Oracle en chemin vers le cloud souverain
Oracle a lancé sa première Cloud Region en France en 2021. Si les intérêts techniques et juridiques pour les clients semblent modestes, ce data center à Marseille serait une étape vers un cloud plus souverain. Entretien avec le VP Cloud Strategy EMEA, qui fait aussi l’éloge de l’ouverture.
Deux ans. Voilà deux ans qu’Oracle France n’avait pas organisé d’évènement physique pour cause de pandémie. Pour renouer avec le « présentiel », l’éditeur a invité ce 11 avril 2022 plusieurs centaines de clients à Station F, avec en sujet phare de sa séance plénière : le cloud.
Cet Oracle Summit a été l’occasion d’échanger avec Régis Louis, VP Cloud Strategy EMEA, sur la grande actualité de l’éditeur de ces deux années passées : l’ouverture d’une Région Marseille pour son cloud.
Dans cet entretien, Régis Louis est revenu sur l’intérêt de ce datacenter, sur la stratégie que cette infrastructure semble initier vers un cloud réellement souverain, et sur l’évolution de la culture cloud d’Oracle vers l’ouverture.
LeMagIT : Comme d’autres grands acteurs du cloud, Oracle a ouvert un data center en France (avec Interxion). Quel est l’intérêt pour les clients locaux d’Oracle – qui ont déjà la possibilité d’être hébergés dans un datacenter en Allemagne – de cette infrastructure à Marseille ? Au premier abord, les avantages techniques et légaux ne semblent pas évidents.
Régis Louis : Il peut y avoir plusieurs réponses à votre question.
Une réponse est qu’il n’y a pas d’intérêt. Si les clients sont contents de leurs déploiements là où ils sont, et si tout fonctionne bien, il n’y a pas de raison de changer. « If it ain’t broke, don't fix it » comme on dit.
En revanche, il y a plusieurs raisons qui pourraient les pousser à le faire. En premier lieu les clients qui sont plus proches de Marseille que de l’Allemagne peuvent y trouver un intérêt. Pour eux, il peut y avoir une latence inférieure et donc une meilleure performance.
LeMagIT : Pour les clients du Sud, il y a donc un intérêt technique, mais pour ceux qui sont dans le Nord ou en Île-de-France ?
Régis Louis : C’est plus ou moins à équidistance, donc pour eux cela ne changera pas beaucoup d’un point de vue technique. Mais il y a une autre raison [pour utiliser la Région Marseille] : c’est le besoin réglementaire de certaines entreprises d’avoir leurs données qui restent en France (la Data Residency). Là, elles ont la garantie que leurs données ne sortiront pas du pays.
Marseille : une « bonne première étape » vers un cloud plus souverain
LeMagIT : Peut-on revenir rapidement sur ces entreprises ? Elles ont une demande qui semble assez contradictoire.
D’un côté, elles veulent que leurs données soient strictement hébergées en France. Et vous leur apportez cela. Mais d’un autre côté, comme Oracle est un fournisseur américain et que la localisation des données n’est en aucune manière une parade contre l’extraterritorialité du droit américain dénoncé par le gouvernement français, elles sont aussi d’accord pour que leurs données soient soumises au CLOUD Act, à FISA, etc.
Qui vous fait ces demandes plutôt antinomiques en France ?
Régis Louis : Je dirais que [la localisation] est une demande presque implicite de la part des clients français. Un certain nombre de clients ne considèrent même pas une offre cloud sans Data Residency.
Régis LouisOracle
Maintenant, je suis d’accord avec vous. Il peut y avoir un aspect psychologique et cela ne répond pas à un cadre réglementaire plus strict. Mais dans le futur, nous estimons pouvoir aller encore plus loin en termes réglementaires.
Avoir un cloud basé en Europe, opéré par du personnel européen, dans une structure juridique européenne, avec la garantie que les données (y compris les métadonnées) ne sont pas soumises à l’extraterritorialité [d’un droit non européen], avec une plateforme d’identification et de gestion des identités basée en Europe, c’est quelque chose que l’on doit être capable de faire dans le futur.
Avoir la résidence des données dans le pays est déjà une bonne première étape.
Après le cloud Bleu, le cloud Red ?
LeMagIT : Pour « aller plus loin en termes réglementaires », un cloud Oracle géré par un partenaire sur le modèle de Bleu ou de Google/Thalès est-il une option que vous envisagez ?
Régis Louis : Aujourd’hui, nous ne sommes pas prêts à faire des annonces grandiloquentes au marché parce nous attendons d’avoir une solution et un modèle qui soient complètement éprouvés et validés pour tous les aspects réglementaires… et Dieu sait que les aspects réglementaires bougent ! Par exemple, SecNumCloud (NDR : certification au cœur du « Cloud de confiance ») vient de changer.
Mais cela fait clairement partie des choses que l’on évalue de manière significative.
LeMagIT : Vous travaillez beaucoup avec le secteur public et les OIV. Pour continuer à travailler avec eux, n’êtes-vous pas de toute façon un peu obligé d’aller vers cela ? C’est un peu le sens de l’Histoire pour votre cloud, non ?
Régis Louis : Il y a un certain nombre de choses qui sont à envisager. Comme je vous le disais, on démarre d’abord avec la résidence des données.
Ensuite, il y a les aspects réglementaires qui sont liés à l’opération de ces services : par exemple avoir du personnel européen qui supporte ce cloud (c’est un autre aspect réglementaire qui est extrêmement important pour beaucoup d’organisations).
Et après, il y a un troisième volet – qui un peu plus franco-français quelque part – c’est la compliance avec SecNumCloud.
LeMagIT : La nationalité de la structure juridique ?
Régis LouisOracle
Régis Louis : Exactement. Et c’est bien le seul aspect de SecNumCloud aujourd’hui auquel nous ne sommes pas en mesure de répondre. On ne peut pas changer la nationalité d’Oracle.
La seule manière de répondre à cette contrainte, c’est de faire un partenariat avec une structure de droit français, financée à hauteur de ce qu’indique SecNumCloud, et de faire en sorte que le partenaire puisse commercialiser, supporter, et opérer notre cloud.
Je vous le disais, on ne peut pas faire d’annonces. Mais ce que je peux vous dire c’est que c’est quelque chose que nous envisageons.
Une « vraie transformation en termes d’ouverture »
LeMagIT : Dans le cas de Bleu et de l’accord Thalès/Google, ce sont des clouds « souverains », mais avec des technologies Microsoft ou Google du sol au plafond. Il y a une autre option, légèrement différente, qui serait de s’appuyer sur une infrastructure européenne.
On pourrait par exemple imaginer des bases Oracle en mode « à la demande » (DBaaS) ou des applicatifs (comme NetSuite) qui tournent sur OVHcloud ou T-Systems.
Cette option encore plus « ouverte » est-elle aussi envisageable – en sachant que Larry Ellison (fondateur et CTO d’Oracle) a historiquement été opposé au fait de faire tourner le cloud d’Oracle (PaaS et SaaS) sur autre chose que sur OCI (IaaS) ?
Régis Louis : Il y a plusieurs manières de voir et de faire les choses. Et je pense qu’aujourd’hui, nous ne sommes fermés à aucune éventualité.
LeMagIT : Oracle n’est donc pas fermé à la possibilité – exemple totalement hypothétique – de faire tourner NetSuite sur un OVH ? C’est quelque chose qui, dans la culture d’Oracle, pourrait se faire aujourd’hui ?
Régis Louis : Si vous m’aviez demandé, il y a quatre ans ou cinq ans : « est-ce qu’il pourrait y avoir une interconnexion entre le cloud Oracle et Azure ? » ou « est-ce qu’un jour VMware pourrait fonctionner de manière native sur le cloud Oracle ? »… Pas sûr que je vous aurais dit oui à l’époque (sourire).
Régis LouisOracle
Il y a une vraie transformation en termes d’ouverture. Nous évoluons aujourd’hui dans un environnement hétérogène. Les clients sont au centre de nos préoccupations. Donc si on peut répondre à leurs besoins, et que d’un point de vue technologique cela a un sens, on ne va pas fermer de portes.
Je ne vous dis pas que l’on va faire ceci ou cela ! Mais cela ne nous empêche pas de discuter avec l’ensemble de l’écosystème pour voir ce qui pourrait répondre aux besoins des clients.
LeMagIT : Vous confirmez qu’il n’est donc pas exclu qu’Oracle puisse discuter, un jour ou l’autre, avec T-Systems ou avec OVH si les clients vous le demandent ?
Régis Louis : S’il y a une forte pression de la part des clients... Il faut qu’il y ait un marché.
Un autre point est important. Il faut que techniquement, cela ait un sens. Parce qu’on ne peut pas satisfaire les clients si la solution ne répond pas réellement à leurs besoins.
Donc, il y a plusieurs choses à prendre en compte, dont le fait de savoir si cela a un sens pour nous de multiplier les go-to-market au travers de partenariats.
Tout cela, ce sont de très bonnes questions. Et ce sont des discussions que nous avons actuellement avec l’écosystème, avec des annonces qui devraient arriver dans le courant de cette année calendaire.