VMware Explore 2022 : « Broadcom a été séduit par les innovations dans le multicloud »
Lors d’un entretien avec LeMagIT, Sumit Dhawan, le No 2 de VMware, s’explique sur les stratégies actuelles de l’éditeur : rachat par Broadcom, multicloud, compétition avec Red Hat…
VMware est dans une situation charnière. Séparé en 2021 de sa maison mère Dell, l’éditeur doit passer sous la coupe de l’équipementier Broadcom d’ici à octobre 2023, une situation qui inquiète ses clients, ses partenaires et les analystes.
Leader indiscutable des logiciels d’infrastructure pour le datacenter, il doit aussi à présent convaincre les entreprises qu’il saura tout autant s’imposer dans le cloud, mais également sur les technologies Kubernetes qui ont donné un coup de vieux à ses solutions de virtualisation.
Enfin, il a décidé, comme nombre de fournisseurs américains dans l’IT, de remplacer son modèle historique de vente des produits par un système d’abonnement ; le bénéfice financier n’apparaît pas évident pour ses clients.
À l’occasion de l’événement VMware Explore 2022, qui remplace le salon annuel VMworld, LeMagIT a pu s’entretenir avec Sumit Dhawan (en photo), le No 2 de l’éditeur, pour obtenir des explications sur tous ces changements.
Broadcom pour cannibaliser ou apporter une plus grande envergure ?
Broadcom est un géant des semiconducteurs spécialisés dans les fonctions réseau et télécom. Annoncée plus tôt cette année, sa mainmise sur VMware pour 61 milliards de dollars aurait dû sonner comme une volonté positive d’étendre son catalogue aux logiciels d’infrastructure. Mais elle est émaillée de précédents douloureux. Les analystes ont rapidement pointé que ses acquisitions antérieures dans les logiciels ont globalement conduit à l’arrêt de la R&D, à des hausses des prix et à une réorientation de l’activité à destination des seuls plus gros clients.
Pour Sumit Dhawan, on aurait tort de penser que la destinée de VMware sera la même que celle de fournisseurs qui avaient plutôt vocation à entretenir un passif ; en l’occurrence CA, éditeur de logiciels pour mainframes, et Symantec, l’éditeur de l’antivirus Norton.
« Broadcom adapte ses investissements à chaque gamme de produits. Ses autres logiciels ont surtout eu du succès dans le passé. VMware est au contraire dans l’innovation, comme les gammes de semiconducteurs de Broadcom, qui bénéficient d’investissements importants. »
« Il y a des raisons rationnelles pour lesquelles Broadcom rachète VMware. Ils croient fondamentalement dans notre stratégie. VMware est une entreprise qui a la volonté d’adresser le multicloud. Mais les entreprises concernées par ce sujet peuvent peser plus de mille milliards de dollars. En tant que fournisseur indépendant, nous sommes très petits par rapport à elles. Broadcom va nous apporter la dimension nécessaire », dit-il.
Sumit DhawanPrésident de VMware
Surtout, Sumit Dhawan veut rassurer ses clients : « la dimension supplémentaire que va nous apporter Broadcom va permettre à nos clients d’accéder à des gammes de solutions plus adaptées à leurs gammes de besoins. Et, ce, potentiellement plus vite que ce que nous aurions pu faire si nous restions indépendants. »
En l’état, le dernier chiffre d’affaires annuel connu de Broadcom est de 27,45 milliards de dollars. Celui de VMware est de 12,85 milliards de dollars.
Passer du datacenter au cloud…
Historiquement, les logiciels de VMware – vSphere et vSAN – ont servi à rationaliser les datacenters, en virtualisant des dizaines de serveurs par machine physique. Durant les années 2000 à 2010, cette virtualisation a servi à diminuer les coûts ou – ce qui revient au même – à muscler extraordinairement la puissance des salles informatiques installées dans des immeubles de bureaux. Cependant, les datacenters laissent la place depuis la fin des années 2010 aux infrastructures que les entreprises louent en cloud, moins contraignantes.
Selon un exemple donné par Sumit Dhawan, 8 à 25 % des applications du secteur bancaire – gros client de VMware – doivent à terme fonctionner en cloud.
Face à des mastodontes comme Amazon ou Google, VMware a très vite renoncé à être lui-même hébergeur de cloud. À la place, misant sur la difficulté à migrer les applications du datacenter vers le cloud, l’éditeur a maintenu sa clientèle en lui vendant des versions de ses solutions hébergées en cloud.
En souscrivant à l’offre VMware Cloud on AWS, par exemple, les clients de vSphere déménagent automatiquement leurs applications en ligne, tout en conservant leurs règles de cybersécurité, la topographie de leur réseau, les mêmes consoles de maintenance.
… et des licences aux abonnements
Cette stratégie de doubler les logiciels des datacenters avec de services équivalents en cloud est arrivée avec une nouvelle façon de commercialiser les offres : par abonnement. Un choix perçu par les entreprises comme la volonté de fidéliser la clientèle, c’est-à-dire qui laisse moins de latitude pour se débarrasser de VMware. Avec la vente de licences, les entreprises étaient libres de choisir un autre fournisseur au terme du contrat de support.
« La vente par abonnement est un succès » revendique Sumit Dhawan ! « Elle génère déjà plus de chiffres d’affaires que la vente de licences et nous nous attendons à ce que sa part dans nos revenus continue de croître. »
« Mais ce n’est pas une surprise : à partir du moment où vous intégrez du cloud dans votre IT, vous devez passer aux souscriptions, car c’est la manière naturelle de fonctionner du cloud. Vous consommez le cloud selon la connectivité, selon les transferts de données. Par définition, une licence avec un coût fixe ne fonctionne pas pour facturer ces besoins au coup par coup. »
Il assure que des programmes commerciaux attrayants sont mis en place pour convaincre ceux qui avaient acheté une bonne fois pour toutes une licence de commencer à payer régulièrement.
Sumit DhawanPrésident de VMware
« Avec les licences, les clients portent tous les risques. Lorsqu’un problème survient, ils doivent nous appeler pour que nous les dépannions. Avec l’abonnement, nous sommes en permanence derrière eux pour assurer la maintenance. »
Les abonnements ne concernent pas que les versions cloud des produits de VMware, mais aussi les versions datacenter. Il existe ainsi des offres par abonnement vSphere+ et vSAN+ qui consistent à proposer en sus une maintenance proactive et une sauvegarde automatique du datacenter en cloud. Avec les licences, les entreprises étaient libres de prendre ces options de maintenance et de sauvegarde chez quelqu’un d’autre. Elles pouvaient même le faire sans passer par du cloud.
« Notre objectif avec les offres par abonnement est de fournir avec le produit des services à partir du cloud qui ont du sens. Par exemple pour vous permettre de rester sécurisé malgré le rythme effréné des failles inédites qui apparaissent. Avec les offres par abonnement tout devient plus simple, vous n’avez plus rien à faire, pas même installer vous-mêmes les mises à jour », défend le No 2 de VMware.
Convaincre les entreprises que VMware est un leader du multicloud
La stratégie de « cloudifier » les logiciels pour assurer une migration indolore est cependant fragile : les nouveaux projets qui démarrent directement en cloud n’ont plus besoin des logiciels d’infrastructure de VMware. Depuis la crise pandémique, l’éditeur s’est donc repositionné comme un fournisseur de solutions pour le multicloud. Acheter ses services chez chacun des hébergeurs serait la clé pour passer sans souci d’un cloud à l’autre : AWS pour les filiales de tel pays, Azure pour celles de tel autre…
Il y aurait un intérêt économique à jongler ainsi entre les hébergeurs, car ils font fluctuer le tarif de leurs souscriptions au gré des jours, des régions, du coût de leur électricité. Mais l’argument n’est pas facile à entendre quand il faut de toute façon ajouter le tarif de VMware pour espérer faire des économies de bouts de chandelle ensuite. D’autant que l’avenir économique des entreprises est aujourd’hui suffisamment incertain pour décourager quiconque de s’aventurer dans plusieurs clouds différents.
Un argument que bat en brèche Sumit Dhawan : « l’incertitude économique augmente au contraire le besoin de multicloud ! », veut-il croire. « Lorsque l’incertitude survient, les entreprises ont besoin de plus de choix, de flexibilité. Et elles ne peuvent y parvenir que si toutes les options sont normalisées, offrent les mêmes standards. » Selon lui, le multicloud est la clé pour réduire les coûts de développement, pour que les applications fonctionnent dans des environnements moins chers.
Le salon VMware Explore 2022 a ainsi été l’occasion pour l’éditeur de lancer une nouvelle génération d’outils de monitoring, baptisée Aria, qui a pour principale caractéristique un moteur de cartographie capable de représenter très visuellement les ressources informatiques éclatées entre plusieurs clouds. La nouveauté de ces outils est cependant à pondérer : il s’agit pour l’essentiel des anciens logiciels de monitoring vRealize auxquels on a greffé le moteur cartographique.
« Ne vous focalisez pas sur le rebranding ! La gamme Aria apporte véritablement de nouvelles capacités pour le cloud. Si nous devons être le fournisseur de services multiclouds, alors notre couche de gestion devient essentielle dans notre offre. L’objectif de la gamme Aria est d’offrir une gestion du multicloud avec notre nouvelle technologie d’affichage », martèle Sumit Dhawan.
VMware est-il toujours un leader face à Kubernetes et Red Hat ?
En vérité, VMware a moins besoin de promouvoir le multicloud que de se démarquer dans ce domaine. Et pour cause : il n’est pas le premier à avoir eu l’idée de standardiser les différents clouds.
En marge de ses solutions propriétaires de virtualisation, le marché entier s’est mis au diapason du logiciel Open source Kubernetes. Kubernetes propose un format d’application, le container, qui fonctionne partout, quelle que soit l’infrastructure sous-jacente (celle de VMware, d’AWS, d’Azure, etc.). Kubernetes est même beaucoup plus efficace que les machines virtuelles de VMware dans le sens où des copies supplémentaires des applications s’allument ou s’éteignent instantanément à chaque fois que l’activité fluctue. C’est-à-dire à la milliseconde près dans le cas du web.
Sumit DhawanPrésident de VMware
Le succès de Kubernetes a été à ce point fulgurant que VMware n’a eu d’autre choix que de l’intégrer dans ses solutions, sous la marque maison « Tanzu ». Mais Tanzu arrive sur le marché après Openshift, le premier Kubernetes commercial édité par Red Hat. La question est donc de savoir comment VMware gère cette situation dans laquelle il n’a manifestement plus le leadership.
« Red Hat est à la fois un concurrent et un partenaire. Avec notre logiciel d’administration Tanzu Mission Control, par exemple, vous pouvez piloter OpenShift beaucoup plus efficacement que Red Hat le fait lui-même avec ses outils. Au-delà de l’infrastructure, la clé économique de votre informatique est dans les outils qui vont vous permettre de gérer vos utilisateurs, votre réseau, l’ensemble de votre infrastructure. Et dès lors que les outils priment, Tanzu est une alternative particulièrement intéressante pour les entreprises qui n’ont pas encore déployé OpenShift », argumente Sumit Dhawan.
VMware cherche-t-il à verrouiller ses clients sur ses produits ?
Entre les couches VMware qu’il faut ajouter aux offres de cloud public et les outils VMware à greffer par-dessus OpenShift ou un autre Kubernetes, le public a le sentiment que l’éditeur cherche avant tout à verrouiller les entreprises sur ses produits.
« C’est faux ! Notre infrastructure n’est qu’une composante de l’équation. Nos outils sont conçus pour fonctionner avec des infrastructures non-VMware : nous pouvons piloter les infrastructures de stockage originales des clouds publics, mais aussi nous interfacer avec leurs services », répond Sumit Dhawan. Sans véritablement dire si les outils en SaaS ne seraient pas plutôt des produits d’appels pour inciter les entreprises à utiliser les logiciels d’infrastructures vSphere, vSAN et Tanzu.
Dans le secteur bancaire, par exemple, VMware propose des outils qui industrialisent les règles de sécurité, mais qui fonctionnent mieux s’ils reposent des logiciels d’infrastructure VMware.
« Un ransomware se propage par le réseau. La protection contre ce fléau au niveau du réseau physique fonctionne déjà presque au maximum de ses capacités, quel que soit le produit du marché que vous utilisez. Mais le problème est que les machines sont virtualisées dans de très grandes machines physiques, c’est-à-dire qu’elles n’utilisent pas de réseau physique pour communiquer », explique le No 2 de VMware.
« Dans ce cas, la seule protection efficace est celle qui agit directement au niveau du réseau virtuel de l’infrastructure. C’est ce que font nos solutions de sécurité, qui s’articulent directement avec nos infrastructures de virtualisation. »
D’où l’intérêt, selon lui, de passer par des services d’infrastructure VMware sur tous les clouds, même lorsqu’il s’agit de n’exécuter que des applications en containers. En l’occurrence, Tanzu consiste à exécuter des clusters Kubernetes depuis des machines virtuelles. Évidemment, les produits Aria offrent aussi un degré de surveillance plus profond quand ils monitorent des clouds ou des datacenters qui disposent de vSphere.