STMicroelectronics et GlobalFoundries investissent 5,7 mds € en France
Dans l’optique de libérer les industriels européens de leur dépendance aux puces asiatiques, les deux fondeurs construisent une usine de semiconducteurs près de Grenoble.
L’Américain GlobaFoundries et le Franco-Italien STMicroelectronics ont convenu d’investir 5,7 milliards d’euros dans la construction d’une nouvelle usine de semiconducteurs à Crolles, près de Grenoble. Le but de l’opération, qui devrait créer au passage 1 000 nouveaux emplois, est de produire localement les composants électroniques que les constructeurs automobiles sont actuellement bien en peine d’obtenir des usines asiatiques.
STMicroelectronics possédait déjà deux usines sur ce site qui, ensemble, fabriquent chaque année environ 500 000 wafers en diamètres 200 et 300 millimètres. La troisième usine devrait permettre de porter la production globale à 1,2 million d’unités par an d’ici à 2026, selon une information rapportée par nos confrères du Monde.
Des composants STMicroelectronics adaptés aux besoins de l’automobile
Les circuits fabriqués actuellement sur le site de Crolles sont gravés avec une finesse de 28 nm. Cela correspond à plusieurs générations de retard par rapport aux 5 nm qu’offrent les chaînes du Taiwanais TSMC et même par rapport aux 10 nanomètres des usines d’Intel.
Cependant, ces finesses de gravure record ne servent qu’à fabriquer des processeurs surpuissants pour des ordinateurs sur lesquels on recherche avant tout l’économie d’énergie. En clair, graver des puces en 5, 7, ou 10 nanomètres permet de réduire l’espace occupé et la consommation d’électricité dans les datacenters. Cela sert aussi à construire des machines grand public (PC portables, tablettes, smartphones) qui conjuguent toujours mieux performances et autonomie de la batterie.
En revanche, les voitures et autres véhicules n’ont pas ces attentes. Les composants électroniques embarqués – et qui sont d’autant plus nécessaires dans les automobiles électriques – exécutent des opérations bien moins complexes que les applications informatiques traditionnelles. Il s’agit pour l’essentiel de lire les informations qui viennent d’une multitude de sondes et d’enclencher des mécanismes (régulation de la consommation, freinage d’urgences, automaintenance, etc.). Même le confort multimédia à bord peut se contenter des performances que les ordinateurs avaient il y a dix ans.
Par exemple, les processeurs qui équipent les cartes Raspberry Pi et Arduino sont généralement gravés avec une finesse de 28 nm. Ces cartes servent aussi bien dans les projets d’objets connectés pour traiter et communiquer des signaux, que dans des applications multimédias comme une appliance de lecture vidéo en 4 K.
En clair, les constructeurs automobiles n’ont aucune raison technique d’acheter leurs composants électroniques en Asie.
On notera cependant qu’il y a deux écoles. D’un côté, le Chinois Huawei expliquait en mars dernier au MagIT qu’il s’engageait dans le design des prochains composants électroniques des voitures et qu’il les ferait fabriquer, justement, par STMicroelectronics, car ses moyens de production correspondent au besoin technique.
De l’autre, Intel, qui mise sur des investissements européens pour se doter de nouvelles usines dernier cri capables de rivaliser avec TSMC, affirme qu’il convaincra les constructeurs automobiles de l’intérêt d’utiliser plutôt des puces de dernière génération. L’UE a conditionné ses investissements à la fabrication par Intel de composants qui serviraient les industries locales, en plus de ceux qu’Intel compte produire pour l’informatique traditionnelle.
L’intérêt du savoir-faire de STMicroelectronics est dans sa technologie FD-SOI. Celle-ci permet d’embarquer dans la même puce à la fois des circuits de processeurs et du stockage Flash NVMe. Qui plus est, les puces de STMicrolectronics peuvent fonctionner en conditions extrêmes ; elles supportent par exemple des températures de 165 °C Celsius, là où des processeurs pour serveurs doivent être maintenus en dessus de 70 °C.
Un enjeu de souveraineté
STMicroelectronics avait déjà déclaré en début d’année investir 1 milliard d’euros dans la modernisation du site de Crolles. A priori, ce milliard serait inclus dans les 5,7 milliards d’euros présentés aujourd’hui.
L’annonce de cet investissement s’est faite dans le cadre de l’événement annuel Choose France sponsorisé par l’État depuis 2018. D’abord censé encourager les géants des services en ligne (Amazon, Google, Facebook, Microsoft…) à implémenter des filiales en France pour y créer de l’emploi, cet événement a été réorienté depuis la pandémie vers la souveraineté industrielle. L’enjeu est de ne plus dépendre de produits technologiques venus de l’étranger.
En effet, l’un des effets délétères de la paralysie des chaînes logistiques (suite aux mesures de confinement, mais aussi au blocage du canal de Suez) a été le gel des productions industrielles en Europe à cause de l’impossibilité de se fournir suffisamment à temps en composants électroniques. Parmi les secteurs les plus touchés : l’automobile. Selon le cabinet d’études Alix Partners, ce sont 7,7 millions de véhicules qui n’ont pas pu être produits dans le monde en 2021, soit un manque à gagner de 210 milliards de dollars pour les constructeurs. Produire les composants sur place permettrait d’éviter cet écueil à l’avenir.
De son côté, l’Américain GlobalFoundries est le quatrième plus important fondeur de semiconducteurs dans le monde. En 2021, ses usines ont contribué à 5 % de la production mondiale, derrière TSMC (55 % de la production mondiale), Samsung (17 %) et UMC (7 %). Ses chaînes ne pouvant au mieux graver des puces qu’avec une finesse de 12 nm, il fabrique essentiellement des composants pour les équipements embarqués, tout comme UMC qui grave les siennes en 14 nm. Pour autant, cette catégorie de puces reste la plus vendue : même chez TSMC, elle représente 59 % de la production.
D’abord propriété du fonds souverain des Émirats arabes unis, GlobalFoundries est redevenu une entreprise américaine indépendante en octobre 2021 (le fondeur est né d’un spin-off des anciennes usines AMD en 2009), après que des rumeurs concernant son probable rachat par Intel ont inondé les marchés financiers. Depuis lors, l’entreprise n’a de cesse d’augmenter ses implémentations industrielles. Elle disposait jusque-là de cinq usines : une à Singapour, une en Allemagne et trois aux USA.