Les ambitions françaises d’Oracle sont multicloud
En adéquation avec sa stratégie globale, Oracle tente de convaincre ses clients français de migrer vers le cloud, sans faire abstraction des déploiements existants, qu’ils soient sur site ou dans le cloud.
Lors de CloudWorld 2022, Oracle a présenté sa stratégie pour rendre son offre cloud attractive aux yeux des entreprises. Parti après les autres– les autres étant AWS, Microsoft et Google - le fournisseur tente de décliner son offre cloud à toutes les sauces.
Oracle met en exergue son approche multicloud et hybride, d’abord mise sur pied avec Microsoft Azure dès 2019. Sur quarante régions cloud Oracle (ou data centers), onze d’entre elles sont interconnectées avec celles du cloud Azure. Oracle utilise son réseau dédié FastConnect et les data centers sont physiquement reliés. En outre, il est possible de déployer des bases de données Oracle sur OCI (Oracle Cloud Infrastructure) depuis la console Azure.
En parallèle, Oracle commence à déployer ses services sur AWS, dont MySQL Heatwave – qui arrivera prochainement sur Azure. Les clients d’AWS qui auraient des charges de travail sur OCI pourront intégrer les données de télémétrie du cloud d’Oracle pour les surveiller depuis Amazon CloudWatch. En revanche, pour interconnecter AWS à OCI, il faut encore passer par les services de virtualisation et les backbones d’Equinix ou de Megaport.
Une offre multicloud à la carte
Toutes ces offres résonnent-elles auprès des clients français ? Une bonne partie d’entre elles, selon les équipes commerciales d’Oracle.
Les membres de l’AUFO et du Club JD Edwards, deux associations françaises d’utilisateurs de solutions Oracle, ont noté que la vision du cloud hybride selon Oracle est un « point très positif ».
Christophe Negrier, directeur général d’Oracle France, explique cet intérêt comme une conséquence des déploiements et des migrations menés par les concurrents.
« Certains acteurs sont arrivés en conseillant réécrire toutes les applications pour le cloud », affirme-t-il. « Mais il y a un tel enjeu de vitesse et la complexité est telle que cette piste est très souvent une impasse. C’est un des éléments qui a fait du multicloud une réalité », ajoute-t-il.
Le dirigeant perçoit le multicloud comme un moyen pour Oracle de se distinguer sur un marché français considéré « plus lent à l’adoption », mais comme porteur « de projets innovants ».
Christophe NegrierDirecteur général, Oracle France
« Les clients ont rarement envie de mettre leurs œufs dans le même panier. C’est à la fois un besoin technique et stratégique », assure-t-il.
Ce sujet reviendrait dans la plupart des discussions, suivant la nature des charges de travail. Ainsi, Christophe Negrier évoque la modernisation des applications qui ne passe plus seulement par des services IaaS, mais également des usages PaaS et de l’automatisation.
« Les clients n’ont pas forcément obtenu la valeur escomptée avec le IaaS et sont donc plus réceptifs au sujet du PaaS », avance-t-il.
De même, les entreprises françaises commencent à migrer leurs applications critiques. Oracle France se positionne aussi la complétion des offres SaaS avec des services additionnels d’analytiques, d’IA et de machine learning.
Par ailleurs, le dirigeant observe le basculement progressif des charges de travail HPC vers le cloud public.
« Nous voyons beaucoup de projets de ce type. Les entreprises se posent la question de savoir comment consommer les services HPC et chez quel fournisseur. C’est un sujet sur lequel nous sommes très bien positionnés », vante-t-il.
Certains clients chercheraient à exploiter leurs données résidant des silos, tandis que d’autres sont davantage intéressées par des capacités de débord de machines virtuelles via l’offre Oracle Cloud VMware Solution ou de backups dans le cloud public OCI.
Il y a toutefois des contreparties à une telle approche : le multicloud est coûteux, financièrement et techniquement.
« Oui, le multicloud peut complexifier le pilotage, peut augmenter les coûts, mais les bénéfices sont trop importants pour être négligés », défend Christophe Negrier.
Pas de véritable souveraineté, mais de la « confiance » et de la « transparence »
Toutes les organisations ne peuvent pas se tourner vers le cloud public.
En réponse, le groupe mise depuis 2018 sur ses appliances Cloud@Customer qu’il gère au nom de ses clients dans leur data centers, sur ses régions dédiés (Dedicated Region), et bientôt sur Alloy, son cloud proposé en marque blanche.
Ainsi, les clients français ont été parmi les premiers à adopter les appliances Cloud@Customer.
Christophe NegrierDirecteur général, Oracle France
« En France, nous avons été précurseurs concernant l’adoption de Cloud@customer », affirme Christophe Negrier. « C’est sans doute parce que nous avons une empreinte importante sur les marchés régulés que ces offres-là ont été plus simples à appréhender par nos clients ».
« Depuis quatre à cinq ans, nous observons que certaines entreprises, notamment les banques, veulent adopter le cloud, mais qui, pour des raisons légales, ne peuvent pas aller dans le cloud public », précise Frédéric Bocktaels, Directeur EMEA des activités Cloud@Customer chez Oracle. « La seule façon de bénéficier des avantages du cloud tout en respectant les régulations, c'était ce type de solutions », avance-t-il.
Ainsi, d’après le directeur, environ 235 clients européens ont déployé Cloud@Customer, dont 80 à 85 services financiers, principalement des banques et des assurances. Cloud@Customer aurait également convaincu le secteur public et les opérateurs télécoms. En France, Les Galeries Lafayette ainsi que la MACIF ont adopté la solution.
Plus récemment, l’Agence de services et de paiement (ASP) a déployé une de ces appliances. Pendant le gros de la crise sanitaire, l’ASP a notamment fourni une aide aux entreprises pour le paiement du chômage partiel. L’agence a ainsi déployé Cloud@Customer « pour faire face à l’explosion du nombre de transactions », selon Frédéric Bocktaels.
Or cette offre n’est pas souveraine et peut poser des enjeux de confidentialité. « C'est nous qui manageons le système, c'est nous qui déterminons la facture en fonction de l’usage », rappelle-t-il. « Nous avons des accès importants, mais nous avons les bonnes mesures en place pour respecter des notions de sécurité et de confidentialité ».
Les régions dédiées (disponible à partir d’1 million de dollars par an) prolongent l’empreinte d’Oracle dans les data center de ses clients. Alloy est une déclinaison de ces Dedicated Region pour des partenaires et des opérateurs qui – s’ils le souhaitent - peuvent tenter de se conformer au référentiel SecNumCloud de l’ANSSI et prétendre à l’appellation « cloud souverain ».
Toutefois, telle qu’elle est conçue, l’offre Alloy n’est pas spécifique au marché français, rappelle Christophe Negrier. En premier lieu, elle intéressait davantage les clients et les prospects situés au Moyen-Orient, selon Richard Smith, SVP Tech EMEA chez Oracle. « Cela répond à toutes leurs exigences d’un point de vue réglementaire ».
En Europe et en France, Oracle met plutôt l’accent sur EU-Sovereign Cloud, son nuage souverain au sens européen du terme. Il sera normalement disponible « au cours du deuxième semestre 2023 ».
Les membres de l’AUFO et du Club JD Edwards présents lors de CloudWorld perçoivent la volonté d’Oracle comme une manière « d’occuper le terrain et de combler certains manques ».
Plusieurs questions subsistent cependant concernant « les spécificités locales ».
De même, après Marseille, Oracle prépare l’ouverture d’une deuxième région cloud OCI à Paris qui suit son cours, selon Christophe Negrier. Cette région demeure soumise aux lois extraterritoriales américaines.
Ces initiatives joueraient tout de même en faveur du fournisseur auprès des clients, selon le directeur général d’Oracle France.
« Le fait d’avoir deux régions en France, le fait d’être transparent sur les données, le fait que nous proposerons EU Sovereign Cloud, le fait que nous donnons des dates de disponibilité, le fait que les prix seront les mêmes que nos offres cloud public… Cela crée des conditions de confiance », assure-t-il.
Une image et des stratégies commerciales à peaufiner, selon Gartner
Dans son Magic Quadrant consacré aux infrastructures cloud et aux plateformes de services, Gartner remarque qu’Oracle a su répondre aux enjeux multicloud et de souveraineté qui émergent de la part du marché.
Le fournisseur ferait également preuve de « vélocité » technique. « Oracle poursuit un rythme impressionnant de développement de fonctionnalités d'une année sur l'autre, ce qui le rapproche des leaders du marché en matière de capacités cloud », écrivent les analystes.
Mais le cabinet d’analyse remarque qu’Oracle souffre d’une mauvaise réputation principalement due « à une application stricte de ses conditions commerciales, ainsi que des ventes et un support incohérents ».
En août dernier, le fournisseur a augmenté de 8 % le prix du support pour ses bases de données sur site aux États-Unis. Il a appliqué une politique similaire dans le reste du monde, en la justifiant par l’inflation.
« Nous en discutons avec les clients, mais je n’ai pas vécu de grandes situations de crispation parce que nous anticipons, nous établissons des partenariats sur de plus longue durée et sur des périmètres de plus en plus larges », répond Christophe Negrier.
« Sur le cloud, le ratio bénéfice – coût est en notre faveur. Cela ne veut pas dire que les clients ne disent rien, cela veut dire que nous sommes très compétitifs sur le marché », ajoute-t-il.
Gartner remarque que les efforts de ventes et le réseau de partenaires autour d’OCI « ne sont pas adaptés pour répondre aux demandes concernant les charges de travail non-Oracle ». Les entreprises interrogées par le cabinet partageraient le même point de vue. Pourtant, le fournisseur a assuré lors de sa conférence annuelle que son cloud peut accueillir « toutes les workloads ».
Enfin, Oracle disposerait d’un « écosystème immature » de partenaires et d’une offre de solutions tierces plus faibles que ses concurrents, car les partenaires et MSP ont « souvent été obligés d’entrer en compétition avec les services d’Oracle ». Là encore, le fournisseur tente d’améliorer son positionnement et « s’ouvre aux partenaires », constatent les clubs utilisateurs français.
Article mis à jour pour rectifier la date de disponibilité d'EU Sovereign Cloud, prévu officiellement courant deuxième semestre 2023, et non au premier trimestre 2024.