par les télécoms français
« C’est amusant, on me demande souvent s’il nous reste des antennes Huawei dans notre réseau mobile en France. Alors que c’est plutôt l’inverse : nous devons désormais nous forcer à installer de temps en temps des infrastructures Nokia et Ericsson, uniquement pour respecter la multitude des fournisseurs, dans un contexte où nous déployons en priorité des antennes Huawei », confie au MagIT un cadre d’Orange en charge de l’achat des équipements. Il n’a pas souhaité que nous citions son nom.
Selon lui, les antennes Huawei seraient plus avantageuses pour couvrir des zones denses, celles sur lesquelles se concentrent actuellement les déploiements 5G des opérateurs. Outre la nécessité du pluralisme, il concède que des directives de l’ANSSI préconisent néanmoins d’installer plutôt des équipements Ericsson ou Nokia sur les zones dites sensibles, celles où se trouvent des administrations, ou des installations militaires. Mais c’est à peu près tout ce qu’il reste chez les opérateurs des mises en garde américaines contre de supposés logiciels espions dans les produits chinois.
Dans les faits, les antennes télécoms présentées par Huawei sur le MWC ont des technologies inédites, qui pourraient peut-être demain se retrouver dans les réseaux radio privés des entreprises, qu’il s’agisse de Wifi sur un campus, ou de 4G/5G dédiées sur des sites industriels.
« Nous avons trois caractéristiques que vous ne verrez pas ailleurs », argumente un démonstrateur. « Tout d’abord, notre électronique produit un Massive MIMO plus efficace qui, en 5G, nous permet d’avoir 64 faisceaux d’émissions et 64 de réceptions par antenne. » Il s’agit en l’occurrence de jouer sur la propagation des ondes. Au lieu d’émettre des ondes circulaires sur chaque fréquence, l’antenne « boursouffle » la forme de ses ondes en 64 pétales fins qui ne se juxtaposent pas, lui donnant ainsi la possibilité théorique de véhiculer 64 communications avec une seule onde.
Plus exactement, 64 faisceaux serviraient à augmenter de 30 % la bande passante d’une antenne par rapport à 32 faisceaux, la caractéristique des antennes concurrentes. En étant deux fois plus fins, les 64 faisceaux en forme de pétale auraient aussi une meilleure portée.
« La seconde caractéristique est celle de notre antenne MetaBlade, où nous associons sur le même module une antenne 4G et une antenne 5G en les collant l’une contre l’autre », continue le responsable. Normalement, il n’est pas possible de superposer deux antennes au risque que l’une distorde les signaux de l’autre. Huawei y est parvenu en dotant son antenne 4G d’une structure en nids d’abeille inédite, conçue avec un matériau diélectrique à la composition secrète, qui entrelace le chemin des différentes longueurs d’onde pour qu’elles n’interfèrent pas.
Au-delà de la prouesse technique, cette antenne polyvalente de petite taille faciliterait les installations sur les sites compliqués, comprendre partout il n’y a pas de toit-terrasse en haut d’un gratte-ciel pour couvrir la zone environnante. « Nous pensons que la commercialisation de la metablade débutera sérieusement quand les opérateurs couvriront en 5G les zones rurales. »
Enfin, les signaux sont véhiculés à l’intérieur des antennes Huawei via un relief complexe qui guide les ondes. Comparativement à la multitude de câbles coaxiaux qui serpentent à l’intérieur des antennes concurrentes, la structure dessinée par Huawei ferait économiser 10 à 20 % d’énergie par site.
Fournir aux opérateurs alternatifs un kit de gestion WAN
« L’équipement télécom reste la plus grosse part de nos revenus ; il représente 50 % de notre CA en France comme à l’international », commente Weiliang Shi. « Mais le secteur le plus dynamique est désormais celui de l’entreprise. Les switches, les routeurs, les équipements Wifi et les baies de stockage ne pèsent aujourd’hui qu’à hauteur de 20 % dans notre CA, mais leurs ventes progressent de 30 % par an. Nous pensons que cette activité nous rapportera bientôt plus que les équipements télécoms, où nous avons déjà conquis 100 % des parts possibles. »
Signe intéressant, le plus important partenaire de Huawei en France n’est plus OBS, l’ESN d’Orange, mais SPIE, le maître d’œuvre des chantiers d’infrastructures en France, qui développe depuis un peu une activité de construction de datacenters et intervient dans l’installation de fibres privées entre des succursales.
« En marge de notre activité d’équipements réseau et stockage pour datacenters, campus et Edge, nous sommes très présents dans la fourniture d’infrastructures pour réseaux fibres. Nous ne parlons pas ici de la fibre grand public, mais des liens privés commercialisés aux entreprises par les opérateurs alternatifs pour succéder aux anciennes lignes MPLS », dit le responsable d’un autre stand, consacré aux cœurs de réseau.
Dans cette catégorie, Huawei propose surtout de la virtualisation, à savoir une couche logicielle qui permet de subdiviser la bande passante d’une fibre – ou d’un réseau de fibres – en un millier de bandes passantes. Chacune avec ses propres règles de qualité de service, voire chacune dédiée à une entreprise. Comparativement, les anciennes lignes privées MPLS, commercialisées par les opérateurs nationaux, n’autorisaient que sept bandes passantes simultanées.
L’offre de Huawei ressemble ici à un kit prêt à l’emploi pour administrer un réseau WAN et ses multiples LANs. Le prestataire qui souhaiterait commercialiser de l’infogérance réseau accède à des serveurs qui monitorent en permanence les qualités de service, identifient les pannes, réparent et rapportent l’ensemble sur des tableaux de bord centralisés. Les serveurs en question n’ont même pas besoin d’être installés dans un datacenter. Huawei peut louer les siens, hébergés sur le cloud Flexible Engine d’OBS.
Rivaliser avec Cisco dans le haut de gamme des switches Ethernet
Atos, Capgemini et Computacenter seraient aussi de grands partenaires, là, pour doter la SNCF d’une flotte de bornes Wifi, là pour installer des switches et des baies de stockage sur les lieux de vente de la grande distribution.
En vedette du stand datacenter, le switch Ethernet CloudEngine 16800-X dont la commercialisation débutera cet été. Les caractéristiques ont été pensées pour avoir une offre meilleure que celle de Cisco. On dénombre 48 ports 400 Gbit/s, une latence de quelques millisecondes entre l’entrée et la sortie d’un paquet sur le bon port et, plus inédit, la capacité à envoyer du 10 Gbit/s PoE sur 1 900 mètres de câble spécial. Du câble Ethernet classique nécessite un relais tous les 100 mètres.
« Concrètement, cela signifie que vous n’avez plus besoin que de 15 switches sur un site où, normalement, vous auriez besoin d’installer 50 switches. Cela signifie aussi que l’Ethernet devient suffisant pour tous les usages, vous n’avez plus besoin d’ajouter du Fiber Channel ou de l’Infiniband. Il y a moins de câbles, moins d’énergie consommée, moins de maintenance à faire », argumente un autre démonstrateur.
On n’en saura guère plus sur la composition de ce câble ni sur le processeur mystère au cœur de l’appareil et qui permet d’atteindre de telles performances. On apprendra juste que, pour que tout fonctionne, il faut forcément peupler l’intégralité du réseau en équipements Huawei.
Mais le plus surprenant réside plutôt dans la disponibilité prochaine de l’équipement. Au début de cette année, Cisco avait dû annuler ses annonces de nouveaux équipements Ethernet du fait d’une pénurie durable de 400 composants, qui seraient essentiels à la fabrication d’appareils réseau.
« Manifestement, certains fournisseurs ne sont plus capables de livrer leurs produits, car ils n’avaient pas assez sérieusement anticipé les effets de la crise pandémique sur la chaîne logistique. Ce n’est pas notre cas, et c’est aussi l’une des raisons qui explique que des entreprises se tournent désormais vers Huawei pour avoir la certitude d’être livrées », ironise Weiliang Shi.
« En 2022, en France, nous avons livré 95 % de nos produits en moins de trois mois et 92 % d’entre eux en moins d’un mois. Certains ont été livrés en une semaine », assène-t-il.