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Gaia-X : les projets progressent en ordre dispersé, mais ils progressent

Mars 2022. Le Hub France Gaia-X tenait sa 4e session plénière. L’occasion pour ses membres de présenter l’avancement des groupes de travail et d’appeler à la mobilisation pour contrecarrer les « influences » extra-européennes.

L’initiative Gaia-X est européenne – avec des ambitions internationales – et s’appuie sur deux sponsors principaux que sont l’Allemagne et la France. Chaque État de l’UE est cependant encouragé à créer son propre écosystème national. En France, son coordinateur est le Hub France Gaia-X, fondé en décembre 2020.

Au total, 14 hubs en Europe ont été mis en place, plus un hub en Corée. La constitution d’un hub au Japon est en passe d’aboutir. Une curiosité ? Non, selon les cadres de Gaia-X. Sa réussite dépend directement de son adhésion hors de l’UE.

L’automobile (Catena-X) en exemple

Au niveau franco-français, le 18 mars 2022, au ministère des Finances et à l’invitation de la DGE, se tenait la 4e session plénière du Hub France. Un quatrième rendez-vous qui a permis de faire un point d’avancement des travaux pour chacun des secteurs.

Premier constat : le rythme de progression n’est pas le même pour toutes les industries. La référence aujourd’hui vient de l’automobile, avec Catena-X, un espace de données pour la filière auto.

« Le besoin était presque à l’origine de Gaia-X. Il faudra un peu de temps pour que l’Energy Data Space en arrive à ce niveau », constate Hubert Tardieu, le président du conseil d’administration de Gaia-X. « Mais qu’il s’agisse de l’énergie ou des finances, la France est en pôle position pour les lancer », assure-t-il. « Airbus est très actif pour lancer le Data Space au niveau de l’aéronautique, qui suit les traces de Catena-X ».

Articulation de la stratégie de l'Europe pour les données et de Gaia-X
Articulation de la stratégie de l'Europe pour les données et de Gaia-X

Le Agdatahub prêt à mutualiser ses briques technologiques

L’agriculture et l’agroalimentaire semblent avoir bien avancé également (sinon plus ?) grâce à Agdatahub. Sébastien Picardat, son Directeur général et membre du GT Agriculture (Groupe de Travail Agriculture), l’illustre par quelques chiffres et un pied de nez « taquin » à Catena-X.

« Agdatahub, c’est 10 millions d’exploitations agricoles européennes, 500 000 partenaires en amont et en aval avec qui nous échangeons des données », affiche-t-il. Et quand d’autres groupes bataillent encore pour bâtir des consortiums et établir une gouvernance, le dirigeant rappelle que ces sujets sont résolus depuis 5 ans dans le secteur.

« Les questions très concrètes de wallet, de blockchain, de consentement, de plateforme d’échange de données sont aujourd’hui chez nous industrialisées pour développer des cas d’usage très concrets ». Le 1er avril, des usages débuteront ainsi dans la filière bovine avec des données relatives à 18 millions de mouvements.

Pan de travail du groupe Agriculture de Gaia-X
Pan de travail du groupe Agriculture de Gaia-X

Le Agdatahub concourt à présent au Data Space agriculture de la Commission européenne au travers d’un consortium de 15 partenaires de 10 pays. Deux autres projets sont en concurrence pour ce marché. 2022 sera par ailleurs consacrée au développement des usages.

Identité numérique, gestionnaire de consentements, plateforme d’échange de données sont des briques technologiques à disposition des autres espaces de données, signale Sébastien Picardat.

Le GT Énergie s’allume doucement

De son côté, GT Énergie n’en est pas encore à ce stade de maturité, mais il enregistre tout de même des résultats concrets.

Plus de 20 grandes organisations participent aux travaux autour de Gaia-X et des espaces de données. Le groupe est lauréat de trois appels à projets de la Commission européenne, afin de créer un espace de données énergie. « Nous travaillons pour sécuriser ces trois projets, réaliser les accords de consortium et délivrer », explique Martine Gouriet, responsable du GT Énergie et directrice des usages numériques d’EDF.

Martine Gouriet souligne que l’enjeu est à présent de mener les projets et de garantir leur interopérabilité technique. « L’objectif désormais est d’industrialiser et de passer à l’échelle. Je rêve d’un Catena-X français avec l’ensemble des acteurs de l’énergie », plaide-t-elle.

Feuille de route du groupe de travail Énergie de Gaia-X
Feuille de route du groupe de travail Énergie de Gaia-X présentée par Martine Gouriet

Mobilités (Enoa-X) et éducation : deux méthodes, mais des résultats

Dans les mobilités (transport et tourisme), le rapprochement semble avoir été moins complexe à faire aboutir avec Enoa-X. Une situation qui peut s’expliquer par la participation d’un nombre plus réduit de membres fondateurs (5 au total).

Le projet Enoa-X est encore récent avec un dépôt des statuts qui remonte à mars 2021.

Un démonstrateur, première version de la plateforme basée sur des connecteurs Eclipse, est aujourd’hui disponible. La plateforme permet de proposer un voyage multimodal. Le GT Mobilité participe en outre aux appels d’offres pour les espaces de données européens du tourisme et de la mobilité.

« Il fallait créer une communauté d’intérêts. C’est le vrai sujet du Data Space Mobility. Nous sommes tous concurrents avec pour ambition de lancer notre propre application MaaS [N.D.R. la mobilité comme service] », explique le DSI groupe de la SNCF, Denis Losfelt « Il a donc fallu trouver une zone de coopération entre nous. Cette zone, c’est la donnée ».

État d’avancement du groupe de travail Mobilité, Tourisme et Transport de Gaia-X
État d’avancement du groupe de travail Mobilité, Tourisme et Transport de Gaia-X

La plateforme créée au sein d’Enoa-X permet donc d’échanger des données. Les membres planchent actuellement sur l’élaboration d’un catalogue de données à partir de cas d’usage. Celui-ci sera enrichi et le groupe sera ouvert à d’autres membres européens, afin de créer des applications de mobilité.

Le GT éducation et compétences ou DASES (Data Space Education & Skills) réunit administrations, EdTechs et associations du domaine éducatif. Un premier MVP (produit minimum viable) a été développé. Grâce à des financements de la DGE, il doit aboutir à la création d’un portail de données au code open source.

Parallèlement, le groupe travaille à l’interopérabilité avec d’autres espaces de données et à la réutilisation de blocs fonctionnels communs, dont le wallet, l’identité décentralisée, la blockchain et les smart contracts.

Feuille de route du groupe Éducation de Gaia-X
Feuille de route du groupe Éducation de Gaia-X

« Le groupe s’est positionné tout de suite dans une perspective européenne. Gaia-X nous a demandé de mettre en œuvre cette verticale Européenne (…) Nous avons pour cela réuni des organisations représentatives de 10 pays », commente Claudio Cimelli, directeur de projet à l’Éducation nationale.

2022, année des réalisations pour le GT Finance

Le GT Finances réunit, quant à lui, un grand nombre de participants européens, une centaine, originaires de 8 pays. « Le cœur reste très franco-allemand », indique néanmoins son coordinateur, Patrick Laurens Frings, DSI de la Caisse des Dépôts.

En 2021, la logique du groupe était orientée think tank. Une nouvelle trajectoire s’amorce en 2022 pour engager une « logique de réalisation, comme la plupart des data spaces de Gaia-X ».

Cette phase portera sur 4 grandes thématiques : la compliance by design (un document viendra compléter les règles de Gaia-X) ; le consortium EuroDAT qui livrera en 2022 un premier MVP autour de 2 cas d’usage (lutte contre la fraude et gestion de données extrafinancières) ; un wallet associé à 2 cas d’usage ; et enfin l’IA explicable.

Feuille de route du groupe de travail Finance de Gaia-X
Feuille de route du groupe de travail Finance de Gaia-X

« En 2022, nous basculons sur des projets concrets tirés par des industriels en lien très étroit avec des acteurs du secteur financier, et dans une logique européenne tirée par le binôme franco-allemand, aussi une garantie de succès », estime Patrick Laurens Frings.

Les industries culturelles et créatives visent elles aussi une dimension européenne. Ses travaux sont moins avancés cependant, puisque la création du groupe remonte à l’automne 2021. Mais avec un poids économique équivalent à 100 milliards d’euros, il est proche de celui de l’agroalimentaire.

Son groupe de travail doit toutefois encore rédiger son « position paper ». La publication est prévue pour avril.

Une quinzaine de cas d’usage portant sur l’ensemble de la chaîne de valeur de l’industrie a été identifiée. « La problématique à présent est de s’organiser en mode projet pour avancer sur ces cas d’usage », explique Louis-Cyrille Trébuchet, DSI de France Télévisions. « L’autre point d’étape sera le passage à l’échelle européenne ».

Gaia-X « opportunité essentielle » pour l’aéronautique

Du côté de la santé, de l’environnement, de l’aéronautique ou encore de l’industrie (Smart Manufacturing), les feuilles de route sont, là aussi, connues. Pour la santé, Hélène Coulonjou, directrice déléguée auprès du DSI de l’AP-HP, met en avant la « forte complémentarité » entre Gaia-X et l’action du Health Data Hub.

Sur l’environnement (ou GT Green Deal), un cas d’usage va être engagé en 2022 autour du recyclage des pales d’éolienne. Dans ce cadre, les acteurs de la chaîne doivent partager des données au sein d’un espace de données commun. Les développements s’appuieront sur les composants livrés par les participants de Gaia-X, avec comme objectif un MVP d’ici la fin 2022, indique Jacques Sibue, Chief Digital Risk Officer d’Engie.

Feuille de route du groupe de travail Green Deal de Gaia-X
Feuille de route du groupe de travail Green Deal de Gaia-X

Dans l’aéronautique, Gaia-X est décrite comme « une opportunité essentielle pour le secteur » selon Frédéric Sutter d’Airbus. Les cas d’usage ont été identifiés. Ils portent sur la chaîne logistique et la traçabilité multi-tiers. « Les enjeux de Gaia-X sont de tester une nouvelle forme d’infrastructure et de collaboration, notamment au travers de technologies basées sur le cloud, mais sécurisées », détaille-t-il.

Pousser la culture du partage dans la production industrielle

En ce qui concerne la production industrielle, dont le CEA assure la coordination, 180 membres de 100 organismes participent activement au groupe de travail. La finalité est de « regrouper la chaîne de valeur pour partager de la donnée », rappelle Ahmed Jerraya. Le chercheur du CEA fait deux 2 constats : la donnée à exploiter existe, mais « ce n’est pas encore entré dans les mœurs de partager ».

Des incitations et des cas d’usage sont donc indispensables pour dégripper les habitudes. Cinq premiers cas d’usage ont été identifiés pour cela, dont un premier visant à rapprocher fournisseurs d’équipements et acheteurs, afin de faciliter les contrats d’acquisition.

« Mais le partage des données peut se faire à des niveaux plus avancés, par exemple pour faire de la maintenance prédictive », plaide Ahmed Jerraya.

Les services fédérés pour amorcer la pompe de l’open source

Le GT smart manufacturing (ou industrie 4.0) se fixe comme objectifs en 2022 d’étendre la collaboration à l’échelle européenne, après quelques projets de partage de données au niveau national. Une cartographie de projets en France, en Allemagne et en Italie est en cours. Une gouvernance européenne et une feuille de route doivent aussi être définies.

Aux différents projets sectoriels, dont la création d’espaces de données, s’ajoutent d’autres chantiers autour de Gaia-X. Il s’agit en particulier des services fédérés (GXFS), comme la gestion des accès ou les composants d’échange de données.

En France, le consortium chargé du développement de ces services est piloté par l’IMT (Institut Mines-Telecom), sous la houlette d’Anne-Sophie Taillandier.

« Gaia-X est une association. Ce n’est pas un éditeur de logiciel. Gaia-X ne produit pas de code, mais des documents fondamentaux. Et donc les services fédérés ne sont pas un produit prêt à l’emploi, mais une initiative qui cherche à amorcer la pompe et à mobiliser une communauté open source autour de premiers codes », décrit la directrice de TeraLab.

GXFS-FR est la contribution française aux services fédérés. Elle est adossée à la fondation Eclipse et vise donc à livrer des spécifications et du code open source. Au développement de ces services participent 3DS Outscale, OVH Cloud, Docaposte, Dawex et Atos.

Le modèle en X de Gaia-X
Le modèle en X de Gaia-X pour connecter les infrastructures et les données

La feuille de route de ce consortium prévoit de livrer des démonstrateurs d’espaces de données s’exécutant sur des services fédérés de Gaia-X en novembre 2022.

Le calendrier prévoit la finalisation des premières spécifications en avril et les implémentations en juillet. Les développements se poursuivront en 2023. Ces échéances sont jugées ambitieuses par Anne-Sophie Taillandier.

Forte influence et lobbys extra-européens

Mais comme le soulignent plusieurs contributeurs français de Gaia-X, cette ambition est indispensable aux « travaux de développement d’espaces numériques européens de mutualisation sécurisée des données de l’industrie et des services », réagit Jean-Claude Laroche, président du Cigref et DSI d’Enedis.

« Venez, sinon nous nous retrouvons seuls face à tous les lobbys de la terre qui cherchent à nous enfiler des perles. »
Martine GourietResponsable du GT Énergie et directrice des usages numériques d’EDF

« Gaia-X est aujourd’hui la seule option disponible et en cours de développement qui assure la libre circulation des données dans un environnement de confiance au profit de l’économie nationale et européenne », poursuit-il.

Le président du Cigref reconnaît cependant que le projet est complexe à mener, en raison notamment de l’influence d’acteurs extraeuropéens, qualifiée « d’extrêmement forte ».

Face à cette influence, Martine Gouriet exhorte d’ailleurs les entreprises françaises à se mobiliser plus en intégrant les groupes de travail, en particulier celui lié aux labels de Gaia-X.

À défaut, d’autres organisations pèsent de tout leur poids sur les décisions. « Des acteurs, bien financés, y dédient 100 % de leur temps et s’avèrent redoutables en lobbying. Venez, sinon nous nous retrouvons seuls face à tous les lobbys de la terre qui cherchent à nous enfiler des perles », prévient-elle sans précaution oratoire. L’appel est lancé. Sera-t-il écouté ?

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