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Investissements en France : AWS montre les muscles
Dans un rapport de 22 pages, le fournisseur cloud américain a dévoilé ses investissements en France et les retours attendus sur l’économie française. AWS sembler jouer de l’influence douce, alors que ses clients s’interrogent sur la pertinence de la certification SecNumCloud.
L’exercice est connu. Généralement, il est effectué par Salesforce qui aime à prouver son impact positif sur l’économie des pays où il s’installe. C’est au tour d’AWS de se prêter à ce jeu dans un rapport intitulé « Étude de l’impact économique d’AWS, investissements en France ». Non pas que le fournisseur ne l’ait pas déjà fait, mais il est souvent compliqué d’obtenir des données précises sur le fonctionnement d’une entité locale d’un géant du cloud américain.
Six milliards d’euros d’investissements sur quinze ans en France
Pour justifier ce qu’il apprête à affirmer, il faut bien se lester de quelques informations contextuelles. C’est l’occasion d’apprendre que l’implémentation d’une région cloud chez AWS se prévoit sur quinze ans.
« Quand nous investissons dans une région cloud, nous établissons un plan sur quinze ans. De 2017 à 2021, cela représente environ 700 millions d’euros d’investissements en France », déclare Julien Groues, directeur général AWS France et Italie.
Julien GrouesDG AWS France et Italie
Cette somme comprend « la mise en place, l’établissement, la maintenance et l’exploitation de la région AWS à Paris ». Pour rappel, le géant du cloud avait commencé à s’installer en 2011 en mettant en place un emplacement de réseau périphérique Amazon CloudFront en région parisienne. C’est en 2017 qu’il avait ouvert sa région cloud Paris comptant 3 zones de disponibilités « isolées et physiquement séparées ».
De 2022 à 2031, AWS prévoit d’investir 5,3 milliards d’euros supplémentaires dans la région. Dans un communiqué de presse, le fournisseur précise que cela comprend « toutes les dépenses directement imputables au projet, notamment la mise en service d’équipements et de logiciels hautement spécialisés et propriétaires, ainsi que les dépenses locales liées à la construction et à l’exploitation des datacenters ».
« Cela représente un investissement de 6 milliards d’euros sur 15 ans », résume Julien Groues. « On estime que cela contribuera à 16,8 milliards d’euros au PIB de la France [sur la période 2017 à 2031] », se réjouit le dirigeant.
Cette estimation correspond à la « valeur générée par l’utilisation d’AWS », les dépenses du groupe en France et l’exploitation des centres de données.
Au cours des quinze ans à venir, le groupe estime que son activité en France générera annuellement « environ 5 271 emplois » à plein temps chez « les sous-traitants de la chaîne d’approvisionnements des data centers ». Ceux-là travailleront pour des opérateurs de télécommunications, des spécialistes du BTP non résidentiel, des producteurs d’électricité, et des mainteneurs et des exploitants des centres de données engagés par AWS.
Le fournisseur ne fait pas uniquement appel à des sous-traitants. « Aujourd’hui, nous avons environ 1 000 employés d’Amazon en France qui soutiennent les opérations d’AWS », indique Julien Groues. Là encore, ce chiffre n’avait jamais été dévoilé. « Il y a davantage de rôles techniques que de commerciaux », assure-t-il.
De manière générale, « ces employés soutiennent l’infrastructure, développent des services, favorisent l’adoption de ces services par nos clients et par nos partenaires », décrit Julien Groues. « Ils ont un rôle d’accompagnement technique et commercial ».
D’autres collaborateurs d’AWS, qui ne sont pas forcément installés dans l’Hexagone, s’occupent des clients français, précise le dirigeant. Selon les informations disponibles sur LinkedIn, à prendre évidemment avec des pincettes, AWS compterait approximativement 128 000 collaborateurs. À titre de comparaison, Amazon employait plus de 1,6 million de personnes en 2021, dont 1,3 million rien qu’aux États-Unis.
Des recrutements pour soutenir les projets des clients
Un plan de recrutement est prévu chez AWS France et concerne « des centaines de nouveaux employés », mais le dirigeant français n’en a pas précisé les contours.
Le 30 septembre 2022, selon la page consacrée au recrutement sur le site Web d’AWS, 205 postes étaient ouverts en France, dont 176 en Île-de-France. Le rôle le plus recherché est architecte solutions : 83 postes étaient ouverts, dont 62 rattachés au bureau de Courbevoie. Leur rôle est de conseiller, et de participer au développement de solutions pour le compte des clients d’AWS. Le contenu des offres d’emploi est suffisamment vague pour tenter de recruter des « spécialistes » dans tous les domaines techniques du cloud.
Selon Julien Groues, ces architectes sont amenés à appliquer les principes référencés dans les guides AWS Well-Architected. Chez les clients français, les tendances récurrentes concernent les choix des technologies AWS, l’optimisation des coûts, l’application de la cybersécurité et des règles de conformité de données, et « depuis cette année, la réduction des émissions de CO2 ». Bien qu’AWS assure respecter le RGPD et s’être assuré d’être allé « au-delà » des recommandations de l’EDPB (European Data Protection Board), la première raison de l’utilisation de la région cloud Paris par les clients demeure la performance.
Le réseau de partenaires APN d’AWS compte plus de 200 entreprises, dont 120 sociétés qui ont leur siège social en France telles Orange Business Services, Capgemini, Sopra Steria ou encore Atos. Ainsi, le rapport diffusé par AWS indique que Capgemini a réalisé 7 500 projets cloud et revendique « plus de 25 références clients actives », dont Storengy et Engie.
Julien Groues rappelle également que de nombreux éditeurs français proposent leur service sur la marketplace d’AWS comme environ 2 000 éditeurs de solutions. Au total, cette place de marché rassemblerait plus de 12 000 « produits et services » achetés par 325 000 clients actifs.
Le fournisseur aime à rappeler qu’il est présent chez « 80 % des entreprises du CAC40 et 70 % des licornes françaises ». Cela donnerait donc 32 clients sur les 40 sociétés ayant la plus grosse capitalisation enregistrée à la bourse de Paris et 18 des 25 startups françaises dont la valorisation dépasse 1 milliard de dollars. De plus, AWS assure que « des dizaines de milliers d’entreprises et de startups françaises » recourent à ses services.
Il y a tout de même un « grand frein à la transition vers le cloud et l’utilisation des services AWS », note le directeur général. Le manque de formations et de compétences numériques pousse le géant du cloud à proposer ses propres formations et certifications. « Depuis 2017, en France, nous avons formé plus de 100 000 personnes dans le domaine du cloud. Nous allons continuer à développer notre offre de formations », indique-t-il. Le groupe entend former 29 millions de personnes d’ici à 2025, mais il s’agit avant tout de parfaire l’éducation des développeurs et des ingénieurs. Par exemple, la formation AWS re/start, un programme de 12 semaines géré par Simplon en France, ne permet de former qu’une centaine de débutants en reconversion par an.
Exigences SecNumCloud : AWS discute avec ses clients
Bien qu’il soit rempli d’indicateurs, il est de bon ton de s’interroger sur la production d’un tel rapport. Outre un outil de publicité comme un autre, l’exercice semble rejoindre les pratiques d’influences douces mises en place par les géants du cloud pour tenter de rappeler à la société civile et aux gouvernements leur importance dans le paysage économique européen.
Le rapport a été diffusé le 28 septembre. Soit une dizaine de jours après que Bruno Le Maire, ministre de l’Économie française, et Thierry Breton, le commissaire européen au marché intérieur, aient saisi l’opportunité de l’inauguration d’un datacenter d’OVHcloud pour présenter leurs ambitions en matière de souveraineté numérique.
Julien GrouesDG AWS France et Italie
« Nous travaillons sur ces sujets-là », affirme le directeur général. « Nous sommes au fait de la version 3.2 de la certification SecNumCloud publié par l’ANSSI. C’est important pour nos clients de répondre à cette certification, donc c’est important pour nous », note-t-il.
En revanche, le géant du cloud n’a pas d’annonce à faire concernant une possible joint-venture avec une entreprise française, comme l’a fait Google avec Thales pour fonder S3NS, ou Microsoft avec Capgemini et Orange pour imaginer Bleu.
Pour rappel, l’obtention de la certification SecNumCloud est conditionnée depuis mars 2022 par la non-soumission au droit extraeuropéen. En clair, une entreprise américaine ne peut pas directement proposer des services SecNumCloud – qui est avant tout un référentiel d’exigences relatif à la sécurité des données et des applications. En revanche, elle peut s’associer avec une entreprise européenne qui détient la majorité des parts de la coentreprise opérant des équipements et des services créés aux États-Unis.
« Nous travaillons avec nos clients pour comprendre leurs attentes par rapport à ces exigences. Nos clients nous disent que s’il s’agit d’avoir des serveurs certifiés SecNumCloud sur lesquels ils doivent gérer des machines virtuelles, ça ne les intéresse pas », poursuit Julien Groues.
Le dirigeant décrit là sans le dire quelques-unes des offres SecNumCloud disponibles sur le marché, par exemple chez Cloud Temple, OVHcloud et 3DS Outscale. Pour autant, des services PaaS et SaaS obtiennent également le précieux sésame, notamment chez Oodrive.
« Les clients saluent la scalabilité et la durabilité du stockage de leurs données et de leurs applications sur AWS, mais ils veulent surtout pouvoir utiliser les services managés, le serverless, les outils comme SageMaker », vante-t-il.
Et à Stephan Hadinger, Head of Technology chez AWS, de rappeler que son employeur a déjà obtenu la certification C5 en Allemagne et ENS (Esquema Nacional de Securidad – Schéma de sécurité nationale) en Espagne. Ces deux normes de sécurité gouvernementales ne protègent pas les entreprises et les entités nationales des lois extraterritoriales américaines.
Le responsable technique insiste sur le fait que le CLOUD Act a très peu d’impact sur les clients AWS grâce au chiffrement et à son système d’informatique confidentielle Nitro.
« Si nos clients ont chiffré les données et si les données sont stockées en dehors des États-Unis, de par la conception de nos contrats, de nos certifications et des aspects techniques, dans le pire scénario qui existe, la seule chose que peut récupérer la justice américaine, ce sont des données chiffrées sans les clés », assure-t-il. « L’impact est nul ou quasi nul : les données ne sont pas utilisables », répète-t-il.