Huawei en campagne pour devenir un grand acteur du stockage
Le constructeur chinois n’est pas qu’un équipementier télécoms. Lors d’un salon à Paris, il a présenté aux entreprises européennes ses baies de stockage à base d’ARM, censées être 30 % plus économes en énergie que la concurrence.
Opération séduction pour Huawei en Europe. Mi-octobre, le constructeur chinois exposait dans un immense hall du Palais des Congrès à Paris ses différents produits d’infrastructure, qu’il présentait à des entreprises venues de toute l’Europe. En bonne place, la gamme de produits OceanStor Dorado V6, des baies de stockage 100 % Flash qui répondent à tous les protocoles – fichiers, bloc, objets – à prix cassé par rapport aux solutions habituelles des fournisseurs américains.
La particularité de ces baies de stockage ? Elles reposent sur des processeurs ARM. On se souvient en effet que le gouvernement américain a interdit à Huawei l’usage de processeurs x86 fabriqués par Intel et AMD. Cette censure – Huawei parle de « US Ban » – a obligé le constructeur à se séparer de sa gamme de serveurs. Depuis fin 2021, ses machines x86 sont vendues par xFusion, une société chinoise indépendante et créée pour l’occasion.
« Ce processeur ARM est le Kunpeng 920, que nous avons développé avec notre partenaire HiSilicon. Il s’agit d’une puce spécialisée dans le stockage, qui ne consomme pas inutilement de l’énergie pour alimenter des circuits qui ne serviront jamais dans le stockage, comme ce que vous trouvez sur les baies de nos concurrents à base de puces x86. Notre argument, ici, est d’apporter aux entreprises européennes l’empreinte énergétique la plus faible possible en datacenter », lance Ludovic Nicoleau, directeur des produits stockage chez Huawei France.
Ludovic NicoleauDirecteur des produits stockage, Huawei France
Selon lui, à caractéristiques égales, une baie OceanStor Dorado V6 serait 30 % plus efficace en consommation électrique que les produits de la concurrence. En fait, toutes les puces à l’intérieur des Dorado V6 sont fournies par le Chinois HiSilicon : le contrôleur RAID interne qui gère les SSD NVMe, le contrôleur de chaque carte Fiber Channel 32 Gbit/s ou Ethernet 100 Gbit/s. Et même le composant à l’intérieur des disques SSD qui se charge de répartir les données sur la NAND pour ralentir son usure.
Ludovic Nicoleau défend un design hors pair. « Huawei propose des baies de stockage depuis 2002. Il s’agissait de solutions conçues sur mesure pour les opérateurs télécoms, mais qui nous ont apporté un savoir-faire dans l’écriture du système d’exploitation. Ici, chaque fonction, selon son importance, selon sa charge de travail, se voit affecter un certain nombre de cœurs, ce qui nous a permis de développer des designs de processeurs absolument optimisés pour notre OS. ».
Le Kunpeng 920 existe en plusieurs variantes, chacune gravée en 7 nm. En entrée de gamme, le modèle 3210 a 24 cœurs cadencés à 2,6 GHz et consomme 95 watts. En haut de gamme, le modèle 7265 a 64 cœurs cadencés à 3 GHz, et il consomme 200 watts. Il existe aussi un Kunpeng 916 avec 32 cœurs à 2,4 GHz qui ne consomme que 75 watts. Pour sa part, HiSilicon est plus exactement une filiale de Huawei qu’un partenaire tiers.
Huawei aurait utilisé dès le départ des puces ARM. Cependant, le constructeur avait basculé sur des processeurs x86 plus conventionnels, lorsque, en 2016, il décidait de mettre sur le marché des baies de stockage de série, pour toutes les entreprises. Il s’agissait alors des OceanStor V3. Une plateforme qui n’aura vécu que trois ans. Suite à l’interdiction américaine en 2019, Huawei aurait réussi à activer sa R&D pour produire en quelques semaines à peine une nouvelle génération V6, de nouveau à base de puces ARM fournies par HiSilicon. Cette génération V6 a été livrée en Europe dès 2020.
Des designs propriétaires pour des fonctions exclusives
Au-delà du processeur, les SSD, donc, relèvent aussi d’un design propriétaire. Ici, ils ne mesurent pas 2,5 pouces, mais 1,7, ce qui permet d’en installer 36 dans une baie 2U. Les cartes réseau, quant à elles, permettent de paralléliser les flux, de sorte que l’on pourrait, selon Huawei, avoir quatre stockages actifs, chacun dans un data center différent. Les constructeurs concurrents proposent plutôt, par logiciel, un mode de synchronisation sur trois data centers.
Le système d’exploitation – tout en containers – serait mis à jour fonction par fonction, sans que cela provoque le moindre mode de fonctionnement dégradé. Et il proposerait bien en même temps à la fois du NAS, de l’objet, du SAN, et non l’un ou l’autre alternativement. Des visiteurs interrogés par le MagIT à ce propos semblent dire qu’une baie PowerStore de Dell – par exemple –, également vendue pour supporter tous les protocoles, ne serait utilisable en production qu’avec l’un ou l’autre.
Toutefois, selon les détails que LeMagIT a pu obtenir, cette possibilité de cumuler les protocoles NAS et SAN en même temps ne serait arrivée sur les OceanStor V6 que depuis quelques mois, à la faveur d’une mise à jour. Quant au protocole objet, S3 ne sera pas disponible avant une mise à jour qui devrait arriver vers la fin de l’année.
Un autre détail interroge : les 36 SSD d’une baie seraient en réalité découpés en plusieurs grappes de RAID et chaque grappe serait accessible par une carte Ethernet ou Infiniband différente. C’est cette construction qui permettrait de synchroniser rapidement des baies entre elles – jusqu’à 100 km de distance via une fibre tendue entre les sites, dit Huawei. Revers de la médaille, au sein d’une seule baie, les grappes ne communiquent pas entre elles (pour de la redondance par exemple) via le bus PCIe, mais via le réseau Ethernet 100 Gbit/s. Plus précisément via un protocole NVMe/RoCE.
« Nous ne proposons pas de NVMe/TCP, car il n’est pas assez performant », tranche Ludovic Nicoleau, quand on lui demande si ce protocole, bien moins cher que NVMe/RoCE est supporté. « Le fait de choisir NVMe/RoCE pour la communication interne comme pour la présentation externe, en SAN, aux serveurs est un choix technologique, qui nous permet d’homogénéiser l’architecture », assure-t-il.
Huawei, la face matérielle cachée d’Orange ?
Reste à comprendre un paradoxe. Huawei cherche, via ce salon, à faire connaître sa marque parmi les infrastructures de stockage. Mais, dans le même temps, il revendique d’importants déploiements chez de grands comptes. Surtout en France.
« Nos clients sont des administrations, des comptes du CAC40, en majorité de très grands comptes, dans la grande distribution », énumère Ludovic Nicoleau.
Ludovic NicoleauDirecteur des produits stockage, Huawei France
Une supposition faite par LeMagIT est que tous ces clients sont également ceux d’Orange. Orange est un partenaire stratégique de Huawei en ce qui concerne les infrastructures de cloud. Les deux acteurs – plus Deutsche Telekom – ont ainsi mis au point une plateforme système commune, basée sur OpenStack, qui rend leurs datacenters interopérables, et permet à chacun de se prévaloir de points de présence sur le territoire de l’autre. Les points de présence correspondent en l’occurrence à leurs offres de cloud « présentes à l’international » – soit Flexible Engine chez Orange, ou plutôt chez sa filiale OBS.
Huawei, qui fut à l’origine de l’architecture de Flexible Engine en tant que sous-traitant d’OBS, indique aujourd’hui à ses clients européens que tous les équipements qu’il peut leur fournir – y compris des drones de surveillance – sont utilisables conjointement avec des services hébergés en ligne sur Flexible Engine. En l’occurrence, de la sauvegarde, s’agissant du stockage.
« Oui, bien entendu, nous avons une très belle histoire avec Orange et nous collaborons souvent sur de très gros projets, car ils sont à la fois clients de nos équipements télécoms et intégrateurs de nos solutions d’infrastructure », reconnaît Ludovic Nicoleau. « Mais je pense que, surtout, les grands comptes nous choisissent parce qu’ils savent que, nous, nous ne serons jamais rachetés. Ils savent que notre technologie est la plus pérenne », se corrige-t-il immédiatement.
Les baies de stockage OceanStor Dorado V6 pourraient bien précéder l’arrivée en Europe d’une autre gamme de produits : les serveurs TaiShan, eux aussi à base de processeurs Kunpeng 920.