RSE : les DSI y vont doucement, mais sûrement (mais doucement)
Le premier rapport de l’Observatoire de la RSE et du numérique responsable, lancé par IDC France, dresse un portrait de l’avancée de ces projets dans les organisations publiques et dans les entreprises. Alors même que l’IT entre dans le radar des législateurs.
Les entreprises et leurs DSI se penchent sur la RSE (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance). Mais les débuts sont encore timides.
C’est en substance la conclusion du premier rapport de l’Observatoire de la RSE et du numérique responsable, lancé par IDC France en collaboration avec CGI, Computacenter, Intel et Bouygues Telecom Entreprises.
Un verre vert à moitié vide ou à moitié plein
Premier enseignement, une très large majorité des organisations de plus de 500 employés aurait déjà mis en place une stratégie environnementale et sociétale. Pas de grosse surprise ici, puisque la loi leur impose justement ce reporting extra-financier depuis 2014, dans le cadre européen de la NFRD (Non Financial Reporting Directive).
La surprise serait donc plutôt que 4 % admettent ne toujours pas « avoir initié une quelconque démarche en la matière ».
Cyrille ChaussonSenior Research and Consulting Analyst, IDC France
Deuxième enseignement, les entreprises françaises ont particulièrement centré leurs actions sur le suivi de la consommation énergétique (déjà mis en place dans 85 % des organisations), la réduction des déchets (80 %) et le suivi de la consommation d’eau (79 %).
À noter que le bien-être au travail, l’intégration des personnes en situation de handicap et la parité homme/femme font partie de programmes pour trois quarts des entreprises françaises.
Voilà pour le verre à moitié plein.
Pour le vert à moitié vide, IDC France constate que 24 % des grands groupes et des administrations, seulement, sont réellement avancés dans leurs projets RSE. Autrement dit, « ils sont encore dans une phase de déploiement progressif de leurs programmes ».
Pour l’Observatoire, un des grands freins actuels serait le manque de ressources financières (seul un quart des organisations disposerait d’un budget dédié, global ou par département). Un autre frein est l’absence de responsable RSE désigné en interne. Moins de la moitié des sondés en ont un (40 %), et rarement à temps plein (27 % de toutes les organisations).
Données complexes et Chief Data Officer dédié à la RSE
Un tel responsable RSE paraît pourtant indispensable si l’on considère la complexité du sujet, soulignée récemment par Ekimetrics, spécialiste de l’analytique avancée et de l’IA, qui collabore avec Bpifrance sur ces problématiques.
Pour son DG France, Laurent Félix, cette complexité tient à l’absence de standard de référence pour déterminer un score ESG, mais aussi aux données elles-mêmes. « Elles sont géographiques, temporelles, structurées et non structurées (comme des images satellites). Je n’ai jamais vu un domaine avec une telle complexité de données », confiait-il récemment au MagIT. « C’est hors norme ».
Laurent FélixDG France d'Ekimetrics
Ce qui explique – pour le PDG de Schneider Electric, Jean-Pascal Tricoire – que sur toutes les entreprises qui se sont fixé des objectifs de décarbonation – la plupart à horizon 2025 –, seuls 8 % d’entre elles étaient (en 2022) dans les temps de passage qu’elles se sont donnés.
L’Observatoire IDC France confirme ce point de blocage. « La collecte des données pertinentes relatives à la RSE relève de la gageure pour nombre d’entreprises qui sont confrontées à des environnements silotés », relève Cyrille Chausson, Senior Research and Consulting Analyst chez IDC France. « Mesurer et analyser une politique RSE nécessite, d’une part, d’identifier et d’agréger des données hétérogènes, éparpillées dans des applications métiers et les systèmes de l’entreprise, et d’autre part, de tester et valider la qualité de ce nouveau circuit des données ».
L’expert conseille donc de créer un poste de Chief Data Officer dédié à la RSE. « Cela peut représenter une démarche constructive », avance-t-il.
Une des briques historiques du SI – l’ERP financier – commence par ailleurs à montrer ses limites face à ces données. « Les nouvelles exigences réglementaires [ESG] poussent les DAF à attendre de leur outil de consolidation qu’il intègre les KPIs extra-financiers », notait en janvier CCH Tagetik dans son baromètre 2022 de la Consolidation Statutaire. « Ces problématiques ESG sont une sujet très chaud pour les directions financières et les directions générales », confirme Hubert Cotté, Country Manager de Workday France pour qui le sujet est aussi « une problématique de consolidation ». Une consolidation de nouvelles sources que les outils actuels ne permettraient pas de faire. Conséquence directe, le « pipeline » des éditeurs de Core Finance se remplit.
IT for Green vs Green IT
Autre point intéressant, IDC France s’est penché sur les deux piliers – qui peuvent parfois, et paradoxalement, s’opposer – de la définition du « numérique durable » du Conseil National du Numérique : l’IT for Green (l’utilisation du numérique pour devenir plus durable) et le Green IT (un numérique lui-même plus durable).
Côté IT for Green, « un DSI sur deux cite le Big Data et les outils analytiques [N.D.R. : modulo le problème des données évoquées ci-dessus] comme des technologies utiles pour atteindre les objectifs environnementaux », relève Cyrille Chausson.
Hubert CottéCountry Manager France de Workday
De fait, les outils informatiques – dont l’IoT et l’IA – permettent d’optimiser les matériaux utilisés, les processus de fabrication polluants, ou encore la consommation énergétique (lire sur ce sujet : Comment Vinci Construction réduit ses émissions de GES grâce au Big Data).
Il n’en reste pas moins que l’IT dans son ensemble (hardware, consommation énergétique, etc.) est un poste important de l’empreinte carbone des organisations. Au niveau mondial, son empreinte écologique est supérieure à celle du transport aérien et du transport maritime. Et la tendance à la numérisation et à la transformation digitale devrait amplifier le mouvement.
Marie-Céline Plourin, Directrice RSE du spécialiste français de la gestion cloud et sécurisée de documents Oodrive, estime qu’en fonction des différentes études (Green IT, Shift Project, etc.), les émissions de CO2 liées au numérique représentent entre 2,8 et 4 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) globaux. « Le vrai problème, c’est que le numérique ne va que croissant. Si on regarde les projections de GES du numérique – revus en 2021 par le Shift Project – à horizon 2025 (donc dans simplement deux ans), on sera à plus de 8 % », avertit-elle.
La DSI risque donc de se retrouver rapidement au cœur du réacteur de la RSE. Encore plus rapidement avec les évolutions réglementaires qui se profilent à l’horizon (lire ci-après).
Des solutions et des outils apparaissent
Mais les choses bougent. Et des leviers apparaissent pour résoudre la quadrature du cercle IT, assure Marie-Céline Plourin.
L’économie circulaire, le recyclage d’appareils et l’allongement de leurs cycles de vie en sont un à privilégier dans la mesure où « l’impact environnemental en termes d’émissions de CO2 d’un laptop vient à 80 % de sa phase d’extraction et de production », rappelle la responsable RSE. « Il faut avoir en tête que pour faire une puce électronique de deux grammes, il faut 32 kilos de matières premières […], dont des métaux rares ».
Marie-Céline PlourinDirectrice RSE de Oodrive
IDC France confirme. Parmi les cinq initiatives prioritaires les plus importantes pour réduire leurs émissions de carbone et de GES d’ici 2 ans, 35 % des DSI citent l’allongement de la durée d’utilisation du hardware. C’est la deuxième action la plus prise, derrière la modernisation de l’infrastructure (45 %) et devant une plus grande sobriété des usages IT (32 %).
Par ailleurs, de plus en plus d’outils deviennent disponibles, comme le référentiel d’écoconception (RGESN). « C’est une bible sortie il y a peu, elle va être un outil incroyable pour toutes les R&D », assure Marie-Céline Plourin.
Enfin des référentiels communs commencent à poindre, comme celui du consortium NegaOctet, sous l’égide de l’ADEME. Ce projet vise à normaliser les données de l’IT, dont celles pour faire des ACV (analyse de cycle de vie) ou les PCR (Products Category Rules). « Un datacenter, pour affirmer que son mode de fonctionnement n’émet que tant de CO2 ou qu’il a telle consommation d’eau, devra s’appuyer sur ces bases PCR – sur ce socle commun », illustre la responsable d’Oodrive.
Les DSI ne mettent pas assez de RSE dans leurs appels d’offres
Un autre puissant levier d’action est celui des achats.
IDC France note que 77 % des entreprises et des administrations intègrent désormais des critères RSE dans leurs appels d’offres. Mais curieusement, les DSI ne suivraient pas cette tendance. Seulement 36 % d’entre elles feraient figurer ces critères dans leurs exigences, quand il s’agit de sélectionner des constructeurs, des éditeurs, des opérateurs télécoms ou des sociétés de services.
« Comparés aux autres métiers, le suivi de la gestion des ressources, des émissions carbone et la transparence des approvisionnements des fournisseurs sont des critères RSE moins utilisés par l’IT pour leurs appels d’offres », regrette IDC France.
Certes, 16 % de plus prévoiraient de le faire à l’avenir. Mais selon le cabinet d’analystes, cette part resterait bien trop insuffisante pour combler le retard des départements IT dans ce domaine.
Vers un durcissement réglementaire pour l’IT
Les conclusions de ce premier rapport de l’Observatoire de la RSE sont d’autant plus intéressantes qu’elles sont publiées dans un contexte de durcissement des exigences d’indicateurs extra-financiers en général, et pour l’IT en particulier.
Pascal CanfinDéputé européen, Président de la commission de l’Environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire
En 2024, la NFRD va en effet laisser sa place à la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). La nouvelle directive européenne promulguée à Bruxelles mi-2022 étend l’exigence d’indicateur ESG aux entreprises de plus de 250 salariés (et/ou cotées). Le reporting devra être fait en suivant les normes European Sustainability Reporting Standards (ESRS), en cours d’élaboration. Et les données communiquées par les organisations devront être auditables.
Résultats, ce sont désormais 50 000 entreprises – ainsi que leurs DSI – qui sont concernées par ses contraintes plus strictes.
Quand à l’IT, grande absente du Green Deal européen qui vise à faire de l’Europe le premier continent neutre pour le climat, elle ne devrait pas tarder à entrer plus sérieusement dans le radar du législateur.
« C’est vrai. Nous n’avons pas assez mis l’accent sur le numérique dans le cadre du “Green Deal 1”, comme je l’appellerais », confie au MagIT le député européen Pascal Canfin, Président de la commission de l’Environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire (ENVI).
L’ancien conseiller du World Ressources Institute (et ex-DG de WWF France) évoque cependant déjà un Green Deal 2 pour la période 2024-2029 qui réparera cet oubli.
« Il y a des choses à faire en plus pour décarboner l’industrie numérique », continue-t-il. « Honnêtement, l’agenda était déjà tellement plein que ce n’était pas possible [de les intégrer dans le Green Deal 1]. En revanche, je pense qu’à très court terme, pour la période 2024-2029, cela fait partie des choses à mettre sur l’agenda ».
La réglementation commence déjà à demander sérieusement des comptes aux data centers, renchérit la responsable RSE d’Oodrive. La réglementation, encore, va imposer aux villes de plus de 50 000 habitants d’avoir une vision globale de leurs politiques sur le numérique responsable. « Il y a une attention de plus en plus forte sur le secteur du numérique pour lui demander de rendre des comptes, ou a minima de donner des chiffres en vue d’une législation », constate-t-elle.
Les DSI de toutes les organisations sont donc prévenues. Si elle n’y est pas déjà, la RSE va s’inviter tout en haut de leurs agendas.
Méthodologie : L’Observatoire de la RSE et du numérique responsable, mené par IDC repose sur une enquête menée en France entre juillet et septembre 2022, auprès de 215 entreprises et administrations françaises de plus de 500 personnes.
Au sein de ces organisations, IDC a interrogé des décideurs impliqués dans les initiatives RSE, dont 105 responsables métier (responsables ou directions de la RSE, directions générales, des opérations, de la logistique, de la transformation, des achats ou des ressources humaines) et 110 responsables IT (DSI, responsables informatiques, des infrastructures ou des études).