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Rachat de VMware par Broadcom : les analystes sont (très) inquiets
Selon les cabinets Gartner et Forrester, les entreprises devraient se méfier de possibles hausses de prix et d’un arrêt de l’innovation, comme cela a été le cas lors des rachats de CA et Symantec par Broadcom.
Le rachat prévu de VMware pour 61 milliards de dollars est censé étendre le champ d’activité de Broadcom aux logiciels d’entreprise. Néanmoins, l’impact de cette opération sur les clients de VMware et le reste du marché n’est pas clair. Selon Michael Warrilow, analyste chez Gartner, les clients de VMware devraient considérer dès à présent que les choses ne se dérouleront plus comme d’habitude.
« Les clients de VMware vont devoir évaluer à quoi les expose ce rachat et, avant de faire de nouveaux investissements, faire pression sur l’éditeur pour qu’il s’engage par écrit à respecter des dispositions spécifiques. Il faut considérer que Broadcom a son propre agenda, et que ce rachat, s’il est conclu, va influencer de manière très importante ses stratégies », dit-il.
Les analystes estiment que Broadcom est moins intéressé par VMware lui-même que par l’extension à tout prix de ses activités au-delà des semi-conducteurs, son marché d’origine ; le fournisseur fabrique notamment des puces pour tout ce qui a trait aux modems, du Wifi aux puces 4G des smartphones, en passant par les contrôleurs Ethernet, Bluetooth, optiques, stockage, etc.
« Le marché des semi-conducteurs a été durement touché par la pandémie, avec des problèmes d’approvisionnement des matières premières et d’expédition des puces aux clients », commente Tracy Woo, analyste chez Forrester. « À cela s’ajoute que les performances des puces stagnent de plus en plus et que l’innovation dans ce domaine devient très compliquée du fait des contraintes physiques de la miniaturisation. En définitive, tous les fabricants de semi-conducteurs réfléchissent désormais à se lancer sur d’autres marchés. »
Le risque d’une stratégie orientée sur les profits rapides
En 2018, Broadcom avait déjà racheté CA, un leader des outils d’administration, notamment pour mainframes, pour 19 milliards de dollars. Puis Symantec, l’éditeur des antivirus Norton, pour 10,7 milliards de dollars, un an plus tard.
Tracy Woo porte un regard sévère sur ces acquisitions. « Après le rachat par Broadcom, les clients de CA et Symantec ont vu des hausses de prix massives, une détérioration du service support et un blocage du développement ». Elle se souvient que Symantec, à l’époque, avait réorienté ses efforts vers ses plus importants revendeurs et clients, « abandonnant sa base de 100 000 clients pour donner la priorité aux seuls premiers 2 000. »
« VMware est l’un des principaux acteurs dans le domaine des logiciels d’entreprise et s’impose notamment avec ses produits d’administration, à savoir les suites vRealize et CloudHealth. Ces produits ont connu une croissance importante d’année en année et permettent à VMware de se maintenir loin devant ses concurrents », ajoute-t-elle.
Tracy WooAnalyste chez Forrester
« Mais la grande question est de savoir si Broadcom peut gérer un catalogue aussi étendu et une clientèle aussi nombreuse que ce que l’on trouve aujourd’hui chez VMware. Vont-ils savoir en tirer parti pour construire une solution moderne, utile, qui fait le grand écart entre le mainframe et l’informatique en edge ? », s’interroge-t-elle. « Ou bien vont-ils continuer à faire comme d’habitude, presser les clients pour qu’ils lui paient des prix plus élevés, à un moment où l’inflation mondiale augmente ? »
Gartner imagine que Broadcom ne cessera pas d’investir dans le développement des technologies de base de VMware, typiquement vSAN, NSX et vSphere/ESXi. « En revanche, il est difficile de savoir quel sort il va réserver aux autres produits du catalogue », s’inquiète Michael Warrilow.
Une opportunité pour le concurrent Red Hat ?
Selon Tracy Woo, si le rachat de VMware par Broadcom inquiète les entreprises, alors le gagnant sera Red Hat, qui propose une suite de virtualisation alternative, tout aussi fonctionnelle. « D’autant que Pivotal – aujourd’hui Tanzu Application Platform (TAP) – reste derrière OpenShift de Red Hat en termes de vente. VMware n’est toujours pas parvenu à proposer une plate-forme de conteneurs multicloud aussi fonctionnelle que celle de Red Hat », observe-t-elle.
« Il est important de noter que vSphere, qui est le produit de base de VMware, prend déjà en charge les containers. TAP étant une suite relativement nouvelle dans le catalogue, la clientèle reste en effet à conquérir », ajoute Michael Warrilow.
« Cependant, il n’est pas dit que Red Hat raflera la mise. Une plate-forme d’applications cloud-native est différente de l’infrastructure de containers sous-jacente. À titre d’exemple, la CNCF [la fondation qui chapeaute les développements Kubernetes, N.D.R.] recense actuellement 68 distributions Kubernetes certifiées – dont celles de D2iQ, Microsoft, Mirantis et SUSE (Rancher). En outre, tous les principaux fournisseurs de cloud computing proposent des offres sur ce segment », pondère-t-il.
Quelle synergie avec les autres produits ?
De ce que l’on sait, Broadcom voudrait commencer par intégrer CA et Symantec sous la marque VMware. Reste à savoir quelles synergies sont possibles entre les différents catalogues, notamment avec les logiciels de sécurité de Symantec.
Selon les analystes, Pat Gelsinger avait en son temps tenté d’ouvrir VMware aux outils de sécurité, en ajoutant notamment des fonctions de contrôle des failles, issues du rachat de Carbon Black, à ses solutions de réseau, de cloud et de monitoring. « Pour autant, ces capacités ont été finalement assez peu développées », note Naveen Chhabra, analyste chez Forrester.
Selon elle, conjuguer des produits Symantec avec des produits VMware dans des bundles, par exemple, est loin de se réaliser. « Premièrement, c’est très facile à dire, mais très compliqué à faire, il faudrait faire preuve d’innovation. Deuxièmement, la stratégie d’acquisition de Broadcom dans le passé ne témoigne pas d’un état d’esprit axé sur l’innovation. »