Télécoms : Hub One part à la conquête des projets de 5G privée en France
L’opérateur interne à ADP ambitionne de couvrir les sites industriels du pays en réseau cellulaire. Sa solution est en réalité de la 4G privée, mais elle a un avantage : elle fonctionne.
Plus tôt cette année, Hub One, l’opérateur télécom interne d’Aéroport de Paris, a été élu lauréat du programme France Relance du ministère de l’Industrie. En l’espèce, le prestataire a obtenu un investissement public de 800 000 € pour soutenir le développement de son projet « Dev 5G Industrie » qui doit concrétiser une forme de 5G privée en France.
Ce projet vise à savoir déployer des réseaux cellulaires privés sur de grands sites de production. L’enjeu est d’y remplacer les réseaux filaires, trop statiques, ainsi qu’une multitude de systèmes de communication locaux (talkie-walkie, documents, téléphones personnels…) jugés trop peu fonctionnels, trop limités, trop coûteux, voire trop énergivores.
À la place, le personnel et les machines seraient tous dotés d’un terminal du genre smartphone durci capable de recevoir et d’émettre tous les types de communication, mais aussi de s’interfacer avec des solutions tierces en cloud, pour des usages inédits.
Guillaume de LavalladeDG, Hub One
« Je suis persuadé que la 5 G privée et industrielle en France comme en Europe va être un sujet immense d’ici peu », lance Guillaume de Lavallade, le DG de Hub One.
« Depuis la crise pandémique, les plans de réindustrialisation se multiplient en Europe. Et dans ces plans de réindustrialisation très dynamiques, le réseau radio est bien plus flexible que le réseau filaire. Les industriels que nous rencontrons ne veulent plus tirer des câbles Ethernet, parce que, par exemple, ils veulent pouvoir rapidement reconfigurer leurs lignes de production, à chaque fois qu’ils assemblent un type de véhicule différent. Ils veulent aussi passer à un stade supérieur de robotisation, en l’occurrence avec des robots mobiles qu’ils doivent piloter à distance. »
D’opérateur privé d’ADP à opérateur des industriels
En validant un premier déploiement sur les aéroports de Paris, débuté en 2020, Hub One compte s’imposer comme le premier opérateur télécom capable de couvrir tout site industriel ou portuaire. Et l’attente de ces entreprises serait telle qu’Hub One plancherait déjà sur quatre chantiers, en dehors des aéroports de Paris, dont le port du Havre.
« Par son histoire, Hub One est l’opérateur qui a la meilleure compréhension des sites contraints, dans l’industrie, dans les transports, dans l’énergie », argumente Guillaume de Lavallade.
Il faut dire que les grands sites de production ou de logistique représentent une opportunité économique telle qu’elle risque de donner à plus d’un opérateur privé des ailes pour sortir de leur giron initial : « sur chacun de ces sites se trouve un écosystème de partenaires. Autour des lignes d’assemblage d’un fabricant automobile, par exemple, vous avez le sous-traitant pour la plasturgie, le sous-traitant pour la peinture, pour la logistique. Tous ces gens communiquent sur le même site. C’est-à-dire que nos clients vont nous amener d’autres clients », reconnaît le DG de Hub One.
En pratique, le projet Dev 5G Industrie doit démontrer la faisabilité de joindre par ondes radio n’importe quelle parcelle d’un site de production, malgré des contraintes fortes : lieux enterrés ou reculés, structures en métal, déplacements fréquents, surabondance d’appareils clients dans un lieu aléatoire, à un moment aléatoire, etc.
« Chaque design de réseau cellulaire est unique. Sur un site de production, comme le port du Havre qui fait 100 km2 par exemple, vous avez des infrastructures lourdes qui vont faire barrage aux ondes, des travailleurs isolés, etc. Chaque rupture pose un problème d’arrêt de production. Notre enjeu est de fournir notre service sur chaque parcelle et nous avons la chance d’avoir dans nos équipes des ingénieurs radio chevronnés pour y parvenir. »
Servir des enjeux de communication critiques
Hub One est né il y a 20 ans des activités télécoms d’Aéroports de Paris (ADP). Après avoir posé des lignes de téléphonie classiques et notamment doté les personnels de Roissy-CDG, d’Orly ou du Bourget de téléphones DECT sans fil et de talkies-walkies Tetra pour communiquer à l’intérieur des bâtiments, l’opérateur a petit à petit déployé des dispositifs de traçabilité, du Wifi, ou encore des systèmes de cybersécurité. Aujourd’hui, Hub One assure les communications quotidiennes pour environ 100 000 personnes sur les trois aéroports parisiens.
« Tous ces gens ont des besoins de communication très forts qui vont de pouvoir être joints au tri bagage se trouvant au troisième sous-sol, jusqu’à avoir suffisamment de Wifi dans les boutiques des galeries marchandes, en passant par un réseau LoRa permettant de retrouver les équipements ou les véhicules entreposés quelque part entre les hangars et les pistes. Le seul type de communication qui n’est pas de notre ressort, c’est la téléphonie mobile des usagers », décrit Guillaume de Lavallade.
Dès 2018, Hub One expérimente les limites des dispositifs qu’il a déployés et que seul un réseau cellulaire permettrait de dépasser. « Nous avons été au maximum de ce que peut faire le Wifi. Mais quand un avion arrive au point parking, vous avez vingt-cinq métiers qui opèrent et qui doivent communiquer. Or, il suffit qu’un bagagiste soit derrière les ailes et qu’il pleuve, pour qu’il ne puisse plus se connecter à la cellule Wifi que nous avons installée en face de l’emplacement prévu pour l’avion. »
À cette époque, l’opérateur avait réuni dans un livre blanc l’ensemble des usages ayant trait aux télécommunications sur les aéroports parisiens. « Avant d’installer des antennes et équiper tout le monde de cellulaires, nous devions être certains que les personnels ne se retrouvent pas à perdre des usages. Par exemple, sur les Tetra, vous avez un bouton Groupe, qui permet de vous adresser à tous les membres de votre équipe en même temps. Nous devions reproduire cela. De même, la police a pris l’habitude de communiquer en Whatsapp pour à la fois envoyer des informations, des prises de vue et s’appeler. Nous devions proposer un Whatsapp privé. »
La fameuse bande 38, clé des réseaux cellulaires privés
Seconde étape : obtenir auprès de l’Arcep, le gendarme français des télécoms, des fréquences privées. Guillaume de Lavallade se targue d’être à l’initiative de la libération de la bande 38 en 2019. Comme tous ses homologues européens, l’Arcep a autorisé il y a deux ans l’utilisation pour des usages privés, sur une zone délimitée, de cette bande de fréquence large de 40 MHz aux alentours de 2,6 GHz.
« La bande 38 a un énorme avantage : elle est utilisée en Asie pour la 4G. Cela signifie que le matériel compatible existe déjà et que nous avons même l’embarras du choix, que ce soit parmi les terminaux, comme parmi les équipements réseau et les modèles d’antennes. C’est une très grande différence par rapport au WiMax, une autre technologie qui avait été envisagée des années auparavant, mais que personne n’a finalement adoptée faute d’écosystème matériel compatible. »
Hub One a obtenu sa licence pour la bande 38 dès janvier 2020 et a commencé à déployer ses antennes pendant le confinement. À date, une centaine de cellules radio couvrent un total de 55 km2, soit l’intégralité de l’aéroport de Paris-Orly – extérieurs comme intérieurs – et moins de 70 % de Paris-Charles-de-Gaulle, lequel sera terminé d’ici à la fin de l’année 2022, avant le passage au site de Paris-Le-Bourget. Hub One compte les utilisateurs connectés à ce nouveau réseau selon le nombre de cartes SIM qu’il a déjà distribuées, soit un millier, mais cette quantité augmente de manière exponentielle chaque mois.
Une couverture 4G privée, car la 5G n’est pas prête
De manière assez étonnante, alors que les projets d’un réseau cellulaire cantonné à un site se prévalent communément d’être de la « 5 G privée » – y compris le « Dev 5G Industries » de Hub One – c’est en définitive de 4G privée dont il s’agit ici. Selon Guillaume de Lavallade, on joue sur les mots : tous les projets de 5G privée seraient en réalité de la 4G privée.
Guillaume de LavalladeDG, Hub One
« Tout l’écosystème 4G est prêt, au contraire de la 5G. Les équipements sont tous disponibles, à des prix économiquement intéressants. C’est un point extrêmement important pour les entreprises », répond-il.
Il cite d’abord les terminaux. « Dans les transports, dans l’industrie, dans la logistique, nous sommes majoritairement sur des projets de cols bleus : il faut des terminaux durcis, qui peuvent tomber, qui vont souffrir sous un avion, dont l’écran tactile fonctionne en hiver avec des gants, avec une batterie longue durée. Un smartphone 5G dernier cri ne répond à rien de tout cela. »
Les antennes et leurs RAN – l’équipement à leur pied qui fait office de modem et qui sépare chaque communication en un flux de données distinct – sont fournis par Ericsson. Le cœur de réseau, où toutes les communications sont routées selon leur type (voix, texte, données) et leurs destinataires, est quant à lui fourni par Athonet. Sa solution est de type NFV (Virtualisation des Fonctions Réseau), c’est-à-dire que chaque module de routage télécom est une machine virtuelle et toutes sont exécutées sur un seul cloud privé, en l’occurrence les deux datacenters qu’Hub One opère à Roissy.
« Avec la virtualisation d’Athonet, toute l’infrastructure cœur de réseau est logicielle. Cela signifie que, lorsque les technologies 5G seront prêtes, nous pourrons migrer en faisant une simple mise à jour. C’est une solution très flexible, peu chère, plus facile à maintenir, plus facile à redonder que les équipements matériels du début de la 4G. Disons que nous avons déployé un réseau 4,8 G », assure Guillaume de Lavallade.
Plus un besoin de couverture fiable que de fonctions dernier cri
La 5G, quant à elle, ne doit améliorer que des fonctions de cuisine interne. En l’occurrence, le Slicing, qui permettrait surtout de faire transiter des flux professionnels avec une bande passante donnée sur un réseau cellulaire public. Et puis aussi le Beamforming, qui consiste à émettre des ondes synchronisées dans un faisceau, de sorte à diriger l’essentiel de la bande passante dans la direction d’une zone plus dense que les autres, plutôt que diffuser la même puissance tout autour.
Guillaume de LavalladeDG, Hub One
« Ce sont des technologies qui viennent à peine d’être normalisées. Il va falloir encore attendre au moins 2027 avant qu’elles soient correctement implémentées par les équipementiers et soient en effet disponibles dans les réseaux cellulaires. Nous n’avons aucun remords à déployer de la 4G qui fonctionne d’ici là. »
Rappelons au passage que la « 5G » vendue par les opérateurs nationaux au grand public n’en a que le nom. Il s’agit juste de connecter les utilisateurs sur d’autres antennes ; dans le meilleur des cas, ces antennes émettent aux alentours de 3,5 GHz, avec plus de bande passante que la 4G. Mais la plupart des opérateurs réutilisent pour leurs offres 5G des bandes de fréquences déjà employées pour la 4G, voire pour la 3G. Dès lors, le gain de vitesse est nul, si ce n’est que le trafic peut être plus fluide, car moins d’utilisateurs sont connectés aux antennes.
« Nos utilisateurs ont surtout besoin de couverture, de bande passante abondante, de la latence la plus faible possible, car ils vont chercher de plus en plus d’applications dans le cloud. Nos mesures montrent que nous obtenons avec notre réseau des débits et des latences bien meilleurs que ceux des réseaux cellulaires 4G/5G des opérateurs publics sur nos sites », dit le DG.
Il explique que la seule raison qui poussera à terme Hub One à changer ses antennes sera lorsque la largeur de 40 MHz offerte par la bande 38 ne sera plus suffisante pour transporter tous les usages. Mais encore faudra-t-il que, d’ici là, l’Arcep ait libéré une autre bande de fréquence.
Dans le B2B, un opérateur doit aussi être intégrateur
En l’occurrence, les gains de vitesse mesurés par Hub One sur son réseau doivent beaucoup à la présence sur site des datacenters de l’opérateur. En plus d’être directement relié par des fibres backbone au reste d’Internet et aux autres opérateurs télécoms, il héberge une partie des applications que les personnels travaillant sur les aéroports de Paris utilisent.
Car c’est l’autre pan du service que Hub One compte proposer à ces clients : au-delà des antennes, il intègre des solutions métier. Soit dans ses propres datacenters, soit dans des datacenters plus petits installés sur les sites d’exploitation. Pour y parvenir, Hub One a développé son propre middleware, baptisé Horus, qui relie les données de n’importe quel terminal à n’importe quel ERP. À la charge des entreprises de faire développer cet ERP sur mesure par des tiers.
« Notre métier, c’est la connectivité. Mais cette connectivité va jusqu’à la fourniture de la solution qui fonctionne, par exemple des douchettes pour scanner des biens qui interrogent une base de données qui répond. C’est pourquoi nous nous présentons comme opérateurs de technologie digitale plutôt que comme opérateur télécom. Dans le B2B, vous êtes obligés de fournir toute la technologie qui permet de digitaliser une entreprise. Cela nous permet d’avoir un discours qui fait mouche auprès des entreprises », argumente Guillaume de Lavallade.
Servir des besoins de souveraineté, d’écoresponsabilité
À cela s’ajouterait le fait que de plus en plus d’entreprises souhaitent rester souveraines vis-à-vis des technologies employées. « Certaines entreprises vont utiliser des applications hébergées sur leurs propres serveurs et d’autres fonctionneront en cloud. Notre politique est d’éviter de passer par des clouds américains. Le fait d’être un opérateur ouvertement souverain nous permet de servir nombre d’entreprises souveraines. Et nous constatons qu’il y a une forte demande en la matière depuis 2020 », dit le DG de Hub One.
Guillaume de LavalladeDG, Hub One
Au-delà de l’aspect souverain, localiser les applications sur site permettrait aussi de réduire les risques d’une coupure de service. « Nous proposons d’héberger les applications dans nos datacenters. Mais un industriel peut vouloir avoir un cœur de réseau qui soit installé chez lui, qui lui soit propre, en circuit clos. La caractéristique d’un port, d’un aéroport, d’un gros site de raffinerie, d’un gros site de production, c’est que ce sont des écosystèmes très étendus, avec des configurations assez compliquées. Vous avez des activités SEVESO à droite, à gauche, des besoins de garantie de résilience, de disponibilité des services télécom. »
Dernier point, la question écologique ; elle est chère aux entreprises et aux industriels qui se dotent de plus en plus de programmes RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) et Hub One se doit d’y répondre.
« Pour un opérateur, la consommation des réseaux ne représente que 20 % de son empreinte carbone. Les 80 % restants sont les terminaux. Les smartphones, les tablettes consomment des métaux rares, de l’énergie pour être construits et, qui plus est, de l’énergie à l’étranger, pas l’énergie nucléaire propre que nous avons en France. Nous pouvons nous féliciter qu’en unifiant différents usages sur un seul terminal, nous contribuons à réduire l’empreinte carbone d’un site. »
« Mais, au-delà, notre responsabilité à ce niveau-là concerne la réparation des appareils, l’allongement de leur durée de vie au maximum possible. Nous ferons des annonces à ce sujet dans les prochaines semaines », promet Guillaume de Lavallade.