grandeduc - Fotolia
ERP composable : un travail de longue haleine, selon Rimini Street
Selon Éric Helmer, CTO de Rimini Street, l’adoption d’un ERP composable n’a rien d’une sinécure. Mais cela lui semble être la seule option viable pour éviter de devenir un client captif de ces éditeurs.
L’ERP traditionnel doit évoluer. Il est complexe, cher à maintenir, voire dépassé. C’est en tout cas ce que les éditeurs et certaines entreprises disent.
« Il y a 20 ou 30 ans, les entreprises ont investi massivement dans les ERP pour qu’ils durent le plus longtemps possible. Aujourd’hui, elles doivent être agiles parce que nous sommes dans un monde d’incertitude », déclare Éric Helmer, SVP et CTO chez Rimini Street.
« Pour se préparer au changement, elles doivent concevoir un environnement et un système d’ERP flexible, agile ou interchangeable, de sorte que lorsque des changements surviennent, ils puissent facilement changer des composants particuliers plutôt que de devoir changer l’ensemble », avance-t-il. Gartner a défini cette notion par l’expression d’ERP composable.
L’ERP composable implique de recourir à des applications et des plateformes hybrides, déployées sur site et dans le cloud, à différents modules logiciels, idéalement flexibles, pour moderniser ou compléter les capacités d’un ERP existant.
Sur le papier, c’est l’idéal. Conserver les infrastructures et les processus qui animent l’entreprise depuis de nombreuses années. Les enrichir ou les optimiser avec des services innovants. Mais, à y regarder de plus près, il y a une partie immergée de l’iceberg.
Tout d’abord, un ERP traditionnel, bien qu’il supporte de multiples processus clés d’une entreprise, dépend d’une architecture monolithique. « Briser » ce monolithe, le décomposer, n’a rien d’une partie de plaisir tant ses éléments sont intriqués et personnalisés.
Les éditeurs en quête de contrôle sur la gestion de versions
Forts de ce constat, les éditeurs ont mis en place des stratégies commerciales et techniques visant à remplacer les systèmes existants par de nouveaux logiciels ne reprenant qu’une partie des éléments déjà en place (code, données et processus compris), quand ils ne les remplacent pas totalement. Techniquement, SAP assure que la personnalisation à outrance des systèmes legacy empêcherait le bon déroulé des montées de version.
Éric HelmerCTO de Rimini Street
SAP a prévu la fin du support d’ECC 6 pour 2030 au plus tard et encourage la migration vers S/4HANA. Il a mis en place le programme RISE With SAP pour inciter le passage au cloud en misant sur une simplification contractuelle. Cela s’accompagne d’outils pour automatiser la conversion du code ECC de base et de certaines de ses extensions. Une fois que le « cœur » de l’ERP respecte le standard SAP, il convient de faire appel à des partenaires pour souvent recréer de toutes pièces les spécifiques qui seront idéalement hébergés sur la plateforme BTP.
Oracle entend pousser la majorité de sa base installée (JD Edwards, E-Business Suite, JD Edwards et PeopleSoft) vers son ERP cloud Fusion en ne s’appuyant que sur les données de ses clients lors de la migration. L’éditeur souhaiterait idéalement supporter et mettre à jour une seule base de code, comme il le fait déjà pour 10 000 clients. Malgré la nécessité de passer par un déploiement greenfield, Oracle assure que Fusion inclut des processus normalisés qui « respectent les standards de l’industrie » et qui remplaceraient avantageusement les processus en place.
Les décisions prises par les deux éditeurs ne sont pas anodines.
« Je pense qu’une des raisons pour lesquelles Gartner a créé cette notion d’ERP composable, c’est que les analystes ont vu comment les éditeurs d’ERP ont consolidé beaucoup de produits et de services », affirme Éric Helmer. « Ces fournisseurs, dont l’activité se limitait à la vente de licences logicielles, élargissent à présent leur portefeuille », poursuit-il. « Avec le programme RISE ou avec Oracle Fusion, les éditeurs tentent de combiner les services de gestion des applications, de SGBD, la conversion des licences perpétuelles en souscriptions et même l’infrastructure en un seul contrat de cinq ans. C’est un énorme verrouillage propriétaire », juge-t-il.
Pourtant, SAP est l’un de ceux qui affirment que « le futur de l’ERP est composable », comme l’indiquait le titre d’une de ses conférences lors du Gartner IT Symposium au début du mois de novembre à Barcelone. Lors de l’événement, l’éditeur allemand a présenté sa vision du concept. Dans son écosystème, S/4HANA est le socle standard d’un ERP qui peut être complété par des solutions « Line of Business » SAP, des services de l’éditeur et de ses partenaires provenant du programme Industry Cloud et de la plateforme BTP.
« Cette approche est plus ou moins composable », estime Éric Helmer. « Vous mettez tout chez un seul fournisseur. Si cela respecte les exigences métiers et techniques de votre entreprise, faites-le. Cependant, je pense que la tendance est à l’élaboration d’une feuille de route à partir des exigences formulées par l’organisation pour ensuite chercher et trouver les bonnes technologies », ajoute-t-il.
« Si vous opérez ce choix scientifiquement et que vous partez d’une feuille blanche, et non celle d’Oracle ou de SAP, vous allez être en mesure de trouver la meilleure solution répondant à vos exigences au meilleur prix », assure-t-il.
La méthode Rimini Street
Dans cette optique, Rimini Street a établi une « feuille de route vers la modularité » consacrée à l’ERP.
Au cours de ce processus, le spécialiste du support tiers accompagne ses clients pour observer les fonctions clés de l’ERP en place : Order to Cash, Procure to Pay, RH, logistiques, manufacturing, reporting, clôture des comptes, etc.
« Une fois ces fonctions clés identifiées, il s’agit de comprendre ce qui peut devenir modulaire et ce qui devrait l’être », relate le CTO. (à mettre en citation)
Rimini Street a élaboré ce qu’il appelle un « score de mobilité » (« movability scoring » en VO). « Par exemple, nous pouvons examiner les fonctions RH en évaluant la maturité de l’entreprise. Si nous constatons qu’elle ne maîtrise pas cet aspect […] nous pouvons établir un score élevé de mobilité », illustre Éric Helmer. « À ce moment-là, pourquoi ne pas étudier d’autres solutions qui répondent à ce besoin de manière plus rentable ».
Après l’étude des bonnes pratiques sur le marché, Rimini Street peut ainsi conseiller à un client de déplacer les fonctions RH vers une plateforme comme Workday, ADP ou autres.
Éric Helmer,CTO de Rimini Street
À l’inverse, des fonctions de manufacturing hautement personnalisées pourraient se voir attribuer un score de mobilité faible. « Les gens n’aiment pas les spécifiques, mais si vous y réfléchissez bien, ils rassemblent du code, de la propriété intellectuelle, des règles commerciales qui sont uniques à une entreprise », juge Éric Helmer. « Ils peuvent être un peu lourds à maintenir. Ils ont probablement échappé à tout contrôle au cours des dix dernières années, et ce sont des choses uniques qui peuvent différencier une entreprise ». Dans ce cas, il s’agira alors de conserver l’existant et potentiellement de l’optimiser.
Dans un même temps, Rimini Street entend maintenir le support d’ECC quinze ans après la date de fin officielle de SAP. À l’avenir, certaines entreprises pourraient ensuite décider de se tourner vers les nouvelles éditions standards des ERP SAP et Oracle (S/4HANA et Oracle Fusion), puis reconnecter les fonctions qu’elles auraient déjà pu extraire de leurs systèmes existants. Elles retrouveraient le système mis à jour et supporté par l’éditeur ou ses partenaires, et géreraient les intégrations avec d’autres solutions sur étagère, sans développement spécifique.
De manière générale, Éric Helmer déplore le fait que les décideurs se concentrent trop souvent sur le TCO (Total Cost of Ownership) sans entrevoir les retours sur investissement (ROI) à plus long terme. « Vous pouvez sélectionner une solution qui vous coûte moins cher, mais qui sur le long terme sera moins bénéfique pour votre activité », explique-t-il. « Nous aidons nos clients à estimer les impacts d’une décision sur l’efficacité opérationnelle, la réduction des tâches manuelles, les profils de risque, la conformité ou encore sur les KPI. Ce sont autant de choses qui peuvent changer le visage d’une entreprise, en bien ou en mal ».
Il s’agit donc de savoir quand l’investissement dans l’ERP portera ses fruits. « Est-ce que cet investissement sera remboursé entre la première et la troisième année ? Est-ce que l’on peut en tirer des bénéfices dès cette troisième année ? Si oui, très bien. Si les résultats se font sentir dans plusieurs décennies, pourquoi investir ? Comment cela affectera la bottom-line dans dix ans ? ».
Commencer par l’intégration et l’orchestration
Certains décideurs auraient ainsi du mal à se projeter, à prévoir des stratégies sur le long terme. « Nos clients attendent vraiment que nous les aidions à planifier leur feuille de route à long terme », assure Éric Helmer. « Ils ont besoin de soutien pour réfléchir aux meilleures pratiques, aux principes directeurs, et à envisager scientifiquement une orientation pluriannuelle. Car bien souvent, les gens ne regardent que ce qui va arriver la première année ».
Éric HelmerCTO de Rimini Street
Cela ne règle pas pour autant le problème de l’intégration des différentes briques composables. « Il faut commencer par l’orchestration, l’intégration des données et la sécurité », conseille le CTO. « Nous avons tous fait l’erreur il y a quelques années d’adopter un ensemble de solutions pour essayer plus tard de les interconnecter… et cela s’est terminé en cauchemar ».
Il convient alors de définir la manière dont ces solutions et ces logiciels vont pouvoir se « brancher » sur la couche d’orchestration. « Il s’agit de ne plus développer des spécifiques, mais plutôt de configurer les bons produits qui peuvent être intégrés et retirés facilement », résume le CTO.
C’est un changement de paradigme. Jusqu’alors, l’ERP et son éditeur étaient « au centre du monde », selon le CTO de Rimini Street. « Avec l’ERP composable, c’est la couche d’orchestration qui est au centre du monde ».
Or ce control plane, sorte de hub d’intégration, de supervision des mises à jour, de la sécurité et de la gestion des rôles voués à jouer un rôle transversal dans l’entreprise, n’existe pas sur étagère. Il peut-être une combinaison de plusieurs outils : services de sécurité, iPaaS, plateformes d’API, EDI, RPA, solutions d’infrastructure as code, etc.
Techniquement, avec Rimini Connect, le spécialiste du support tiers se concentre pour l’instant sur l’interopérabilité des systèmes applicatifs avec l’ERP legacy SAP et Oracle. Il s’agit de rendre imperméable l’ERP aux mises à jour plus fréquentes des OS, des bases de données, des services mails et des navigateurs Web. L’objectif est d’éviter les changements cassants et de passer outre les matrices de compatibilité des éditeurs, qui habituellement justifient un changement de version, un projet plus coûteux et plus long.
Deux manières de moderniser son ERP
Il y aurait donc deux feuilles de route possibles pour moderniser un ERP : celle des éditeurs et celle que l’entreprise entend mettre en place elle-même.
La première est simple, mais présente des risques d’enfermement propriétaire et de dépendances au rythme de l’éditeur. La seconde serait, selon Éric Helmer, la voie de l’ERP composable, celle qui apporte une véritable flexibilité, une indépendance par rapport aux fournisseurs, au détriment d’une plus grande complexité technique et commerciale.
À l’instar des copilotes de Rally, le CTO estime que la plupart des entreprises sont en train d’analyser les deux routes.
« Tous les éléments financiers et techniques doivent être étudiés. C’est une autre manière de penser. Il n’y a pas de raccourci et ce n’est pas amusant », prévient le CTO. « C’est beaucoup de travail et cela demande de réunir de nombreuses parties prenantes ».
L’analyse nécessaire pour se préparer à passer à l’ERP composable prendrait au moins un an. Un travail long. Mais c’est à cette condition que les organisations arriveront à rendre leur ERP modulaire sans avoir à « abandonner des systèmes dans lesquels ils ont investi depuis des décennies ».
Lors de l’IT Symposium, les grands groupes qui suivent déjà le programme RISE with SAP confirment. Ils décrivent leur projet comme un « voyage » qui durera deux ans. Au moins.