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Kermap veut mettre l’IA au service de la surveillance climatique
Kermap, une startup bretonne installée à Cesson-Sévigné, se spécialise dans le traitement d’images satellites par l’IA. Elle compte bien convaincre les collectivités et les groupes agroalimentaires de la pertinence de ses solutions consacrées à la surveillance du climat et des pratiques agricoles.
Fondée à Rennes en 2017, Kermap est une startup spécialisée dans l’analyse géospatiale. Elle rassemble des chercheurs passés par le laboratoire CNRS LETG (Littoral, Environnement, Géomatique et Télédection), des spécialistes des technologies SIG et du traitement d’images.
Un temps incubée à l’Institut Mines-Télécom Atlantique de Rennes, la jeune pousse qui emploie une quinzaine de personnes s’est d’abord illustrée auprès de plusieurs municipalités.
Détecter et mesurer la végétation dans les zones urbaines
Il faut dire qu’elle avait une vitrine de choix. Elle a signé un contrat d’incubation avec l’IGNfab, l’accélérateur de l’Institut Géographique Nationale.
Ce projet a donné naissance à « Nos villes vertes », une plateforme lancée en 2019. Elle doit permettre de visualiser le patrimoine arboré de l’ensemble des communes de France Métropolitaine. Il suffit d’y entrer le nom d’une ville ou d’un village pour consulter son patrimoine arboré, sa répartition, sa distribution par habitant et sa surface exprimée en terrain de football. La plateforme donne également des informations sur l’étalement urbain des municipalités depuis 1990 et permet de comparer ces données avec la moyenne nationale ou entre communes.
Cette expérience de data visualization abordable et ouverte au grand public masque des efforts de recherche et développement importants.
Kermap a traité l’intégralité des orthophotographies à la résolution de 20 centimètres par pixel (des images aériennes ou satellites rectifiées) collectées en 2014 par l’IGN. Cela représente un volume de 20 téraoctets de données. Pour ce faire, la startup a développé des modèles de machine learning et de vision par ordinateur (un sous-domaine du deep learning) afin de détecter les espaces boisés.
Ce projet est la carte de visite de Kermap, son démonstrateur technologique. Il lui a donné l’idée de lancer un autre portail : Klover.
Klover vise à analyser le changement climatique dans 24 grandes villes dans le monde. Outre la distribution de la surface « verte » (incluant les formes de végétation arborées et herbacées) par habitant, Kermap fournit un indice de canopée, une analyse de la connectivité de la trame végétale. Elle inclut aussi une évolution de la moyenne mensuelle des températures, de la pluviométrie et du gel.
La startup a récupéré des données historiques sur deux périodes : de 1981 à 2010, et de 2011 à 2020. Elle offre un moyen de comparer ces informations historiques avec les relevés de l’année en cours.
Kermap a calculé la part de la surface verte par rapport à la superficie totale de ces grandes cités. Pour cela, elle s’est appuyée sur les images capturées entre 2018 et 2020 dans les centres urbains par les satellites Sentinel-2 du programme Copernicus de l’Agence spatiale européenne.
Puis, la startup s’est penché sur la reconnaissance de la végétation à partir d’une aire de 10 x 10 kilomètres au centre de chaque ville. Ici, elle utilise les images satellites Pléiades d’une résolution de 70 cm par pixel prises par Airbus pour le compte du Centre national d’études spatiales (CNES).
Les données climatiques, elles, proviennent du POWER Project de la NASA, de l’OMS et du projet DRIAS.
Les fondations de l’offre de Kermap
Plus récemment, en avril 2022, Kermap a déployé Nimbo Maps. Les Nimbo Maps, ce sont des cartes réalisées à partir des images en provenance des satellites 1 et 2 du programme Copernicus. Ces cartes sont actualisées tous les mois et disposent de quatre compositions : couleurs naturelles, infrarouges, NDVI (index de végétation par différence normalisée) et radar. Ces cartes sont établies à partir de la plateforme Nimbo, lancée en juin 2021. Elle représente 20 millions de kilomètres carrés répartis entre l’Europe et le Moyen-Orient. La société prévoit de couvrir le reste du monde d’ici à la fin de l’année.
La plateforme Nimbo permet de réaliser des timelapse, de courtes vidéos qui permettent de visualiser en accéléré les changements de végétation ou de terrain sur une période donnée.
Chaque fois, ses modèles de machine learning et d’apprentissage profond sont mis à contribution. Cela commence par la détection et la suppression de la couche nuageuse sur les clichés, puis l’ajustement de la colorimétrie.
Pour effectuer ces analyses, la startup combine plusieurs techniques de traitement des images satellites, de classification sémantique et de classification de séries temporelles en sus des méthodes de télédétection visant à cartographier la couverture terrestre et à détecter la végétation. Par exemple, les séries temporelles servent à compléter les manques dus aux éventuelles absences de données ou à la couverture nuageuse.
Kermap tient à la souveraineté de son offre. À intervalle régulier dans le mois, elle extrait les 16 To de données générées par jour par Copernicus vers des serveurs maison équipés de GPU Nvidia. Les données sont soumises aux modèles d’IA, les résultats sont stockés dans un data center de la région rennaise, tandis que les informations brutes sont supprimées jusqu’à la prochaine ingestion. Les plateformes qui permettent de visualiser les données sont hébergées sur le même data center appartenant à la société Alkante. Pour d’autres besoins, Kermap fait appel aux services d’OVH.
Si une version de Nimbus Maps est accessible gratuitement après inscription, c’est bien en direction des groupes agroalimentaires, des collectivités, des organismes publics et des coopératives que Kermap dirige son offre. La société met à disposition des fonds de carte et des API à ses clients.
L’agroalimentaire, nouveau sujet de prédilection pour Kermap
Jusqu’alors, la startup a proposé ses services d’évaluation d’occupation des sols, de consommation foncière, d’analyse de la végétation et des cours d’eau, ainsi que de détection des îlots de chaleurs aux collectivités.
Kermap a notamment travaillé pour les métropoles de Rennes, de Montpellier, de Limoges ou les villes de Troyes et de La Roche-sur-Yon. Plusieurs organismes publics ont également fait appel à la startup pour surveiller le littoral ou des bocages.
Pour les coopératives et les agro-industriels, elle conçoit des services de suivi des cultures, d’analyse de la fertilité des sols, d’évaluation des pratiques d’agriculture raisonnée ou de la bonne conduite des paiements pour services environnementaux (PSE).
« C’est notre premier axe de développement », affirme Nicolas Beaugendre, cofondateur et dirigeant de Kermap, lors d’une conférence organisée par le consortium Numeum. « Sur cette partie agricole, nous voulons proposer des systèmes d’alerte, de la supervision et des métriques ».
Ces besoins émergent alors que le réchauffement climatique et les crises successives menacent les chaînes d’approvisionnement agricoles.
Par exemple, le ministère de l’Agriculture a fait appel à Kermap pour analyser la production fourragère. « Les ingénieurs agronomes du ministère veulent savoir comment se comporte la production fourragère par rapport aux cinq dernières années », explique Nicolas Beaugendre. « Il s’agit d’examiner les phénomènes de sécheresse et d’inondation pouvant provoquer sur telle ou telle partie du territoire un déficit qui réclamera au ministère de mettre en place une aide pour les éleveurs afin qu’ils nourrissent leurs bêtes ».
En sens, la startup peaufine ses algorithmes. Les ingénieurs de Kermap ont mis en place des techniques de détections des cultures comme le maïs, le blé, l’orge, le colza, le soja, la betterave, la pomme de terre, et le tournesol. L’entreprise compte entraîner ses modèles pour signaler d’autres cultures.
« Nous pouvons déterminer les couvertures principales, les durées de couverture des sols, les biomasses, le carbone stocké, l’érosion des sols, etc. », liste Nicolas Beaugendre. « Nous sommes capables de détecter la culture qui est en train de pousser au fur et à mesure de la saison, son stade de maturité et fournir cette information clé en main à nos clients ».
Certains groupes rencontrent également des enjeux liés à la transition écologique, synonyme de réduction d’empreinte carbone.
« Les agro-industriels acceptent d’acheter plus cher la tonne de matière première. En échange, ils vont demander à leurs fournisseurs, en premier lieu, les exploitants agricoles, les coopératives, de mettre en place des pratiques agroécologiques », explique le cofondateur de Kermap. « Problème, ces agro-industriels ont des chaînes d’approvisionnement qui sont globales. Comment peuvent-ils surveiller les surfaces de production de l’autre côté du monde et en Europe ? Comment mesurer l’évolution de ces pratiques dans le temps ? Quelles sont les bonnes métriques à superviser ? ».
C’est notamment la politique menée par le groupe Nestlé qui fait appel au service de Kermap. « Les outils d’analyse géospatiale font partie des solutions qui permettent de mesurer concrètement la mise en place des bonnes pratiques », vante Nicolas Beaugendre.