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Data management : les CDO peinent encore à percevoir le ROI
Lors de son événement parisien, Collibra a réuni plusieurs Chief Data Officer de grands groupes français. L’occasion pour ces responsables d’évoquer les enjeux auxquels ils sont confrontés au quotidien et ceux qui les attendent. Le premier d’entre eux n’est autre que de tirer enfin la valeur des investissements massifs dans les projets de gestion de données.
La gouvernance des données n’est pas une tendance naturelle. Il y a un peu plus de dix ans, c’est à la faveur de lois et de réglementations que les entreprises, les services financiers en premier lieu, ont institué des procédures de traitements de données conformes à la législation et par incidence plus rigoureuses.
Ce fut, pour BNP Paribas, le « premier étage de la fusée » d’une stratégie de gestion de données plus approfondie, selon les dires d’Olivier Breton, data management & architecture lead chez BNP Paribas, lors de l’événement Data Citizens Paris, organisé par Collibra.
« Contrairement à d’autres industries, les services financiers sont régulés depuis longtemps. Cela nous a aidés à bâtir les fondations », déclare-t-il.
« Une obligation de moyens » : des investissements massifs sans promesse de résultats
Justement, d’autres industries n’ont pas subi l’application de réglementations les obligeant à renforcer leurs politiques de traitements de données, pas il y a dix ans en tout cas. Avec les nouvelles lois européennes ou spécifiques à certains pays, la donne est train de changer, selon Schneider Electric.
« Les entreprises comme la nôtre doivent donc anticiper l’évolution potentielle de la réglementation », analyse Aurélie Bergugnat, Chief Data Officer groupe chez Schneider Electric. « Et il est très vrai que les entreprises dans notre marché ne sont pas très sensibles à ce genre d’approche de la gouvernance des données pour le moment ».
Il y a déjà une « obligation de moyens », selon la CDO. Pour tenter de tirer de la valeur des données, les entreprises investissent massivement dans les logiciels d’analytique et d’IA, leurs déploiements, l’enrôlement de spécialistes aux salaires très élevés, sans que les résultats soient forcément visibles, constate Aurélie Bergugnat.
Pierre Delville, Chief Data Officer chez Euroclear fait le même constat.
« Nous avons une obligation de moyens. J’ai entendu des régulateurs me demander “avez-vous un Chief Data Officer ?”. Et moi de leur répondre que oui, pour finalement qu’ils remplissent une case, comme si déployer des moyens était suffisant », déclare-t-il.
Pour l’instant, « certains acteurs gagnent beaucoup d’argent » sur ce phénomène, dixit Aurélie Bergugnat. Selon la CDO, c’est normal, car « l’innovation entraîne une inflation des investissements », mais il ne faut pas s’arrêter à cette phase de déploiements.
Aurélie BergugnatCDO group, Schneider Electric
« Nous observerons probablement un point de basculement vers la fin de la décennie », affirme Aurélie Bergugnat. « Je pense qu’il y aura une contraction du marché quand nous passerons d’une approche [du traitement des données] orientée sur les moyens, à une autre, basée sur les résultats ».
« Et l’industrie qui sortira la première de cette transition sera celle qui investira de manière drastique dans la gouvernance des données, car c’est le moyen d’obtenir un socle commun et des actifs de données réutilisables », souligne-t-elle.
Chief Data Officer, un métier parfois incompris
Mais la Chief Data Officer est lucide concernant son métier. Il n’est pas encore mature. « Il faut être obstiné quand vous êtes CDO », recommande-t-elle, car ce nouveau rôle à la définition parfois lâche n’est pas totalement compris, ni par les dirigeants ni par les métiers.
« C’est la deuxième fois que je monte un data office dans une entreprise », relate Pierre Delville. « Quand je suis arrivé chez Euroclear, on m’a donné un délai d’un mois pour établir une stratégie de gouvernance. Mon interlocuteur pensait qu’il suffisait de “copier-coller” le plan mis en place chez mon ancien employeur ».
« En matière de gouvernance des données, toutes les entreprises sont différentes. Cela prend du temps d’évaluer les qualités et les défauts d’une organisation par rapport à ses pairs », considère-t-il.
Pierre DelvilleCDO, Euroclear
Administrer les données chez Euroclear n’est pas une mince affaire. Le service financier gère plusieurs millions de transactions financières par jour et « l’équivalent d’un tiers de tous les actifs des 1 000 plus grandes institutions financières ».
« Il est juste de dire qu’Euroclear, comme beaucoup d’autres entreprises, a des difficultés à gérer ses données, et que nous ne sommes pas aussi efficaces que nous le voudrions », avoue Pierre Delville. « C’est mon travail à Euroclear que d’améliorer cet aspect en supervisant la gestion des métadonnées, la qualité des données, ainsi que les communautés et l’assistance à la gestion du changement. Il y a aussi la monétisation des données – nous sommes un petit vendeur de données – et enfin, mais pas des moindres, l’analyse des données ».
Des défis majeurs liés à la décentralisation
De manière générale, cet exercice est d’autant plus difficile que la plupart des entreprises présentes lors de l’événement de Collibra dépendent d’une organisation décentralisée.
C’est le cas chez le groupe assurantiel et bancaire : AXA. Julliette Bechdolff est Data Governance Manager chez AXA Corporate Center, au sein du Data office du groupe. « Nous sommes responsables de la collecte et du traitement de large volume de données auprès des entités opérationnelles, mais avec la configuration d’une petite entreprise et avec la maturité de débutant, probablement », indique-t-elle.
Cela entraîne d’entrée plusieurs difficultés, dont la déduplication des données.
« Traditionnellement, et comme dans beaucoup d’entreprises, le groupe demande aux entités de leur envoyer directement leurs données, peu importe si ces informations existaient déjà dans plusieurs départements », affirme la responsable de la gouvernance des données. « Donc, nous collectons plusieurs fois les mêmes données, et nous ne le savons pas forcément. Nous avons le même problème avec les données achetées à l’externe, parce que la plupart des équipes qui commandent les mêmes jeux de données ne se connaissent pas forcément ».
Chez Engie, ces silos restreignent les échanges de données entre les entités et les différentes lignes de métier.
« Engie est aussi une organisation très décentralisée », affirme Thierry Grima, Group Chief Data Analytics Officer chez Engie. « Cela veut dire que nous avons des difficultés à accéder aux données et de les partager. Quand vous avez 25 entités cœurs, vous avez 25 silos de données », note-t-il.
« C’est en train de changer parce que le marché et l’organisation sont en train de changer, mais ça nous prend aussi beaucoup de temps pour le faire. Et de fait, les données doivent être, agrégées et partagées entre les différentes entreprises pour qu’elles apportent de la valeur ».
L’émergence d’organisations hybrides
Pour mener à bien ce plan, Engie est en train de passer d’une organisation régionale, à une autre par ligne de métier. Outre l’implémentation d’une plateforme de gestion de métadonnées centralisée, celle de Collibra, le data office d’Engie doit rassembler les collaborateurs autour de la notion de gouvernance.
C’est d’autant plus important que ces data office centraux (ou transversaux) n’ont pas la maîtrise de la production de données.
Thierry GrimaGroup Chief Data Analytics Officer, Engie.
« La transformation data ne se joue pas à l’échelle globale, mais localement », note Thierry Grima. « Nous sommes là pour diffuser cette culture, pas pour effectuer nous-même ce travail. Depuis quatre ans, mon équipe et moi sommes responsables du chantier de la transformation des traitements de données. Nous travaillons étroitement avec un réseau de CDO régionaux, une trentaine de personnes environ, une communauté de data scientists, environ 300 collaborateurs, et plus de 2 000 “amis des données”, une communauté pour encourager un meilleur usage de la donnée », liste-t-il.
Ce n’est là qu’une infirme portion des 170 000 collaborateurs qui animent les activités du groupe français.
« En tant qu’industriel de l’énergie, la gestion des données n’était pas aussi importante qu’elle l’est aujourd’hui. Nous devons convaincre les collaborateurs que la donnée peut être transformatrice, qu’elle peut aider à améliorer les processus, les accélérer, mais aussi changer la manière dont nous administrons nos activités commerciales », martèle Thierry Grima.
Un déploiement des outils et une adoption « pas à pas »
Cette problématique ne touche pas seulement les industriels et les énergéticiens. Malgré la légère avance du secteur bancaire en matière de data governance, Olivier Breton note que chez BNP Paribas l’adoption des outils de gestion et d’analyse des données par les métiers demeure faible.
« En 2020, nous avons établi un rapport concernant la transformation en cours. Nous avons observé qu’il y avait un manque d’adoption chez les collaborateurs. Les outils en place étaient mis en place par l’IT, pour l’IT, mais ce n’est pas notre but. Nous voulons démocratiser les données », déclare-t-il.
Là, il s’agit de cibler des problématiques spécifiques. « Nous avons plusieurs centaines de data scientists au sein du groupe », raconte Olivier Breton. « Et nous savons que cela prend parfois plus de six mois pour trouver et accéder aux données. Ce que nous encourageons, c’est la fluidité des données, c’est-à-dire faire en sorte de simplifier le parcours des utilisateurs dans le but de trouver les données, de les comprendre, de collaborer et de les consommer sans oublier d’y appliquer les bonnes réglementations ».
Mais cette approche se fera pas à pas. Rien que pour la plateforme Collibra, Olivier Breton évoque environ 70 cas d’usage possibles, au rythme d’un déploiement trimestriel, déploiement qu’il faut anticiper en mettant en relation les équipes métiers, le CDO concerné, et son homologue à la DSI, le data custodian.
Cette approche des petits pas est également pratiquée et recommandée chez Engie qui déploie une seule plateforme MDM à l’échelle du groupe et qui a déjà confié des accès aux collaborateurs d’une dizaine d’entités régionales. C’est justement parce que la première phase d’identification des experts du data management chez les équipes métiers et IT a été plus laborieuses que Thierry Grima observe une plus forte valeur ajoutée en pensant la mise en place des moyens avec de premiers résultats en vue.
Chez Axa Corporate Center, « la partie IT du projet était plutôt aisée et rapide », remarque Juliette Bechdolff. « Mais toute la cartographie que nous devons effectuer pendra plusieurs années. Nous devons infuser les politiques, discuter avec les entités, appliquer la méthodologie que nous voulons mettre en place », prévoit-elle.
D’autant que d’autres sujets se sont greffés à cette vision à long terme.
Pierre DelvilleCDO, Euroclear
« Depuis cette année, il y a aussi des sujets autour de la rétention des données qui posent des problèmes de régulation, mais aussi de coût, car le stockage coûte très cher », constate la responsable.
« Nous utilisons Collibra pour documenter les règles de rétention qui sont définies pour chaque type de données ».
Mais il faut encore que les métiers concernés utilisent les outils en place. Pour cela, le Data Office d’AXA met en place les procédures et les moyens de communication pour encourager cette adoption.
De son côté, Pierre Delville rappelle qu’après avoir découvert les données « il ne faut pas négliger leur qualité », avant de les ingérer dans la plateforme de gouvernance.
« Vous voulez connaître les données disponibles, les sources maîtresses, qui en sont les stewards ou les propriétaires, connaître le niveau de qualité des données, leurs usages », renseigne-t-il.
Malgré l’ensemble des défis techniques, organisationnels, légaux et économiques de la gouvernance des données, le CDO d’Euroclear se veut confiant.
« Le rôle de CDO n’est pas mature, mais je suis convaincu qu’à la fin de cette décennie, cela deviendra un métier reconnu, tout autant que celui de DSI », anticipe-t-il.