Stockage : Intel arrête l’Optane
La mémoire 3D Xpoint a vécu. Le fondeur concentre ses investissements sur le redéploiement industriel des processeurs. Les fabricants de baies de stockage promettent des alternatives.
C’est fini. Lors de la présentation de ses résultats trimestriels, Intel a annoncé qu’il mettait fin à sa gamme de stockage Optane.
« Nous continuons à rationaliser notre catalogue de produits pour soutenir notre stratégie IDM 2.0 [fabrication de puces intégrées selon des designs à façon pour des clients particuliers, notamment les géants d’Internet comme Facebook et AWS, N.D.R.]. Cela inclut la cession d’activités qui ne sont pas suffisamment rentables ou qui ne sont pas essentielles à nos objectifs stratégiques. Après mûre réflexion, Intel prévoit de cesser le développement de produits dans le cadre de son activité Optane. Nous nous engageons à soutenir les clients Optane pendant la transition », a déclaré le fondeur dans son communiqué.
Situés à mi-chemin entre les SSD et les barrettes de mémoire DRAM, tant en termes de performances que de prix, les produits Optane étaient des modules de mémoire persistante développés en partenariat avec Micron durant les années 2010. Basés sur des circuits baptisés 3D Xpoint, les produits Optane pouvaient aussi bien servir de mémoire très capacitive qui résiste aux démarrages (très utile dans les bases de données), que de cache très rapide dans les baies de stockage (notamment utilisé chez Pure Storage). Avantage supplémentaire par rapport aux SSD à base de circuits NAND, les circuits 3D XPoint s’usent beaucoup moins vite.
À un moment donné, Intel avait même fait d’Optane un argument concurrentiel : seuls ses processeurs Xeon pouvaient utiliser ces modules comme une extension mémoire, les Epyc d’AMD en étant privés.
Problème, Micron s’est rapidement désolidarisé de l’aventure. En 2018, les deux partenaires décidaient de ne plus collaborer sur le développement des futures versions. En 2021, Micron se séparait de l’unique usine qui fabriquait des circuits 3D XPoint, obligeant Intel à trouver des financements pour construire ses propres chaînes de production. Une perspective plutôt mal venue au moment où Intel se débat justement pour obtenir des fonds dans le but de rattraper son retard industriel dans la production de processeurs.
Pour le second semestre 2022, Intel a affiché un chiffre d’affaires de 15,3 milliards de dollars, soit une chute des revenus de 22 % par rapport au même trimestre de l’année dernière. Ce chiffre d’affaires s’est accompagné d’une perte nette de 500 millions de dollars. Le fondeur n’avait pas connu de bénéfices négatifs depuis trente ans. Les composants pour PC ont rapporté 7,7 milliards de dollars (-25 % en un an), ceux pour serveurs 4,6 mds $ (-16 %).
Seule satisfaction, les ventes de puces réseau, utilisées par de nombreux équipementiers, ont augmenté de 11 % pour atteindre 2,3 mds $. Intel se distingue dans ce domaine avec des puces DPU – qu’il appelle IPU – plutôt efficaces pour l’encodage à la volée des protocoles de communication et, donc, l’accélération globale des transferts de données.
Pas une surprise, pour les analystes
L’annonce de l’abandon d’Optane n’a manifestement pas beaucoup surpris les analystes. Selon Jim Handy, du cabinet de conseil Objective Analysis, cette décision était attendue depuis un certain temps et avait même été évoquée dans une interview que Pat Gelsinger, PDG d’Intel, avait accordée en février au blog spécialisé Stratechery. « Au fil des ans, Intel a perdu des milliards de dollars sur la gamme Optane », dit Jim Handy, dont les rapports sur l’Optane sont regroupés sur la page Emerging Memory de son cabinet.
Parmi ces documents, on trouve le graphique ci-dessous :
Celui-ci estime les pertes trimestrielles en millions de dollars de la division NSG d’Intel, qui était en charge des produits Optane entre 2016 et 2020. Si l’on ramène ces chiffres à une échelle annuelle, on dénombre 921 millions de dollars de pertes en 2016, 1,715 milliard de dollars en 2017, 2,069 milliards de dollars en 2018, 1,582 milliard de dollars en 2019 et 576 millions de dollars en 2020.
La raison de ces pertes ? Les produits Optane étaient chers à fabriquer et coûtaient bien plus cher aux entreprises que des SSD. Par conséquent, les ventes étaient faibles et ne suffisaient pas à compenser les coûts de production. Idéalement, ces coûts passaient pour un pari sur l’avenir. À terme, les efforts marketing d’Intel et Micron auraient dû finir par convaincre les entreprises des avantages d’Optane, les ventes auraient dû décoller et cette gamme aurait dû devenir rentable. Mais c’était sans compter sur l’abandon par Micron.
Toujours en février 2022, l’analyste Tom Coughlin, président du cabinet de conseil Coughlin Associates, s’exprimait déjà dans les colonnes du média américain Forbes sur l’éventualité de plus en plus probable de la disparition d’Optane. L’annonce de cette semaine ne l’a pas non plus surpris : « Intel a subventionné la gamme Optane parce qu’elle était pleine de promesses. Mais le volume des ventes nécessaire pour faire baisser les coûts n’a jamais été atteint », commente-t-il.
Les solutions impactées par l’abandon d’Optane
Plusieurs produits de stockage pour datacenters intègrent des modules Intel Optane, soit sous la forme de barrettes mémoire, soit sous celle de SSD. Mais pour Marc Staimer, du cabinet de conseil Dragon Slayer Consulting, trois fabricants sont véritablement impactés par cette annonce : Vast Data, Oracle et MemVerge.
Vast Data fabrique des baies de disques dans lesquelles les modules Optane servent à la fois comme un cache en écriture et pour stocker des métadonnées spécifiques, qui sont censées permettre de faire durer plus longtemps des SSD QLC. Ces SSDs ont l’avantage d’être peu chers, ce qui permet à Vast Data de proposer des baies de stockage avec de très grandes capacités pour un prix raisonnable. Revers de la médaille, ces SSDs s’usent plus vite que les autres catégories de support de stockage. Utiliser des modules Optane en amont devait servir à les ménager.
Oracle utilise des modules Optane dans ses serveurs de base de données Exadata afin de minimiser les latences et battre des records de performance.
La startup MemVerge a quant à elle mis au point un système d’exploitation, le Distributed Memory Object, qui permet de fédérer un très grand pool de capacité mémoire entre tous les nœuds d’un cluster. Outre une connectivité réseau hors pair, ce système utilise des barrettes mémoire Optane pour offrir jusqu’à 6 To de capacité RAM par nœud. L’intérêt de ces barrettes Optane, dites PMM, est qu’elles sont deux fois plus capacitives que les DRAM classiques.
Vast Data a été le premier à réagir. Son cofondateur Jeff Denworth a déclaré qu’il existait des alternatives à Optane et que son entreprise les avait déjà qualifiées. « Qu’il s’agisse de nos clients actuels ou futurs, laissez-moi être clair. L’annonce d’Intel ne perturbera d’aucune manière notre capacité à fournir et à soutenir nos solutions. Rien ne changera », a-t-il écrit à nos confrères de TechTarget USA.
Parmi les alternatives possibles, on pense notamment aux mémoires FL6 BiCS4 XL-Flash de Kioxia. Il s’agit en pratique de mémoires NAND, comme celles des SSD, mais de type SLC, qui ne stockent qu’un bit par cellule. Contrairement aux NAND QLC (quatre bits par cellule) ou TLC (trois bits par cellule), les NAND SLC offrent trois ou quatre fois moins de capacité, mais sont d’autant plus rapides en écriture et s’usent d’autant moins vite.
Jim Handy souligne toutefois que ces mémoires pourraient légèrement faire chuter les performances des baies Vast Data.
Charles Fan, le PDG et cofondateur de MemVerge, a également indiqué à nos confrères de TechTarget USA qu’Optane n’était pas une nécessité absolue pour le fonctionnement de sa solution. « Notre système peut fonctionner correctement sur des serveurs qui n’ont que des barrettes de DRAM. Il peut aussi fonctionner sur des machines virtuelles en cloud, où, dans la plupart des cas, il n’y a pas d’Optane. Optane n’est qu’un composant optionnel dans notre technologie. »
Selon lui, Memverge compte beaucoup plus sur le développement de CXL, une évolution du PCIe qui permet aux serveurs de communiquer directement entre eux via leur bus mémoire et, donc, de partager leur RAM. Plusieurs fabricants de mémoires – dont Samsung, SK hynix et Micron – sont sur les rangs pour proposer des barrettes compatibles CXL.
Jim Handy suppose que CXL est une alternative viable pour proposer des serveurs qui accèdent à de grandes capacités mémoire. Il note toutefois que les barrettes de DRAM sont, à capacité égales, deux fois plus chères que des barrettes Optane PMM.
De son côté, Oracle n’a pas encore fait de commentaire.