peshkova - Fotolia
Gartner : les technologies stratégiques à suivre en 2023
Lors de son IT Symposium, Gartner a livré ses tendances stratégiques pour 2023 tout en sachant pertinemment que les entreprises appliqueront les prédictions les plus conservatrices.
« La seule certitude que j’ai, c’est d’être dans le doute ». Le titre d’un livre-entretien avec l’humoriste Pierre Desproges semble retranscrire à la perfection l’approche de certaines organisations au moment d’anticiper leurs actions en 2023. La pandémie, la guerre en Ukraine, et la récession économique qui se profile à l’horizon, la pénurie de talents… Autant d’éléments concomitants qui poussent les entreprises à « se préparer à l’impact ». Et pourtant, le cabinet d’analystes Gartner ne veut pas décevoir ses fidèles et a sorti la boule de cristal pour identifier les tendances technologiques à suivre dès l’année prochaine.
Petit manuel de survie pour DSI indécis
Gartner évalue d’abord des tendances stratégiques que les décideurs IT devraient suivre. Anticipant les questions des DSI indécis se demandant s’il faut plutôt économiser, favoriser la croissance ou transformer leur SI l’année prochaine, le cabinet conseille de faire les trois.
Comment ? En optimisant, en augmentant la taille du SI et en innovant. Le cabinet calque ainsi ses prédictions stratégiques sur ces trois thématiques.
Concernant l’optimisation, Gartner estime qu’il faut avoir un œil sur trois tendances majeures :
- L’immunisation des systèmes numériques ;
- L’observabilité appliquée ;
- Et la gestion de la confiance, des risques et de la sécurité des IA (AI Trust, Risk and Security Management, ou AI TRISM).
Pour immuniser le SI à la pénurie de talents, au turn-over ou aux cyberattaques, le cabinet estime qu’il faut regarder du côté de l’ingénierie de la fiabilité du site (SRE), du Chaos Engineering, de l’autoremédiation, de l’observabilité, de la sécurisation de la chaîne logistique logicielle, et des tests logiciels augmentés à l’IA. Pas de surprise ici : toutes ces tendances animent l’écosystème DevSecOps – ou les trois, pris séparément – depuis trois ans environ.
David GroombridgeVP, analyste, Gartner
« Gartner pense que l’investissement dans ces approches, visant à immuniser les systèmes IT, permettra de réduire jusqu’à 80 % les temps d’arrêt et cela favorisera la croissance des revenus », déclare David Groombridge, Vice-président et analyste distingué chez Gartner.
Quant à l’observabilité appliquée, il s’agit ni plus ni moins de l’adaptation des méthodes de supervision et d’optimisation IT « à l’ensemble de l’entreprise ».
« Chaque décision prise par une entreprise génère des données la concernant. Peu importe la décision, en utilisant les données et leur contexte, en y appliquant de l’IA, il est possible de créer une boucle de rétroaction pour prendre des décisions plus rapidement et plus efficacement à l’avenir », assure David Groombridge.
L’analyste donne l’exemple de Toward Klaveness qui a combiné les données météorologiques, géospatiales, les données opérationnelles et les données en provenance des moteurs de ses navires afin de produire des tableaux de bord dynamiques. Les ingénieurs ont ainsi identifié des usages inefficients des moteurs lui ayant permis de réduire les coûts de maintenance, de gasoil et de pièces détachées. Autre application, la détection précoce de l’augmentation des hospitalisations à cause du Coronavirus. L’analyste évoque là l’analyse des eaux usées par les autorités de santé dans différents pays.
Sans maîtrise des algorithmes, ces deux tendances ne pourront se démocratiser, prévient l’analyste. « Les organisations affirment que 41 % des systèmes d’IA qu’elles utilisent ont déjà subi des incidents liés à l’algorithmie ou une fuite de données personnelles », avance David Groombridge.
Pour surmonter cette difficulté, l’analyste présente le concept d’AI TRISM, relatif à la gestion de la confiance, des risques et de la sécurité dans les systèmes d’IA. Cette abréviation renvoie aux techniques, méthodologies et outils utilisés pour superviser les algorithmes et modèles d’intelligence artificielle : l’explicabilité, le MLOps, la sécurité, la transparence ou encore l’application des règles de conformité.
« Cela permet de réduire les risques, favoriser l’acceptation des systèmes d’IA et en tirer des bénéfices », assure encore une fois l’analyste.
Clouds verticaux, plateformes d’ingénierie et réseaux sans-fil
Quant à la montée à l’échelle du SI, Gartner mise sur trois tendances phares :
- Les offres cloud verticalisées ;
- Les plateformes d’ingénierie ;
- Et l’apport des réseaux sans-fil.
Gartner observe l’émergence des clouds verticaux, proposant une combinaison de solutions IaaS, PaaS et SaaS visant à « créer des solutions modulaires spécifiques à certains verticaux » et donc « à améliorer l’agilité et à réduire le time-to-market de produits ou d’outils ». Le cabinet donne l’exemple de Goldman Sachs et de son partenariat avec AWS pour proposer un cloud consacré à la finance. Pour l’heure, ces offres rassemblent des briques plus ou moins spécifiques, mais souvent peu adaptées aux besoins très particuliers de grands groupes qui jonglent – déjà – avec des systèmes existants et leurs appendices dans le cloud.
Pour relever ce défi, les plateformes d’ingénierie représentent une partie de la solution, selon Gartner. Elles doivent aider les développeurs à accélérer la livraison des projets en automatisant les architectures sous-jacentes et en donnant accès à des composants réutilisables, des outils et des portails en libre-service. Il n’y a toutefois pas de produit sur le marché qui unifie l’ensemble de ces fonctions, comme l’a déjà expliqué le cabinet. C’est donc une nouvelle approche qui réclame une nouvelle équipe pour déployer et maintenir une telle plateforme. Adidas aurait déjà pris cette voie.
Selon Gartner, cet accroissement des applications spécifiques va de pair avec l’extension des réseaux sans fil, pour récupérer davantage de données et diffuser plus largement applications et contenus. Suivant le type d’appareils et de cas d’usage, les entreprises seront amenées à déployer toutes les technologies à leur disposition : WiFi, LTE (4G et 5G), LoRaWAN, BLE, Zigbee, Enocean, etc.
« Gartner prédit que d’ici à 2025, 60 % des entreprises géreront plus de cinq réseaux sans-fil simultanément et cela réclamera des intégrations spécifiques, mais ce n’est pas là où se trouve la valeur », avance David Groombridge.
La valeur résiderait dans les technologies adjacentes aux protocoles réseau, par exemple la triangulation pour améliorer la géolocalisation d’actifs, ou encore la récolte d’énergie, une approche encore peu usitée dans l’IoT. Gartner a tout de même trouvé l’exemple du retailer israélien Shufersal qui utilise les capteurs de Wiliot pour géolocaliser et mesurer la température des fruits et légumes expédiés dans ses magasins. Wiliot développe justement des puces BLE (Bluetooth Low Energy) capables de récupérer l’énergie des appareils avec lesquelles elles se connectent.
Il faudra tout de même attendre pour qu’une telle prophétie se réalise. Pour l’heure, les entreprises, les autorités publiques et les équipementiers ont du mal à trouver un terrain d’entente pour déployer certains de ces réseaux, la 5G en tête, et les cas d’usage associés.
Vers la généralisation des superapps et de l’IA adaptative
Mais ce n’est pourtant pas dans ces domaines où les entreprises innoveront en 2023, selon Gartner. Le cabinet d’analystes voit l’émergence de trois tendances que sont :
- Les super-applications ou superapps ;
- L’IA adaptative ;
- Et le métavers.
Ces tendances doivent « favoriser un changement de modèle économique ou accroître la réputation » de ceux qui les embrassent, dixit David Groombridge.
Les superapps sont déjà populaires en Asie-Pacifique. Ce sont des applications qui rassemblent un écosystème de partenaires avec lesquels les éditeurs partagent les données des utilisateurs. Cela permettrait de générer de plus petites applications, des déclinaisons d’une plateforme pour différents usages. Ce ne sont pas des magasins comme Android Store ou Apple Store, mais des systèmes favorisant la création de services intégrés comme AliPay en Chine (Alibaba) ou PayPay au Japon (Softbank).
Plus visible en Europe, l’IA adaptative vise à résoudre les difficultés de systèmes de machine learning existants qui ne s’adaptent pas aux environnements changeants, dont les données d’entraînement sont limitées, et qui ont du mal à généraliser leur apprentissage.
« L’IA adaptative se nourrit de retours en temps réel pour réentraîner les modèles à l’apprentissage et à l’inférence », affirme David Groombridge. Bref, il s’agit d’apporter une forme d’amélioration continue de l’IA.
Selon l’analyste, l’armée américaine utiliserait déjà cette technique pour personnaliser l’entraînement des soldats suivant leurs aptitudes. « Cela accélère l’entraînement des soldats de 40 % », s’exclame l’analyste. Cela pourrait également servir à l’optimisation des voitures autonomes.
Gartner décompose le métavers
Enfin, le métavers. Conscient que cette tendance peut provoquer des crises d’urticaire chez ses clients, Gartner préfère évoquer les composants censés animer un futur métavers.
David GroombridgeVP, analyste distingué, Gartner
Ainsi, les avatars ou « humains digitaux » favoriseraient l’expérience client, l’influence de marque et la formation. Les tokens – en clair les cryptomonnaies et les NFT – offriraient de nouvelles possibilités d’échanges financiers et de vente. Les espaces virtuels d’expériences partagées et le spatial computing simplifieraient la collaboration ou encore l’organisation d’événements.
« La clé pour surfer sur cette vague, c’est d’investir stratégiquement dans les composants du métavers qui vous apporteront de la valeur dès maintenant », annonce le VP chez Gartner. Le responsable donne l’exemple du partenariat entre Siemens et Ndivia pour créer un « métavers industriel », mélange d’analytique, de jumeaux numériques et de réalité augmentée, le même que Microsoft entend promouvoir.
Il y a une dernière tendance cette fois-ci inévitable et transversale : l’application des principes ESG. « Les technologies durables sont la clé pour réduire les émissions et optimiser vos activités », prétend David Groombridge.
Pour autant, Gartner sait très bien que les entreprises ne pourront investir dans toutes ces tendances en même temps. « Déterminez les objectifs de votre entreprise, puis concevez votre propre chemin vers la valeur afin de déterminer où et quand investir », conseille l’analyste. Selon le chemin choisi, les entreprises pourraient ainsi établir leur priorité au cours des trois ans à venir.