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Microsoft : un remaniement des licences qui divise le marché

Alors que Microsoft affirme faciliter l’hébergement de ses logiciels et son système d’exploitation sur les clouds européens avec ses nouveaux programmes de licences, les fournisseurs américains dénoncent des pratiques anticoncurrentielles. Les hébergeurs français sont plus mesurés.

En mai dernier, par l’intermédiaire de son président, Brad Smith, Microsoft avait longuement exposé ses positions et ses projets en « soutien » des fournisseurs cloud européens. Il prévoyait alors de « faciliter » la revente et l’hébergement de solutions Windows 11, Windows Server, Microsoft 365 et Office 365.

Ces déclarations faisaient suite aux plaintes de plusieurs fournisseurs cloud européens, OVHcloud en tête, et du CISPE, une association rassemblant plusieurs acteurs technologiques américains et européens, dont AWS, OVHcloud, ou encore 3DS Outscale.

À travers trois billets de blog publiés le lundi 29 août, Microsoft a annoncé plusieurs « changements » à ses licences logicielles pour « aider les partenaires à gagner en compétitivité » et apporter « davantage de flexibilité aux clients ».

Dès le 1er octobre, Microsoft proposera plusieurs nouvelles options de licences pour Windows, Windows Server et Microsoft 365. Pour l’occasion, le géant du cloud étend la portée de ses actions aux clients et partenaires partout dans le monde.

Microsoft précise ses intentions

Microsoft introduit d’abord un nouveau programme ombrelle nommé Flexible Virtualization.

 « Les clients disposant d’une assurance logicielle (Software Assurance) ou de souscriptions pourront utiliser leurs propres logiciels sous licence pour créer et/ou installer des solutions et les exécuter sur n’importe quelle infrastructure de fournisseur de cloud computing (sic), dédiée ou partagée », prévoit Nicole Dezen, Directrice générale des partenaires et vice-présidente Global Partner Solutions chez Microsoft.

En sus, Microsoft ajoute un nouveau modèle de licence pour Windows Server établi sur des cœurs virtuels (vCPU).

« Aujourd’hui, Windows Server est concédé sous licence par cœur physique », rappelle Nicole Dezen. Cela réclame une certaine gymnastique pour attribuer les licences suivant la configuration des serveurs, comme l’explique HPE.

A contrario, le nouveau programme permettrait aux clients d’installer des licences Windows Server suivant le nombre de vCPU par VM. Toutefois, Microsoft imposera un nombre minimal de cœurs virtuels et donc d’éléments de licences par machine virtuelle.

Microsoft estime que cela aidera les fournisseurs tiers à attirer les entreprises vers leur cloud.

Quant aux utilisateurs des licences Microsoft 365 F3, E3 ou E5, ils pourront virtualiser Windows 10 et 11 sur leur propre serveur ou « ceux d’un hébergeur externe » sans souscrire à des licences supplémentaires.

Pour activer cette fonction, Microsoft s’apprête à supprimer l’obligation de souscrire à un add-on de licence VDA (Virtual Desktop Access) jusqu’alors nécessaire pour la virtualisation des postes de travail (VDI).

À noter que, Microsoft entend « améliorer » son programme Cloud Solution Provider pour que les partenaires puissent proposer des souscriptions courant sur un an ou trois ans pour les produits Windows Server, Remote Desktop Services (RDS) et SQL Server. Les offres annuelles « bénéficieront davantage d’options de facturation mensuelle ». Cela assurerait une plus grande stabilité des prix.

Un nouveau programme de licences pour les fournisseurs cloud européens

Surtout, le géant du cloud lancera « plus tard cette année » un programme particulièrement adressé aux fournisseurs cloud et aux hébergeurs. Celui-ci remplacera le programme Qualified Multitenant Hoster (QMTH). Actuellement, QMTH permet à un hébergeur tiers d’exécuter des VM Windows via un contrat Microsoft Cloud Agreement ou Microsoft Volume Licensing sur des instances multitenant.

La nouvelle formule, Cloud Solution Provider – Hoster devrait permettre aux fournisseurs cloud de « préconstruire » des solutions DaaS et serveurs depuis un catalogue de logiciels mis à disposition par Microsoft. Les clients pourront acheter de nouvelles licences Microsoft ou utiliser le Bring Your Own License (BYOL).

« Un contrat client Microsoft avec l’hébergeur CSP et une preuve de licence (pour les solutions BYOL) seront exigés du client », précise le géant du cloud. Dans un premier temps, le programme CSP-Hoster ne sera accessible qu’à un nombre limité de partenaires, les revendeurs directs (des partenaires CSP réalisant au moins 300 000 dollars de revenus tirés du cloud par an).

Enfin, l’éditeur entend modifier le contrat de licence pour fournisseurs de services Microsoft (Services Provider License Agreement ou SPLA).

« À sa création, le programme SPLA était destiné à permettre aux partenaires d’offrir des services hébergés à partir de leurs propres centres de données, et non aux fournisseurs de services managés qui achètent [des licences] par le biais du programme SPLA pour [les] héberger sur les data centers des autres », assure Nicole Dezen. « Nous apportons des changements au programme SPLA pour mieux nous aligner sur son intention originelle, et sur d’autres programmes de licences commerciales ».

Dès le mois d’octobre 2022, il ne sera plus possible d’externaliser les licences SPLA sur les data centers des fournisseurs répertoriés, à savoir Alibaba, AWS, GCP et Microsoft. « Tout partenaire SPLA affecté par ce changement a jusqu’au 30 septembre 2025 pour effectuer la transition d’un fournisseur répertorié pour l’hébergement externalisé SPLA ou pour obtenir une licence directement du fournisseur répertorié en dehors de son contrat SPLA ».

Microsoft avait déjà modifié le programme SPLA en 2019. Ultérieurement, il permettait de migrer des licences de Windows Server et d’autres de ses produits disponibles en BYOL sur les serveurs des fournisseurs concurrents. De manière générale, pour conserver ce droit avec les licences achetées après le 1er octobre 2019, les clients doivent souscrire à la Software Assurance et au programme « License Mobility ».

Microsoft a rendu Windows Server éligible au programme License Mobility, empêchant par la même occasion de porter la licence existante vers un cloud d’un fournisseur répertorié. Et si les bénéficiaires des licences achetées avant le 1er octobre 2019 migrent les logiciels vers les hébergeurs concurrents, ils peuvent uniquement les mettre à jour avec des versions disponibles avant cette date.

Plus largement, Alibaba, AWS et GCP sont exclus de la plupart des annonces effectuées ce lundi.

AWS et Google Cloud grincent des dents

En réaction à ces annonces, AWS a renouvelé ses critiques envers la gestion des licences par Microsoft.

« Microsoft redouble maintenant les mêmes pratiques néfastes en mettant en œuvre encore plus de restrictions dans une tentative déloyale de limiter la concurrence à laquelle elle est confrontée – plutôt que d’écouter ses clients et de rétablir des licences de logiciels équitables dans le cloud pour tout le monde », avance un porte-parole d’AWS à l’agence de presse Reuters.

Sur Twitter, Marcus Jadotte, nouveau vice-président des affaires gouvernementales et des politiques publiques chez Google a lui aussi dénoncé cette politique.

« La promesse du cloud est une informatique flexible et élastique, sans restrictions contractuelles », écrit-il. « Les clients devraient pouvoir passer librement d’une plateforme à l’autre et choisir la technologie qui leur convient le mieux, plutôt que celle qui convient le mieux à Microsoft ».

Pour sa part, le CISPE a analysé les annonces de Microsoft au regard des « Principles of Fair Software Licensing for Cloud Customers », qu’il a corédigés avec le CIGREF. Pour rappel, Brad Smith avait promis davantage de clartés de la part de Microsoft dans la rédaction des contrats de licences et à prendre les mesures évoquées ci-dessus en réponse à ce document.

Sauf qu’en l’état, le CISPE estime que les annonces ne répondent que très partiellement aux dix principes définissant un contrat de licence juste. Dans son billet de blog, le CISPE mentionne des imprécisions et s’inquiète de potentielles restrictions pouvant limiter, voire annuler, les avantages annoncés par Microsoft.

Surtout, le CISPE émet de sérieux doutes sur les politiques tarifaires appliquées par le fournisseur.

« L’une des principales plaintes de nos membres concerne les augmentations de prix autoréférencées entre les coûts des licences CSP et SPLA. Rien dans ces propositions ne donne l’assurance que cette discrimination prendra fin ».
CISPE

« L’une des principales plaintes de nos membres concerne les augmentations de prix autoréférencées entre les coûts des licences CSP et SPLA. Rien dans ces propositions ne donne l’assurance que cette discrimination prendra fin ».

« Les nouvelles restrictions des licences SPLA, ainsi que la nécessité d’adhérer au programme d’assurance logicielle, semblent toutes destinées à accroître encore la différenciation des coûts de licence pour un même logiciel, et à lier toujours plus étroitement les partenaires et leurs clients à Microsoft ».

Pour les clients qui n’ont pas encore souscrit à la Software Assurance, cela pourrait aussi induire des coûts supplémentaires, estime le CISPE.

D’autant que l’éditeur a augmenté le prix des licences SPLA de 10 % en janvier 2022 « pour la huitième fois consécutive », déplorait Arnaud de Bermingham, président de Scaleway, dans un tweet publié en octobre 2021. De son côté, Microsoft propose Azure Hybrid Benefit. Cette offre permet d’intégrer des licences Windows Server et SQL Server existantes à des souscriptions Software Assurance pour les héberger sur Azure en contrepartie de ristournes importantes. « Économisez jusqu’à 85 % par rapport aux tarifs standard de paiement à l’utilisation et obtenez le coût de propriété le plus faible en combinant Azure Hybrid Benefit, des économies de réservations et des mises à jour de sécurité étendues », promet l’éditeur sur son site Web.

Une réponse satisfaisante pour Cloud Temple, OVHcloud se veut « vigilant »

Les fournisseurs européens, eux, sont moins critiques.

Cloud Temple, hébergeur et infogérant français ayant obtenu la certification SecNumCloud pour son offre IaaS en mars 2022 a été consulté par Microsoft dès le mois d’avril.

« […] Nous sommes satisfaits. Microsoft a compris qu’un certain nombre de sujets, notamment lié à la souveraineté, impliquait des fournisseurs de cloud souverain et que nous devions être en position de pouvoir proposer un licensing adapté au modèle d’hybridation des infrastructures ».
Sébastien LescopDirecteur général, Cloud Temple

« […] Nous sommes satisfaits. Microsoft a compris qu’un certain nombre de sujets, notamment lié à la souveraineté, impliquait des fournisseurs de cloud souverain et que nous devions être en position de pouvoir proposer un licensing adapté au modèle d’hybridation des infrastructures », affirme Sébastien Lescop, directeur général de Cloud Temple en réponse aux questions du MagIT.

Quant aux sujets levés par Google Cloud, AWS, et le CISPE, Sébastien Lescop les juge « pas très client-centric (sic) ». « La vérité c’est que les GAFAM se livrent une compétition acharnée et que le levier licence et conformité est un enjeu central. Je n’entends pas beaucoup de voix pour s’offusquer des principes de licensing d’Oracle… Mais Oracle n’est pas en compétition frontale avec Microsoft ou AWS ».

De son côté, toujours auprès du MagIT, OVH « salue le fait que Microsoft ait pris en compte une partie des enjeux qu’il a soulevé dans sa plainte », mais « examine » actuellement les conséquences potentielles des changements à venir.

« À ce stade, OVHcloud reconnaît que certaines propositions de Microsoft apportent des précisions suite à leurs annonces du mois de mai de cette année. Notamment le fait que Microsoft semble prête à lever les restrictions existantes (VDI et BYOL) et à simplifier certaines relations entre l’éditeur de logiciels et les fournisseurs de services cloud grâce à la mise en œuvre d’un nouveau programme (CSP – Hoster N.D.L.R) », poursuit le porte-parole du fournisseur français.

Mais le fournisseur originaire de Roubaix, lui aussi détenteur de la certification SecNumCloud, demeure « vigilant ». « OVHcloud restera vigilant quant à l’exécution ainsi que les coûts et la facilité de mise en œuvre de ces annonces ».

« OVHcloud restera vigilant quant à l’exécution ainsi que les coûts et la facilité de mise en œuvre de ces annonces ».
Porte-parole, OVHcloud

En l’occurrence, il rappelle plusieurs points sur lesquels il n’estime pas avoir obtenu de réponses rassurantes. « Nous restons préoccupés par le fait que Microsoft puisse solliciter ses partenaires pour partager des données clients dans le cadre contractuel existant ».

Aussi, les détails concernant Office 365 ne sont pas mentionnés dans le train d’annonces lancé en début de semaine. « Les inquiétudes exprimées au sujet des ventes liées (OneDrive), de l’interopérabilité ou des crédits Azure associés à l’utilisation d’Office 365 ne semblent à ce jour pas prises en considération », selon le porte-parole d’OVHcloud.

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