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Java SE : Oracle modifie (encore) les règles du jeu
À la fin du mois de janvier, Oracle a annoncé une nouvelle offre de support pour Java SE. Son prix n’est plus calculé sur le volume de postes de travail et de processeurs de serveurs équipés de la licence, mais sur le nombre d’employés dans l’entreprise. Un modèle plus simple selon Oracle, mais bien plus coûteux qu’auparavant.
Le fournisseur ne peut le dissimuler. Une grande partie des revenus d’Oracle provient du support des licences ou de leur gestion auprès de ses nombreux clients.
Sa politique en la matière est souvent contestée. En 2018, Oracle a impulsé le changement de modèle économique concernant le support de Java SE, l’offre consacrée à l’Oracle JDK. D’un modèle de licence perpétuelle, le fournisseur est passé à un mode à l’abonnement en proposant deux types de licences : Java SE Desktop Subscription, pour les postes de travail, et Java SE Subscription, pour les serveurs. En 2019, il annonçait la fin de la commercialisation des licences perpétuelles pour les produits tels que Java SE Advanced, Desktop ou encore Suite.
Java SE Universal Subscription : une nouvelle manière de compter les licences
Le 23 janvier 2023, Oracle a annoncé la disponibilité de Java SE Universal Subscription. Ce modèle de licence remplace les précédentes offres qui ne sont plus disponibles à la vente. Java SE Universal Subscription inclut les licences et le support pour les déploiements Desktop, serveur et cloud de Java SE, à partir de la version 8.
Oracle prétend que ce nouveau modèle d’abonnement est « simple et à bas coût ». Cependant, avec Java SE Universal Subscription, vient un changement de taille. Au lieu d’évaluer l’environnement sous licence par le nombre de NUP (Named User Plus) pour la version Desktop – qui consistait à compter le nombre d’ordinateurs d’une organisation équipés de Java SE Desktop et d’énumérer le nombre de « processeurs » de serveurs utilisés pour exécuter les applications Java –, Oracle compte désormais le nombre d’employés d’une entreprise.
Le fournisseur a une définition très large de ce qu’est un employé. Le terme employé, au sens de la Java SE Universal Subscription, est « défini comme l’ensemble de vos employés temporaires, ou à temps plein et temps partiel, ainsi que l’ensemble des employés temporaires, ou à temps plein et temps partiel de vos agents, contractants, sous-traitants et consultants qui soutiennent vos opérations commerciales internes », indique Oracle dans sa Global Price List consacrée à Java SE Universal Subscription.
Et Oracle de préciser que « la quantité de licences requises est déterminée par le nombre [total] d’employés et pas seulement par le nombre réel d’employés qui utilisent les programmes ».
Selon la grille tarifaire de la nouvelle offre, les entreprises de moins de 1 000 employés doivent s’acquitter de 15 dollars par employé par mois, et ce tarif dégressif tombe à 5,25 dollars par employé par mois pour les entreprises ayant entre 40 000 et 49 999 employés.
Oracle donne l’exemple d’une organisation ayant 28 000 « employés », dont 23 000 salariés, plus 5 000 agents, contractants et consultants. Pour 20 000 à 29 999 employés, Oracle facture Java SE Universal Subscription à 6,75 dollars par mois par collaborateur. Ce nouveau modèle coûterait donc 2,268 millions de dollars par an à cette entreprise.
Pour rappel, Java SE Desktop est facturé au maximum 2,5 dollars par mois par NUP et Java SE Subscription coûte au plus 25 dollars par mois par processeur Oracle. Ces tarifs sont, eux aussi, dégressifs.
Dans le cadre de la nouvelle formule, Oracle invite les entreprises de plus 50 000 collaborateurs à le contacter pour négocier à la baisse le tarif.
En outre, la notion de processeurs pour les déploiements sur serveur ne disparaît pas totalement.
« Vous ne pouvez installer et/ou exécuter le(s) programme(s) Java SE Universal Subscription que sur un maximum de 50 000 processeurs », écrit le fournisseur dans les petites lignes de sa Global Price List.
« Si votre utilisation dépasse 50 000 processeurs, à l’exclusion des processeurs installés et/ou exécutés sur des ordinateurs de bureau et des ordinateurs portables, vous devez obtenir une licence supplémentaire auprès d’Oracle ».
Une augmentation conséquente des coûts de support pour les nouveaux clients
D’après Redress Compliance – un spécialiste des licences et des audits Oracle – le nouveau modèle représenterait une augmentation moyenne des prix de Java SE de 700 % par rapport à la formule lancée en janvier 2019.
Selon les propos de Nathan Biggs, président du cabinet de conseils House of Brick, d’abord relayés par nos confrères de The Register, cette augmentation varie suivant la taille des entreprises et l’empreinte de Java SE. Une ETI de 250 employés ayant 20 utilisateurs de la version Desktop et 8 processeurs Java déployés verrait sa facture annuelle grimper de 1 400 % (3 000 dollars à 45 000 dollars par an). Une entreprise comptant le même nombre de collaborateurs, dans laquelle Java SE Desktop serait déployé sur tous les ordinateurs et qui aurait 48 processeurs Java côté serveur subirait une augmentation de 105 % (21 900 dollars à 45 000 dollars par an).
Or, dans une foire aux questions mise en ligne le 24 janvier, Oracle précise que « les clients des anciens produits Java SE continuent de bénéficier de tous les avantages originaux et peuvent renouveler leur abonnement selon les conditions et paramètres existants ».
Cela est vrai pour les abonnements Java SE Desktop, serveur (abonnement mensuel), ainsi que Java SE Advanced, Advanced Desktop et SE Suite (licences perpétuelles). « Java SE Universal Subscription est un nouveau produit et ne change rien pour les clients existants de l’offre d’abonnement précédente », assure un porte-parole d’Oracle.
Seuls les nouveaux clients sont concernés par le recours à Java SE Universal Subscription, sous-entend le fournisseur.
Quels impacts pour les clients existants de Java SE ?
Deux interrogations demeurent : que se passe-t-il quand un client veut augmenter ou diminuer son empreinte de Java SE ? À l’inverse, si une entreprise souhaite réduire la taille de son environnement Java SE, peut-elle le faire, s’interroge Nathan Briggs. Il anticipe les appels des commerciaux de l’éditeur pour tenter de convaincre les entreprises d’adopter la nouvelle offre. LeMagIT a relayé ses interrogations auprès d’Oracle.
Craig GuaranteCEO et cofondateur, Palisade Compliance
« Si votre entreprise se développe et que vous souhaitez étendre vos licences actuelles pour ordinateurs de bureau, serveurs et clouds, veuillez contacter le service commercial pour obtenir de l’aide », lit-on dans la FAQ d’Oracle.
Sur LinkedIn, Craig Guarente, CEO et fondateur de Palisade Compliance, expert indépendant des audits et de la gestion de licences Oracle, recommande aux usagers de Java SE de prêter attention à « ce qu’Oracle ne dit pas ».
« Lorsque Oracle procède à des changements importants comme celui-ci, il offre généralement des droits acquis, mais avec des réserves. Ce qu’Oracle ne dit pas, c’est si la tarification sera la même, et si oui, pendant combien de temps », signale-t-il. « Nous pensons qu’Oracle propose cette clause d’antériorité afin d’apaiser les inquiétudes de sa clientèle existante concernant le nouveau modèle de licence. Cependant, Oracle va très certainement restreindre, limiter et pousser ses clients existants vers le nouveau modèle. Vous devez vous préparer à cette tactique d’Oracle », prévient-il.
Dans un billet de blog, Jan Borchers, directeur de la gestion produit chez Flexera, fait un rapide tour des impacts de cette décision auprès de ses clients.
Selon les retours obtenus par Flexera, les gros utilisateurs de Java trouveraient leur compte dans la nouvelle offre. Cela réduirait le fardeau de la gestion des licences, des coûts de maintenance supplémentaires et des audits.
Porte-parole d'Oracle
Craig Guarante précise dans son post que « dans le cadre de l’ancien modèle de licence, les clients étaient en lutte constante avec Oracle pour les implémentations Java dans les environnements VMware ». La manière de compter le nombre de licences différerait une fois qu’elles sont déployées sur des machines virtuelles. Cela ralentissait la signature des contrats de support, selon le CEO de Palisade Compliance. Craig Guarante en sait quelque chose : il a travaillé 16 ans chez Oracle et a occupé le poste de vice-président mondial, contrats, pratiques commerciales, Migrations et LMS (Audits) au sein de la firme de Larry Ellison.
« Le nouvel abonnement pour Java SE a été développé sur la base des commentaires de nos clients dont les charges de travail Java s’exécutent dans des environnements de plus en plus diversifiés », confirme le porte-parole d’Oracle. « Il n’est plus nécessaire pour les clients de compter chaque processeur, poste de travail ou utilisateur susceptible d’utiliser l’abonnement, et l’autorisation d’usage porte sur les postes de travail, les serveurs et l’infrastructure en cloud ».
Pour Jan Borchers de Flexera, la limite des 50 000 processeurs de serveurs oblige tout de même les entreprises à « calculer rapidement le nombre de processeurs sur lequel Java est installé ».
Surtout, l’offre Java SE Universal Subscription serait beaucoup moins intéressante pour les plus petites entreprises ou celles « moins engagées dans Java ».
Une aubaine pour les concurrents d’Oracle
« Certaines [organisations] nous ont dit qu’elles cherchaient activement des moyens d’abandonner Oracle Java et d’utiliser des solutions alternatives », écrit-il. « Ces processus ont commencé lorsque les abonnements Oracle sont devenus obligatoires. Nous pensons que cette tendance va se poursuivre et que certains clients continueront à remplacer Java par d’autres solutions ».
Jan BorchersDirecteur de la gestion produit, Flexera
« Je suis tombé par hasard sur la dernière liste de prix Java d’Oracle. Wow, je n’avais aucune idée que Java était si cher ! », affirme non sans sarcasme Mike Milinkovich, président de l’Eclipse Foundation, sur Twitter. « Heureusement, vous pouvez télécharger gratuitement la distribution OpenJDK de Temurin, entièrement compatible, soutenue par la communauté et dont la qualité est certifiée ! ».
Scott Sellers, CEO et cofondateur d’Azul Systems, qui propose un support commercial pour l’OpenJDK a profité de l’annonce d’Oracle pour faire de même. « Nous facturons en fonction de votre consommation et de la valeur que Java apporte à votre entreprise, et nous le faisons pour un prix généralement 70 % inférieur à celui d’Oracle », vante-t-il.
De son côté, AWS propose l’alternative Amazon Corretto, tandis que Microsoft assure le support de l’OpenJDK et sa propre Build open source dans Azure Support. Enfin chez Red Hat, le support de l’OpenJDK et de Temurin est inclus dans la souscription RHEL. Red Hat offre un support distinct et payant pour l’OpenJDK sur Windows, mais celui-ci est inclus dans sa souscription Middleware.