Le métavers est-il compatible avec la sobriété et le numérique responsable ?
Annoncés comme une rupture, les univers virtuels (ou métavers) sont aussi un sujet de polémique sur leur consommation énergétique : la 3D en temps réel demandant énormément de ressources de calcul. Le métavers est-il soluble dans le numérique responsable ? Peut-il être écologique ? Possible, mais à certaines conditions.
La banque d’investissement Citi estime que le marché du métavers représente un potentiel de 8 000 milliards de dollars d’ici 2030. Ces perspectives permettent aux startups du secteur de lever des capitaux conséquents : 6 à 8 milliards de dollars au premier semestre 2022, selon McKinsey.
Mais qu’en est-il de sa « durabilité » ? Les crises énergétiques et climatiques imposent désormais de tenir compte de paramètres énergétiques et environnementaux. Et là, le métavers fait polémique.
Des mondes virtuels très réels
Pour limiter le réchauffement de la planète à 2 degrés, l’Europe se doit de réduire ses émissions de 15 % entre 2020 et 2030. Or le numérique participe au contraire à la hausse de la facture énergétique.
Sa consommation augmente de 6 % par an. Elle représente aujourd’hui environ 10 % de l’électricité consommée dans le monde. Une part qui pourrait même atteindre 20 % en 2030.
Avec les ressources qu’ils impliquent (serveurs, GPU, casques, etc.), les univers virtuels risquent de contribuer fortement à une « hyper-consommation » énergétique. De surcroît, l’impact carbone n’est pas le seul facteur à prendre en compte dans une stratégie durable qui doit s’appuyer sur tous les critères RSE. Et sur ces autres facteurs – sociétaux et de gouvernance –, le métavers semble tout aussi peu vertueux. Mais il ne s’agirait pas d’une fatalité.
Un métavers durable est aussi un métavers de confiance
Pour Carole Davies-Filleur, directrice exécutive Sustainable Technology d’Accenture, la responsabilité doit s’apprécier sur des dimensions multiples. Le cabinet de conseil a ainsi listé différents paramètres qui feraient d’un univers immersif un métavers responsable.
Un métavers doit d’abord favoriser la confiance « en garantissant la protection des données personnelles et les droits d’auteur, et être capable d’apporter de la sécurité, par exemple pour les paiements. »
Les environnements sous-jacents doivent en outre être résilients.
Carole Davies-Filleur ajoute les enjeux de sûreté, de prévention des comportements illicites (dont le deepfake), de santé, d’inclusion/accessibilité numérique. Et, « last but not least », comme disent les Anglo-saxons, des enjeux environnementaux.
« [Il n’y aura] pas de carte blanche pour les métavers sur la consommation énergétique », tranche-t-elle.
Poser (imposer ?) des valeurs aux métavers
Co-créateur de l’Académie du Métavers (une école dédiée à ces univers), en partenariat avec Meta (ex-Facebook), Simplon entend également agir sur la dimension du numérique responsable. « Notre raison d’être c’est de mettre sur le marché des professionnels sensibilisés aux notions de responsabilité », assure son président Frédéric Bardeau.
L’association avec Meta peut sembler contradictoire avec certains objectifs, en particulier sur la notion de confiance, en raison des pratiques très critiquées du géant américain dans l’utilisation des données personnelles. Hugues Ferreboeuf alerte d’ailleurs pour que « nos usages numériques ne soient pas simplement dictés par 6 ou 7 entreprises macro-mondiales ».
Beaucoup plus catégorique, Philippe Latombe (député de Vendée spécialiste des questions open source) milite pour poser « dès le départ » des limites et des valeurs aux métavers. « Si les finalités sont uniquement axées sur du récréatif, consommateur d’électricité et de ressources, sans rien apporter à l’humain, à la société et à son avenir, alors il faudra agir ».
Ne pas laisser le métavers aux seuls GAFAM
Agir peut signifier une vigilance accrue à l’égard des ambitions des GAFAM. « Des géants capitalistes dont la seule fin est de faire des profits chercheront avant tout à développer les usages qu’ils pourront vendre », poursuit l’élu vendéen.
Pour lui, la responsabilité est donc du côté du législateur… mais aussi du côté du consommateur qui, par ses choix individuels, peut peser sur les développements de ces acteurs.
Philippe Latombe insiste. Il met en garde contre la perpétuation de la domination des géants mondiaux du numérique au travers du métavers. Il encourage donc à anticiper en permettant l’émergence d’acteurs pluriels, capables d’agir sur les normes, les usages, les modèles économiques et le recrutement des talents.
Métavers sobre
Carole Davies-FilleurDirectrice exécutive Sustainable Technology, Accenture
Afin d’agir sur la sobriété numérique des technologies émergentes, dont le métavers, Accenture milite pour sa part pour un « quotient développement durable » et la prise en compte réelle des enjeux RSE dans les choix de solutions numériques.
Responsable des achats, directeur financier, développeur Web. Tous les postes ont une responsabilité, défend Carole Davies-Filleur.
Pour Frédéric Bardeau de l’Académie du Métavers, outre la formation et la culture, l’action réside aussi dans la définition de critères de conception. Par exemple en imposant des normes d’écoconception sur les casques de réalité virtuelle. « La contrainte et la régulation sont possibles. [Mais] si on demande aux entreprises de s’autoréguler pour des raisons RSE, cela risque en effet d’être plus complexe. »
La consultante d’Accenture signale à ce titre que le métavers n’oblige pas à empiler toutes les technologies les plus polluantes. « Rien n’impose le recours systématique à un casque de VR, à du temps réel ou à une qualité vidéo toujours supérieure, synonymes de plus de consommation et d’impact environnemental », rappelle-t-elle.
Propos recueillis à l’occasion de la première édition du Forum des métavers, organisée le 20 septembre 2022 par RM conseil.