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Siemens se positionne en pionnier du métavers industriel

Pour fêter ses 175 ans, Siemens a présenté sa volonté d’explorer les possibilités du métavers industriel, dont le jumeau numérique serait un élément constitutif. Pour l’heure, les analystes sont mitigés quant à l’existence même du métavers industriel.

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Le métavers. Voilà un sujet presque inévitable pour de nombreuses entreprises. Pour Siemens, spécialiste allemand de l’ingénierie, il prend l’allure d’une croisade. Après avoir annoncé en juin de cette année une collaboration avec Nvidia pour « rendre possible le métavers industriel », Siemens semble maintenant avoir fait le grand saut.

« Nous ne prétendons pas savoir ce qu’est le métavers, mais nous avons une idée de ce qu’il pourrait être et nous voulons le façonner », déclare Peter Körte, directeur de la technologie et de la stratégie chez Siemens, depuis le complexe industriel de Siemensstadt, à Berlin.

Peter Körte est un CTO habile et intelligent. Il sait que si Siemens peut planter un drapeau dans cet espace suffisamment tôt, cela ne fera que renforcer le plan de transformation de l’entreprise. L’éditeur a l’ambition de devenir un fournisseur de plateformes avancées d’ingénierie logicielle.

« Nous ne prétendons pas savoir ce qu’est le métavers, mais nous avons une idée de ce qu’il pourrait être et nous voulons le façonner ».
Peter KörteCTO, Siemens

On ne peut pas être une entreprise qui fête son 175e anniversaire sans connaître une chose ou deux sur la façon de pivoter et de sentir ce qui se vend. Siemens a récemment célébré cette étape importante à Berlin, lors d’un dîner dans la Siemensstadt. Parmi les orateurs figurait le chancelier allemand Olaf Scholz, qui a déclaré que Siemens avait « électrifié, déplacé, unifié et constamment réinventé le monde » – et la voici de nouveau, en train de faire ses vieux tours de réinvention.

« Nous pensons que les jumeaux numériques sont les éléments constitutifs du métavers », déclare Peter Körte, et d’ajouter qu’il s’agit de « rendre les choses réelles ».

Cette idée de « réalité » s’inscrit dans la volonté de l’entreprise d’étendre ses capacités dans les secteurs verticaux où elle est déjà fortement présente, par exemple les transports, les infrastructures et l’énergie. Peter Körte estime que l’entreprise a de nombreux moyens à sa disposition pour aider ses clients existants et nouveaux, tels que Volta Trucks et Automotive Cells Company (ACC), à devenir plus efficaces et plus innovants en utilisant des jumeaux numériques, des équipements et des logiciels de ses partenaires.

L’accord conclu avec Nvidia en juin prévoit que Siemens combine sa plateforme commerciale Xcelerator et son écosystème de partenaires avec Omniverse de Nvidia. Le fabricant de processeurs graphiques présente Omniverse comme une plateforme permettant de créer et d’exploiter des applications de métavers. L’objectif, selon Siemens, est « d’accélérer l’utilisation des jumeaux numériques qui peuvent améliorer la productivité et des processus, tout au long des cycles de production et de vie des produits ».

« Une boîte de Petri pour le métavers »

La société affirme qu’elle compte désormais 58 partenaires accrédités pour Xcelerator, qui complètent la « plateforme » avec des fonctionnalités et des « couches supplémentaires ». Pour que le métavers se matérialise et réussisse à quelque niveau que ce soit, il faudra beaucoup de partenariats et beaucoup de partage de données. Les références de Siemens en matière de jumeaux numériques et les technologies de visualisation de Nvidia ne peuvent être remises en question. En revanche, l’affirmation de Peter Körte selon laquelle Xcelerator peut être « la boîte de Petri du métavers » tient davantage d’un pari.

« Le métavers n’existe pas encore ».
Paul MillerAnalyste, Forrester

Pour autant, selon Paul Miller, vice-président et analyste principal de l’analyste informatique Forrester, cette affirmation n’est pas si farfelue. « Le métavers n’existe pas encore », clarifie-t-il. Il ajoute que Forrester voit des précurseurs du métavers dans des domaines tels que les jeux vidéo, les plateformes de collaboration d’entreprise, ainsi que dans des secteurs tels le manufacturing.

« La combinaison de cas d’usage clairs et d’un solide référentiel technique signifie que le secteur de la fabrication est bien placé pour aller au-delà des précurseurs actuels du métavers. Les industriels adopteront des environnements plus intégrés, dont beaucoup incorporeront des fonctionnalités liées au jumeau numérique », dit-il. « Forrester prévoit que les investissements dans les initiatives de métavers industriel doubleront en 2023 ».

Paul Miller fait référence à un récent rapport de Forrester, « The future of manufacturing », qui affirme que les jumeaux numériques, tout comme Peter Körte le suggère, pourraient être au cœur de tout projet de métavers au sein de l’industrie. Selon lui, l’adoption des jumeaux numériques va évoluer au cours des cinq à dix prochaines années.

« Les progrès techniques et la disparition des silos organisationnels vont enfin permettre de créer des jumeaux numériques qui suivent de manière réaliste la conception d’un produit, de sa fabrication à son recyclage », explique l’analyste. « À moyen et à long terme, ces jumeaux numériques plus complexes dépasseront les déploiements actuels silotés. Ils permettront de dégager des gains de productivité, des indicateurs et d’améliorer la relation client en maximisant la valeur des données tout au long de la vie d’un actif ».

Il est intéressant de noter que, selon M. Miller, aucun fournisseur ne peut tenir cette promesse seul. C’est pourquoi il pense que Siemens est sur la bonne voie en adoptant une approche écosystémique pour sa plateforme Xcelerator.

« Ce secteur a traditionnellement privilégié l’intégration verticale profonde et la stabilité, mais les écosystèmes industriels collaboratifs qui ont récemment fait leur apparition en mettant l’accent sur la vitesse et l’agilité constituent une excellente réponse à l’environnement plus incertain dans lequel nous nous trouvons tous aujourd’hui », ajoute-t-il.

« La notion de partenariat – un vrai partenariat, et pas seulement une diapositive pleine de logos “partenaires” – est essentielle pour construire ce que nous appelons une organisation “adaptée à l’avenir”, qui est adaptative, créative et résiliente ».

Une nouvelle usine construite à l’aide d’un jumeau numérique

Selon Peter Körte, Siemens tente de prouver cette idée en devenant son propre cobaye. Il décrit comment l’entreprise a conçu, modélisé, testé et construit une nouvelle usine à Pékin à l’aide d’un jumeau numérique, simulant les machines, les personnes, les robots et les matériaux pour trouver une combinaison optimale d’équipements et de processus.

Il affirme que l’usine est 20 % plus productive, un chiffre qui ne peut pas être vérifié. Ce qu’il essaie de faire comprendre, c’est que grâce à ce type de simulations, les industriels peuvent trouver des vecteurs d’efficience et jeter les bases d’une vision axée sur les données. Cette approche « data-driven » aurait un impact sur la maintenance, la conception des produits et la gestion du personnel, y compris la formation et l’automatisation.

Ce qui est intéressant, c’est que ce projet s’adresse aux petites et moyennes entreprises (PME), et pas nécessairement aux grands groupes. En proposant ce service, la société espère supprimer les barrières à l’entrée. Elle cherche également à élargir le marché, en s’adressant aux entreprises d’autres secteurs, tels que la médecine (des jumeaux numériques d’organes ont déjà été créés), les opérateurs urbains et même aux protecteurs des ressources naturelles.

Rob Passmore, responsable commercial à la Biosphere Foundation, la filiale à but non lucratif de la réserve de biosphère de l’UNESCO du North Devon, dans le sud-ouest de l’Angleterre, explique qu’il teste actuellement un jumeau numérique établi sur la gamme de produits Xcelerator. Il combine des capteurs IoT, l’observation de la Terre, le big data et le machine learning pour créer un outil d’aide à la décision environnementale. Quel est l’intérêt ?

« Des millions sont dépensés chaque jour dans notre environnement sur la base d’informations erronées », explique Rob Passmore. « Des digues contre les inondations aux ouvrages de traitement des eaux, des changements à l’échelle du paysage aux pratiques agricoles à la gestion du carbone dans les sols, nous volons actuellement à l’aveuglette ».

L’argument de Rob Passmore est qu’en simulant l’environnement local – dans ce cas, un bassin versant de rivière dans le nord du Devon – il est possible modéliser des scénarios. Il s’agit de déterminer quels processus et procédures seraient les plus efficaces pour maintenir les zones ou répondre aux risques.

« Bien que les technologies d’automatisation et de jumeau numérique de Siemens sont plus souvent utilisées dans les usines, les principes fondamentaux sont les mêmes », explique Rob Passmore. « Exécuter des scénarios pour la gestion du changement et les mettre en œuvre dans le monde réel peut minimiser le gaspillage et les coûts ».

Qu’est-ce qui fait de tout cela un élément constitutif du métavers ?

Peter Körte parle de la réunion de plusieurs éléments – collaboration, photoréalisme et immersion, le tout en temps réel – pour permettre aux entreprises de concevoir, construire, exploiter, tester et modifier n’importe quel élément dans un monde virtuel avant qu’il ne soit créé ou modifié dans le monde réel.

Pour illustrer cette idée, Siemens développe sa propre ville intelligente, appelée Siemensstadt Square. Ce projet consiste essentiellement en une refonte de son complexe existant – qui, soit dit en passant, date des années 1890. Bentley Systems, un partenaire depuis 2016, a été chargé de faire en sorte que cela se produise, en élaborant un jumeau numérique de la ville, qui devrait être achevée d’ici 2035.

Nicholas Cumins, directeur de l’exploitation chez Bentley Systems, explique que la phase de planification est déjà bien avancée. Cela permet de comparer différents scénarios pour s’assurer que le complexe atteindra les objectifs de neutralité carbone, par exemple. Qu’il s’agisse d’optimiser la distribution et la consommation d’énergie, de gérer le trafic ou de créer des espaces agréables à vivre, le jumeau numérique d’un environnement urbain bâti permet de procéder par essais et erreurs dans un espace virtuel.

Pour Siemens et Bentley Systems, selon Nicholas Cumins, c’est l’occasion de développer quelque chose que les deux éditeurs peuvent ensuite vendre à d’autres municipalités, villes, aéroports, etc.

Les éléments constitutifs du métavers

Alors, quand est-ce que le métavers entre en scène ? Nicholas Cumins réitère l’idée que le jumeau numérique est « l’élément de base du métavers aujourd’hui », et qu’il s’agit de la capacité de vivre une expérience immersive, d’avoir une interaction en temps réel avec des données qui sont totalement alignées, géospatialement, avec le monde réel.

« Cela apporte un haut niveau de précision », explique-t-il. « Dans ce cas, un jumeau numérique intégral et holistique d’une ville offre la possibilité de présimuler et d’optimiser de manière significative la planification et les opérations urbaines. Il est totalement interopérable, ce qui signifie que vous n’êtes pas tributaire de formats de fichiers ou de logiciels ou d’équipements spécifiques. Il permet une collaboration en temps réel. C’est ce que nous faisons déjà aujourd’hui ».

On peut comprendre la logique, d’autant plus que Meta a eu du mal à vraiment définir sa vision de ce que sera le métavers. Et c’est bien là le problème : il aura une signification différente selon les organisations, ce qui entraînera des priorités différentes. Gartner a pris la même approche en décomposant les éléments constitutifs d’un métavers. Il faut toutefois trouver un terrain d’entente pour en fixer les fondations.

« Pour le moment, nous discutons avec les éditeurs et les clients afin de comprendre ce qu’ils entendent par métavers. Une fois que l’on parlera de la même chose, l’on pourra se concentrer sur les cas d’usage », déclare Marty Resnick, coresponsable du Future Labs chez Gartner, auprès du MagIT.

Attention à ne pas recycler les cas d’usage existants, prévient Gartner

La prédiction de Gartner selon laquelle le métavers mettra dix ans à voir le jour, du moins selon son dernier Hype Cycle, semble remettre en question l’usage même du terme métavers. Toutefois, Siemens et Bentley Systems semblent justifier l’exploitation du terme par l’utilisation accrue des jumeaux numériques.

« Je pense que le risque est que beaucoup d’éditeurs – et pas seulement les éditeurs, mais tout le monde – prennent les cas d’usage de réalité virtuelle, de réalité augmentée ou de jumeau numérique et qu’ils les renomment métavers », commente Marty Resnick.

« Le métavers industriel, comme n’importe quel autre métavers, est encore très immature ».
Marty ResnickCoresponsable Future Labs, Gartner

« Et justement quand il est question de métavers industriel, le problème, c’est que les éditeurs, dont Nvidia et Siemens, évoquent des extensions de cas d’usage existants. Nous ne disons pas que leurs technologies sont inutiles, il est même très important de suivre leurs évolutions. Nous disons plutôt que le métavers industriel, comme n’importe quel autre métavers, est encore très immature », poursuit-il.

Selon l’analyste à la tête des recherches sur les technologies et concepts futuristes chez Gartner, le terme métavers est « très polarisant ». Pour certains, il renvoie directement au projet de Meta (Facebook), pour d’autres, il ne s’agit là que d’un sujet de « science-fiction ».

Toutefois, « le métavers se rapproche rapidement du pic des attentes exagérées, à la même allure que l’IA et la 5G ». Sur le graphique du Hype Cycle, c’est la partie haute de la courbe, avant une chute brutale. « Les gens ne savent pas ce qu’ils en feront, ils ne savent pas ce que c’est, mais cela crée beaucoup d’attentes », résume Marty Resnick, un brin sarcastique. « C’est très difficile de prévoir ce qu’il se passera dans dix ans, mais une fois ce pic passé, les cas d’usage très tactiques verront le jour ».

En clair, le métavers n’existe pas encore, mais la réunion des technologies d’ingénierie et d’exploitation pour permettre la simulation en temps réel d’activités ou d’actifs est un phénomène à suivre de près.

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