Métavers : « c’est vrai qu’aujourd’hui il y a plus d’interrogations que de réponses » (Adobe)
Entretien. Le responsable Solution Consulting pour l’Europe de l’Ouest et du Sud chez Adobe évalue la maturité naissante des métavers et les usages concrets qui peuvent en être faits. Un échange réaliste et pragmatique, bien loin du buzz médiatique.
Le texte de cet entretien a été édité par souci de cohérence, puis validé par Lionel Lemoine (responsable Solution Consulting pour l’Europe de l’Ouest et du Sud chez Adobe).
LeMagIT : Comment Adobe définit-il ce qu’est un métavers ?
Lionel Lemoine : Le métavers est une expérience immersive, interactive, riche et persistante.
Il s’agit d’environnements numériques où les visiteurs peuvent faire des achats, socialiser, se former à leur travail, jouer à des jeux, suivre des cours, assister à des réunions, vivre des expériences culturelles, etc.
Ces mondes virtuels sont étendus, partagés, toujours actifs, dotés d’une économie et dont les membres peuvent également contribuer à leurs développements.
LeMagIT : En quoi ce métavers diffère-t-il d’un Second Life, qui a par ailleurs échoué à s’imposer il y a 20 ans ?
Lionel Lemoine : Il est difficile de comparer tant le digital a évolué en deux décennies.
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Il y avait une idée forte derrière cet univers 3D. Second Life permettait d’interagir avec les autres connectés, représentés sous forme d’avatar. La différence, c’est qu’à l’époque, la technologie, mais aussi la maturité des utilisateurs, n’était pas encore prête.
Aujourd’hui, il est possible de créer des univers 3D sans limites, d’un réalisme incroyable qui renforce l’expérience immersive. D’autre part, l’expérience peut se vivre par l’intermédiaire de canaux numériques multiples (casque VR, équipement de réalité augmentée, smartphone).
Enfin, les capacités apportées par le cloud nous permettent d’envisager un usage de la donnée au service d’un degré de personnalisation jamais atteint.
LeMagIT : En parlant de personnalisation marketing, Adobe a mis en avant les métavers lors d’Adobe Summit, votre événement sur l’expérience client. Mais quelle est l’appétence des entreprises avec lesquelles vous dialoguez au quotidien pour ces univers immersifs et futuristes ?
Lionel Lemoine : On voit deux grands types d’interlocuteurs.
Il y a d’un côté des profils qui sont déjà très matures dans l’univers de la 3D, en premier lieu les acteurs du cinéma et du jeu vidéo. Les entreprises de gaming comprennent parfaitement comment créer un monde ouvert.
Ce niveau de maturité se ressent également chez certaines grandes marques de luxe qui sont à la pointe de l’usage de la 3D, parce qu’elle leur permet déjà de réaliser des prototypes sans passer par une phase de préfabrication. On peut faire des prototypes virtuels – avec des technologies comme celles de Substance [N.D.R. : un outil d’Adobe] – qui sont tellement réalistes qu’ils permettent de prendre des décisions pour passer en production, en s’évitant une phase de 2 à 3 mois de pré-Proof of Concept, qui sont en plus très coûteux.
Ces entreprises familières de la 3D comprennent aujourd’hui qu’elles peuvent exposer des objets virtuels, sur une place numérique, aux yeux de tous, et que c’est un moyen de valoriser leurs assets numériques et les objets qu’elles veulent monétiser. Grâce à des technologies de modélisation et de texturing 3D toujours plus sophistiquées, les images sont plus faciles à manipuler, les produits plus faciles à décliner (et à personnaliser) et les possibilités d’interaction avec ceux-ci se démultiplient pour permettre des expériences interactives et immersives qui font véritablement la part belle à l’émotion.
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L’intérêt est également perceptible dans le retail.
Il faut savoir que l’un des premiers facteurs qui poussent les clients à renvoyer des articles est la mauvaise perception de l’échelle d’un produit ou de la taille de l’objet qu’on achète. Dans l’acte d’achat, l’image prévaut sur les descriptions techniques.
Dans ce cadre-là, le métavers est perçu comme une opportunité, en l’associant avec de la réalité augmentée, pour éviter des retours coûteux. Par exemple, la mise en situation du produit dans le métavers permet de s’affranchir d’une production superflue en favorisant les précommandes, et des envois et des retours de produits qui réduisent les frais logistiques. Les coûts de toute la chaîne de production traditionnelle et de contenus numériques sont ainsi mieux maîtrisés.
Maintenant, c’est vrai que ces entreprises restent minoritaires.
LeMagIT : Il y a donc plus de bruit médiatique que d’écho du côté des clients ?
Lionel Lemoine : Le métavers est un sujet qui pose beaucoup de questions [chez nos clients]. Et aujourd’hui, c’est vrai qu’il y a plus d’interrogations que de réponses.
Mais cela s’explique. Certes, on voit de gros acteurs du numérique prendre des positions sur le métavers [N.D.R. : dont Adobe], mais sans que cela ait encore une réalité palpable pour tout un chacun.
LeMagIT : Justement, comme vous le dîtes, le métavers n’est pas encore « palpable ». Que diriez-vous aux entreprises pour le rendre « concret » et leur expliquer que ce sujet encore « évanescent » a un intérêt pour leur business ?
Lionel Lemoine : Déjà, on peut parfaitement imaginer qu’il y aura plusieurs types de métavers avec des univers graphiques et des buts très différents. On peut avoir un métavers à la Minecraft, complètement surréaliste, et d’autres métavers extrêmement réalistes.
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Ensuite, ce que je dirais c’est que dès que vous avez un espace qui permet de connecter des personnes et qui leur permet d’y passer du temps, on comprend immédiatement que c’est un environnement dans lequel il y a matière à communiquer [pour les marques] et où l’on peut analyser des comportements en vue de personnaliser les contenus [pour le marketing].
Après, il y a aussi beaucoup de fantasmes et des perceptions très différentes entre ceux qui imaginent un seul métavers qui deviendra l’Internet de demain (et qui remplacerait celui que nous connaissons), et ceux qui imaginent plusieurs métavers, comme un nouveau type de médias qui prendra place dans un mix marketing plus large.
Mais même si c’est un sujet en devenir, dans tous les cas de figure, c’est un sujet qui fera partie, demain, de notre quotidien, d’une manière ou d’une autre [N.D.R. : Gartner estime même que dès 2026, 25 % de la population mondiale passera au moins une heure par jour dans un métavers].
LeMagIT : Et quelle est la vision d’Adobe entre ces différentes hypothèses sur le futur du métavers ?
Lionel Lemoine : Aujourd’hui, nous imaginons un métavers ouvert et accessible à tous ; où la technologie créative est simple à utiliser. Et où chacun peut créer, acheter et se connecter.
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Nous estimons que tout le monde doit pouvoir participer à la création dans les métavers. Donc nous sommes engagés dans le développement d’outils créatifs 3D et immersifs qui permettront à chacun de s’exprimer et de créer des contenus, quels qu’en soient leurs usages et leurs distributions.
Ensuite, nous sommes convaincus que les meilleures expériences seront produites si des formats ouverts et standards émergent. Dans cette perspective, Adobe supporte et contribue au développement de nouveaux standards 3D, comme le format de fichiers USD (Universal Scene Description) et le glTF (Graphics Language Transmission Format) pour la modélisation de scènes et objets 3D.
LeMagIT : Pensez-vous que les entreprises vont plutôt aller sur des métavers créés et gérés par d’autres (comme The Sandbox ou celui de Facebook) pour établir une présence, ou qu’elles vont créer leurs propres métavers ?
Lionel Lemoine : Nous pensons que le métavers est une tendance de fond qui sera intégrée dans les stratégies digitales des marques de différentes manières.
Tout d’abord, cela renforcera le besoin d’expériences plus immersives, notamment avec l’usage de la 3D, sur les canaux que possèdent les entreprises : visualisation de produits en 3D sur leurs sites web, utilisation de la VR sur leurs applications mobiles, voire la création d’univers 3D propre à une marque pour certaines entreprises ou campagne.
En parallèle, les métavers permettront de disposer de nouveaux espaces pour connecter les personnes, pour communiquer et mettre en avant des univers de marques. Les entreprises devront choisir les plateformes sur lesquelles elles souhaitent être visibles en fonction des audiences et des possibilités offertes. Elles devront ensuite créer les contenus les plus impactants possible, pour valoriser leur marque.
C’est une opportunité majeure pour les marques et pour les créateurs de contenus.