Le DSI, chef d’orchestre en devenir d’une stratégie numérique unifiée (Gartner)
En 2023, les DSI auront moins de budgets, moins de talents dans leurs équipes, mais ils devront tout de même livrer les projets plus rapidement. Ils ont toutefois quelques cartes en main pour se distinguer en orchestrant LA stratégie numérique de l’entreprise, selon Gartner.
Lors de son Symposium IT de Barcelone, Gartner a dévoilé les résultats d’un sondage mené auprès de 2203 DSI en provenance de 81 pays. Comme tous les ans, il s’agit d’analyser leurs priorités et leurs investissements en 2023.
Au total, le cabinet prévoit que ces DSI dépenseront 322 milliards de dollars dans l’IT en 2023. Les 780 DSI en provenance de 51 pays situés en EMEA débourseront 78 milliards de dollars. En 2023, ces DSI de la région EMEA prévoient que leur budget IT augmentera de 4,4 % en moyenne.
C’est moins important que l’inflation qui devrait atteindre 6,5 % en EMEA et en Amérique du Nord la même année. « Cela veut dire que les DSI auront moins de fonds disponibles l’année prochaine », explique Daniel Sanchez-Peira, Vice-président et analyste chez Gartner.
L’inflation plus forte que la hausse des budgets IT en EMEA
Selon les DSI interrogés dans la zone EMEA, ces fonds seront principalement dépensés dans les solutions de cybersécurité (70 %), les projets analytiques et de BI (53 %), les plateformes cloud (48 %). Les projets d’intelligence artificielle (34 %) et d’hyperautomatisation (24 %) seront moins la priorité de ces DSI.
Au global, les trois grandes priorités IT des entreprises évoluent peu en deux ans. En 2020, 61 % des sondés prévoyaient que leur entreprise investirait surtout dans la cybersécurité (contre 66 % en 2022), 58 % dans l’analytique (55 % cette année), et 53 % (50 % en 2022) dans les plateformes cloud.
Cette année, les outils d’intégration et les API figurent sur la quatrième marche du podium : 46 % des DSI envisagent d’accroître leurs dépenses dans ces middlewares. En revanche, en 2023, 47 % des DSI anticipent une baisse des dépenses dans les infrastructures sur site, tandis que 17 % prévoient de les augmenter.
De même, les efforts dans la Digital Workplace ne sont plus autant prioritaires qu’au début de la pandémie : 8 % des sondés anticipent de couper les coûts dans ce domaine et environ 24 % prévoient de les augmenter.
Environ 13 % des DSI prévoient d’abaisser leur investissement dans les ERP, contre 30 % en 2020. Dans un même temps, 27 % des sondés sont prêts à augmenter leur dépense dans ces systèmes. L’effet RISE with SAP, le programme de migration dans le cloud proposé par l’éditeur allemand, pourrait justifier cette hausse.
Malgré ces fluctuations, la pression qui repose sur les épaules des DSI ne faiblit pas. Les PDG et les comités de direction attendent que les équipes IT et leurs partenaires délivrent les projets qui sous-tendent leur transformation ou espèrent tirer les fruits des services numériques déjà déployés. Des retombées qui tardent à se faire sentir, affirment les PDG auprès de Gartner.
Selon les personnes sondées, les deux plus grandes priorités de leur direction ces deux dernières années étaient d’améliorer l’excellence opérationnelle (53 %) et l’expérience des clients et des citoyens (44 %).
A contrario, seulement 29 % des DSI mentionnent l’augmentation du chiffre d’affaires et 22 % l’optimisation des coûts comme des priorités. Gartner recommande justement de miser sur ces deux objectifs. Pour y parvenir, cela demande aux DSI de revoir leurs priorités d’investissement et leur manière de collaborer avec les dirigeants. Or, environ 94 % des organisations auraient des difficultés à mettre sur pied une vision unique pour accompagner leur transformation numérique.
Pour expliquer ce phénomène, Daniel Sanchez-Peira évoque le fait que les différents cadres exécutifs (CEO, CFO, CMO, membres du board, etc.) lancent leurs propres stratégies numériques de leur côté sans priorisation, sans unification. Les DSI se retrouvent au milieu de cette « course » et peuvent en subir les conséquences.
« Quel est l’impact dans vos périmètres ? Combien de bases de données dispersées les membres de votre équipe déploient-ils pour chacune de ces initiatives éparpillées ? Combien d’applications hétérogènes développent-ils ? Combien de points de défaillance ? Combien d’inefficacités opérationnelles s’ajoutent à cela lorsque l’un de ces points de défaillance sera exploité ? Qui sera blâmé pour cela ? Vous ! », s’exclame Daniel Sanchez-Peira en direction des DSI lors d’une conférence.
Mettre en place une stratégie numérique unifiée
Afin d’améliorer cette situation, le cabinet d’analystes suggère au CIO de changer l’étiquette sur leur front.
« Beaucoup de DSI ont une étiquette sur le front où l’on peut lire : “je suis un fournisseur de services. Demandez et vous obtiendrez. Et si quelque chose ne va pas, c’est ma faute” », affirme Daniel Sanchez-Peira.
« Remplacez cette étiquette par une autre qui dit : “je suis un dirigeant responsable des technologies et oui, je vais vous fournir les dividendes que vous attendez de moi. […] Mais je le ferai en réconciliant ces initiatives éparses à travers un cadre unifié, établi sur des objectifs commerciaux communs” ».
Pour cela, le cabinet recommande aux DSI de se concentrer sur l’identification des initiatives et des partenaires les plus prometteurs.
Il s’agit de repérer les sujets les plus souvent mentionnés, les « indicateurs » d’urgence, il convient d’accroître la tolérance aux risques et de déterminer des objectifs financiers tangibles. Ces signaux doivent être corrélés avec les impacts attendus : est-ce un moyen de se différencier de la compétition ? Est-ce que la valeur attendue peut être obtenue rapidement ?
D’autres signaux doivent permettre de repérer les partenaires les plus pertinents pour les DSI. Ces alliés potentiels mettent avant tout les initiatives numériques, sont à la recherche d’une forme de croissance, privilégient les résultats, misent sur l’activité de l’entreprise plutôt que la réduction des coûts ou encore investissent du temps dans cette association.
Ensuite, il s’agirait de convenir des objectifs commerciaux et métiers communs à travers l’organisation. Il s’agit par exemple d’augmenter les ventes d’un certain pourcentage. Pour cela, chaque entité doit établir des métriques permettant de mesurer la progression de l’entreprise au regard de ses objectifs. Le cabinet d’analystes reste volontairement vague quant à la nature de ces indicateurs. Pour l’instant. Gartner espère adapter les Outcome-Driven Metrics (ODM), imaginées par les analystes experts de la cybersécurité à d’autres secteurs.
Daniel Sanchez-PeiraVP, analyste, Gartner
Pour les DSI, il s’agit de prouver de nouveau leur valeur. Selon Daniel Sanchez-Peira, « les DSI ont été les sauveurs pendant la pandémie, mais certains d’entre eux perdent de leur influence ». Ceux qui ont gagné du poids auprès du COMEX auraient compris qu’il faut miser à la fois sur l’expertise IT, celle qui a permis « de garder la lumière allumée » au début de la pandémie, et l’IT au service de la croissance, des métiers.
Il faut bien trouver ceux qui permettront de déployer ces projets IT censés favoriser la croissance « durable » des organisations. En EMEA un peu plus qu’ailleurs, Gartner observe qu’il y a une « sur-dépendance » aux équipes IT. Seulement, 32 % des DSI dans cette zone affirment que les lignes métiers participent à l’exécution des projets « agiles et digitaux ».
« Fusion teams », Business Technologist, profils atypiques : les astuces de Gartner pour palier la pénurie de talents
Pour renforcer « la démocratisation de la livraison des projets digitaux », le cabinet recommande de former des « fusion teams », des équipes multidisciplinaires qui rassemblent des rôles métiers et IT. Ces équipes fusionnées développent chacune un produit ou un projet. Selon Gartner, elles doivent être organisées en vue d’atteindre un résultat, non pas en fonction des rôles. Ainsi, le Product Owner (ou chef de projet) doit avoir des compétences « business », à l’instar des experts des domaines.
En parallèle, il faut accepter l’intégration d’un nouveau rôle dans le dispositif de déploiement : le Business Technologist. Le Business Technologist est un collaborateur en dehors du périmètre de la DSI qui « produit » de la technologie pour des entités métiers, mais qui n’a pas nécessairement d’expérience dans l’IT ou une formation particulière. Celui-ci peut être un « citizen developer » (remplacé par le « maker » aux yeux des éditeurs de solutions low-code/no-code), un data analyst ou encore un citizen data scientist, illustre le VP chez Gartner. Le Business Technologist utilise des outils « légers » comme les plateformes lcnc ou certaines suites BI.
En ce sens, certaines tâches et certains projets peuvent être délégués aux équipes métiers, estime le cabinet. Problème, les DSI se sentent aussi comme les « gardiens de la forteresse ». Les initiatives en provenance des métiers sont souvent perçues comme du Shadow IT, comme le confirme la réaction de la salle.
Daniel Sanchez-Peira est catégorique : cette position conservatrice ne va pas dans le sens d’une stratégie unifiée. « Ne pensez plus gouvernance IT, mais gouvernance d’entreprise », martèle-t-il.
En sus des coûts en hausse, les DSI doivent faire avec des talents de plus en plus rares et chers. Là encore, Gartner estime qu’en sus des pratiques « non conventionnelles », il faut miser sur le recrutement des profils atypiques.
Ces profils ne viennent pas des cabinets de recrutement, de consultances, d’intégrateurs ou d’éditeurs. Ils sont jeunes, moins de trente ans, touche-à-tout numériques et n’ont probablement pas une longue expérience de l’IT. Et pourtant, les étudiants, les travailleurs indépendants, les employés de startups, les membres d’ONG ou d’association sont autant de sources de talents « trop peu exploitées par les entreprises ».
« Vous devrez compter sur des talents non testés. Mais vous devez vous rappeler que vous avez la permission de le faire parce que votre PDG vous demande de trouver des solutions », conclut l’analyste.