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L’ADEME et l’ARCEP identifient quatre leviers d’action pour un numérique plus durable
Alors que le sujet de l’empreinte carbone de l’IT est plus chaud que jamais – y compris pour les DSI –, l’ADEME et l’ARCEP ont remis un rapport au gouvernement avec des pistes d’actions qui pourraient s’incarner en contraintes plus strictes.
L’écoconception ou le bâton. C’est en résumé les conclusions – dont le secteur du numérique va devoir tenir compte dans les mois qui viennent – du troisième volet du rapport de l’ADEME (Agence de la transition écologique) et de l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse) remis ce lundi 6 mars 2023 à quatre ministres.
Quatre ministres ? Oui quatre. Bruno Lemaire (Économie, Finances et Souveraineté industrielle et Numérique), à Christophe Béchu (Transition écologique et Cohésion des territoires), à Agnès Pannier Runacher (Transition énergétique) et à Jean-Noël Barrot (ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications). Ce nombre montre bien que le sujet de l’impact de l’IT sur l’environnement est aussi brûlant que le réchauffement climatique.
80 % de l’empreinte carbone vient des terminaux
Le rapport de 130 pages et ses conclusions s’inscrivent dans la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) de la France pour devenir neutre en carbone à l’horizon 2050 (conformément à l’Accord de Paris sur le Climat signé en décembre 2015).
Il fait suite à deux autres volets, remis en janvier 2022, qui brossaient le portrait du numérique en France, et qu’il est bon d’avoir en tête avant d’aborder ce nouveau rapport.
En 2022, l’ARCEP et l’ADEME soulignaient la nécessité d’appréhender le numérique dans son ensemble (du terminal utilisateur au datacenter, de la conception à la mise au rebut) et de ne pas se cantonner au carbone (mais d’intégrer 10 autres indicateurs environnementaux, dont les métaux rares et les minéraux).
Les deux organisations évaluaient par ailleurs l’impact écologique du domaine à 2,5 % de l’empreinte carbone nationale.
Et elles avançaient, surtout, que 80 % de l’empreinte carbone du numérique vient des terminaux, contre 16 % des data centers et 5 % du réseau. Autre chiffre clé qui explique les recommandations du rapport n° 3 : la fabrication représente 78 % de l’empreinte carbone des terminaux et des serveurs, l’utilisation seulement 21 % et la distribution un seul petit pour cent (même quand le matériel est acheminé par avion).
La suite était presque écrite à l’avance : il faut se pencher sur la fabrication (lire ci-après).
Une empreinte qui augmente de 45 % en 2030 (si rien n’est fait)
Le troisième volet commence par dresser l’évolution de l’impact du numérique si rien n’est fait. Dans ce scénario, avec des usages qui se multiplient sous l’influence de la digitalisation des usages (streaming, quantique, métavers, visio, IoT, etc.), l’empreinte carbone du numérique en France progresserait de + 45 % en 2030 et triplerait en 2050.
L’ADEME et l’ARCEP échafaudent ensuite quatre scénarios alternatifs, qui vont de la sobriété rigoureuse à la foi technophile dans le « Tech for Green ». L’exercice est par essence périlleux au regard de la « forte incertitude sur la projection de données […] inhérente à l’exercice de prospective, a fortiori pour un secteur en évolution très rapide comme le numérique et à des horizons aussi lointains que 2050 » (sic).
Ce qui n’est pas incertain, en revanche, et qui est certainement plus intéressant pour les entreprises, c’est la répartition des terminaux.
En 2020, la France comptait 70 millions de smartphones, 59 millions d’ordinateurs portables, 37 millions de fixes, 24 millions de tablettes, 37 millions d’écrans d’ordinateur (et 63 millions de téléviseurs), parmi un total de 800 millions d’équipements.
Et ce sont, peu ou prou, ces appareils qui génèrent le plus d’empreintes carbone (les smartphones représentent par exemple 8 % des 800 millions d’appareils, mais 14,3 % de l’empreinte carbone ; les laptops 7,5 % et plus de 12 % de l’empreinte carbone).
On notera que l’empreinte des seuls smartphones et laptop – la partie du matériel des postes de travail de la digital workplace – dépasse celles des data centers.
Les principaux leviers d’actions : écoconception et « sobriété »
L’ADEME et l’ARCEP font un autre constat : l’impact environnemental des équipements est en grande partie déterminé par leur courte durée de vie.
ADEME - ARCEP
« C’est notamment le cas des smartphones, dont la durée moyenne d’utilisation est de 2 ans et demi, et des tablettes (3 ans environ) » chiffrent les deux entités publiques, même si elles admettent que « ces durées sont difficiles à mesurer précisément et doivent faire l’objet d’un travail de collecte de données supplémentaires ».
Il n’en reste pas moins que le premier axe d’action recommandé par le rapport est l’allongement de la durée de vie « qui peut passer par la prolongation de la durée d’utilisation de nos équipements via la réparation, le reconditionnement (N.D.R. : l’économie circulaire donc) et le meilleur recyclage de leurs matériaux en fin de vie ».
À titre de comparaison, un serveur de data center a une durée de vie moyenne de 3 à 5 ans. Mais de plus en plus de salles informatiques les font durer jusqu’à 7 ans.
Deuxième axe d’action : la sobriété. La sobriété se décline en deux « parfums ». Le premier est la limitation du nombre d’appareils (qui peut être aussi liée à l’allongement du cycle de vie). Le second est la lutte contre l’overkill. C’est-à-dire ajuster les appareils et leurs puissances à l’usage réel (et souhaitable), par exemple la diminution de la taille des écrans ou le retour des téléphones mobiles classiques.
Troisième axe (last but not least) : l’écoconception systématisée. L’ADEME la définit comme « l’intégration systématique des aspects environnementaux dès la conception et le développement de produits (biens et services, systèmes) avec pour objectif la réduction des impacts environnementaux, tout au long de leur cycle de vie à service rendu équivalent ou supérieur ».
Elle passe par des codes optimisés, des flux vidéo adaptés, le basculement en wifi dès que possible, des produits plus réparables et recyclables, etc.
L’écoconception est, en quelque sorte, la matrice des autres axes. Un référentiel d’écoconception (RGESN) a d’ailleurs été publié en novembre 2022. « C’est une bible sortie il y a peu, elle va être un outil incroyable pour toutes les R&D », nous assurait récemment Marie-Céline Plourin d’Oodrive.
Et maintenant ?
Alors que l’IT entre de plus en plus dans le radar de la législation, et qu’elle devrait être une des préoccupations d’un Green Deal 2, il y a fort à parier que ces recommandations deviendront les bases d’une réglementation.
Christophe BéchuMinistre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires
« Ce troisième volet […] chiffré et concret doit nous interpeller fortement », assure Jean-Noël Barrot. « La puissance publique, européenne et nationale, fait pression pour exiger un changement radical en matière d’écoconception, de durée de garantie et de réparabilité de la part des fabricants et des distributeurs », confirme-t-il.
Les pouvoirs publics semblent d’autant plus intéressés par ce sujet que l’IT fait partie du problème de l’empreinte écologique, mais aussi de la solution. « Le numérique est indispensable pour accélérer la transition écologique, et en même temps, il est très impactant en termes d’empreinte environnementale », constate Christophe Bechu. « Le remarquable travail prospectif de l’ARCEP et de l’ADEME nous donne les clés essentielles de cette trajectoire que nous dessinons pour une révolution numérique écoresponsable ».
En attendant, l’ADEME va lancer d’autres travaux sur le numérique dont une étude spécifique sur les métaux (qui peuvent créer une nouvelle dépendance stratégique, souligne l’agence).
Et un programme de certificats d’économie d’énergie (CEE) pluriannuel sur la sobriété du numérique sera lancé dès 2023, en partenariat avec INRIA et EcoInfo.