Møller-Mærsk envoie sa blockchain par le fond
Le géant du transport maritime Møller-Mærsk met fin à sa blockchain Trade Lens lancée en 2018 avec IBM. La technologie serait viable. Pas les cas d’usage. Il s’agit de la troisième blockchain sabordée en quelques mois dans la supply chain.
C’était un des projets phares d’IBM dans la blockchain. Lancée avec un des plus gros acteurs du transport maritime, Møller-Mærsk, cette technologie de registre distribué appliquée au secteur devait fluidifier et optimiser les échanges réglementaires, tout en réduisant les coûts administratifs.
En août 2018, IBM annonçait que « Trade Lens » était au cœur d’un écosystème d’une centaine d’acteurs. Et que le potentiel de cette blockchain était, plus que jamais, énorme.
Pas de réel besoin du marché pour cette blockchain
Dans sa phase de test, Trade Lens avait enregistré plus de 150 millions d’évènements : des données comme les heures d’arrivée des navires et des conteneurs débarqués et des documents comme les dédouanements, les factures commerciales et les lettres de transport. IBM prévoyait un million d’enregistrements par jour en phase de production.
Rotem HershkoA.P. Møller-Mærsk
Quatre ans plus tard, pourtant, le potentiel de cette blockchain ne semble plus si important.
« Malheureusement, bien que nous ayons réussi à développer une plateforme viable, le besoin d’une collaboration industrielle mondiale ne s’est pas concrétisé », admet Rotem Hershko, Head of Business Platforms chez A.P. Møller-Mærsk. « TradeLens n’a pas atteint le niveau de viabilité commerciale nécessaire pour poursuivre le travail ».
Autrement dit, la blockchain était solide, mais le cas d’usage a pris l’eau. Møller-Mærsk a donc décidé d’envoyer TradeLens par le fond.
Une des blockchains emblématiques d’IBM
TrendeLens était un des grands démonstrateurs d’IBM pour montrer que la blockchain (en l’occurrence Hyperledger) avait des usages loin de la finance. Il s’agit donc d’un revers significatif pour le géant de l’IT.
Un autre projet blockchain d’IBM cible la traçabilité alimentaire (Food Trust). Mais là encore, certains cas d’usages ont laissé les observateurs sceptiques, comme la désormais célèbre blockchain pour tracer les poulets de Carrefour (alors que Carrefour avait déjà la visibilité sur toute sa chaîne d’approvisionnement).
Un concurrent français d’IBM dans la blockchain, Tilkal, souligne qu’il s’agit du troisième grand projet mondial de ce type dans la supply chain à sombrer – après we.trade (soutenu par plusieurs grandes banques dont la Société Générale, Banco Santander, HSBC et Deutsche Bank) et Serai (une filiale de HSBC spécialisée dans le commerce avec les PME).
Un désaveu pour les blockchains « centralisées » dominées par quelques acteurs ?
Pour Matthieu Hug, fondateur de Tilkal, ces échecs ne remettraient pas en cause la pertinence de la blockchain, mais d’un type de blockchain particulier.
Matthieu HuggFondateur de Tilkal
« Le point commun entre ces initiatives est qu’elles sont contrôlées par quelques très grands acteurs […] Or l’une des principales causes de l’opacité des chaînes d’approvisionnement est la peur de perdre le contrôle. Vouloir établir la confiance et la transparence avec une plateforme contrôlée par la poignée d’acteurs les plus puissants de la chaîne de valeur n’est peut-être pas la bonne approche », s’interroge Matthieu Hug. « Pire, la façon dont ces blockchains ont été déployées reflète souvent une gouvernance centralisée. Nombreux sont les projets à vanter les bienfaits d’une technologie décentralisée, facteur de confiance, mais ils l’utilisent ou ils la déploient en la recentralisant ! Par exemple, dans le cloud privé d’un seul fournisseur IT ».
« C’est loin d’être anecdotique : s’il n’y a pas de décentralisation réelle, la promesse fondamentale de la blockchain en termes d’auditabilité est brisée », assène le fondateur de Tilkal.
La blockchain serait en revanche toujours une option viable, mais à condition de respecter ses fondamentaux (décentralisation réelle, cas d’usage pertinents) et de miser sur l’interopérabilité.
Møller-Mærsk promet pour sa part de rebondir sur cet échec et d’utiliser les enseignements de TradeLens « comme un tremplin pour continuer de faire avancer [sa] digitalisation ».