Cloud souverain : « Gaia-X n’est plus au centre des discussions »
Le cabinet d’études Forrester tire à boulets rouges sur le conglomérat paneuropéen qui doit trouver une alternative locale aux hyperscalers. Il considère qu’il s’agit désormais d’un « machin statique. »
« En 2022, n’attendez pas après Gaia-X pour résoudre le problème du cloud souverain, ils en sont trop loin ! » Telle est la conclusion-choc à laquelle est arrivée l’analyste Paul Mc Kay du bureau d’études technologiques Forrester. Interrogé lors d’un séminaire en ligne consacré aux prévisions concernant l’évolution du marché informatique européen, l’analyste a tiré à boulets rouges. Le conglomérat Gaia-X, créé mi-2020 par différents acteurs français et allemands dans le but de proposer une alternative locale aux géants américains du cloud public, serait selon lui un « machin statique ».
« Gaia-X a l’ambition de prendre une position dominante dans les discussions sur la souveraineté en Europe. Mais le fait est qu’ils n’ont avancé sur aucun prototype qui serait prêt pour l’été prochain », a commencé l’analyste. « Plutôt que de chercher à créer des leaders technologiques, Gaia-X s’est embourbé dans les habituels travers bureaucratiques de l’Union européenne. Dernièrement, ils expliquaient même qu’ils ne pouvaient pas avancer parce qu’ils attendaient des signatures de Bruxelles… »
Paul Mc KayAnalyste, Forrester
La lourdeur bureaucratique de Gaia-X n’est pas une nouveauté. En novembre dernier, Scaleway, l’un des membres fondateurs et l’un des trois seuls à véritablement proposer d’héberger un cloud européen, claquait déjà la porte pour des raisons similaires. Yann Lechelle, le PDG de l’hébergeur français avait une théorie : les filiales européennes des fournisseurs de cloud américains s’étaient invitées parmi les membres pour ralentir volontairement les travaux.
Pour Paul Mc Kay, la raison de ce ralentissement importe moins que sa conséquence : Gaia-X n’est pas au rendez-vous. « Le fait est que Gaia-X n’a toujours pas commencé à fournir les services promis deux ans après son lancement. Et c’est d’autant plus notable que, pendant ce temps-là, les gouvernements français et allemands ont mis en place des politiques de souveraineté qui, elles, ont infléchi l’attitude des hyperscalers américains. »
« Ce sont ces initiatives-là qui ont poussé AWS, Azure et Google GCP à faire preuve de plus de transparence, quant à l’endroit où ils stockent les données, quant aux choix techniques qu’ils font pour garantir à leurs clients la souveraineté de leurs traitements, ou encore quant au pouvoir qu’ils peuvent avoir sur les transactions de certains secteurs critiques », assure l’analyste.
Selon lui, cette transparence aurait paradoxalement permis aux géants américains de dominer toujours plus les esprits dans les projets de cloud public, « contrairement à Gaia-X. »
États européens et hyperscalers discutent… sans Gaia-X
Paul Mc Kay semble discerner que les grands projets de cloud souverains se construiront désormais entre les États européens et les géants du cloud américain, sans s’encombrer de Gaia-X : « en 2022, Gaia-X n’est plus au centre des préoccupations », assène-t-il.
« Gaia-X a très certainement servi à éveiller les consciences. Les entreprises européennes expriment aujourd’hui une véritable volonté, un vrai besoin d’être souveraines. Mais ces entreprises qui ont été sensibilisées au besoin de protection territoriale de leurs données, aux valeurs d’écoresponsabilité même, vont plutôt aller chercher des solutions dans les technologies. Et les hyperscalers américains leur proposent de telles solutions. »
Paul Mc KayAnalyste, Forrester
L’analyste cite pêle-mêle les systèmes avec des clés privées détenues par les seules entreprises, le stockage hybride (apporté par des solutions comme AWS Outposts, Azure Stack ou Google Anthos) qui laisse les données concernées par la souveraineté en local.
« Le gouvernement français par exemple, avec SecNumCloud, force l’hébergement local des données et cela a conduit à la joint-venture entre Orange et CapGemini pour créer un grand hébergeur national : Bleu. En revanche, le point intéressant de Bleu est qu’il repose sur l’infrastructure d’Azure. C’est de ce genre de solutions apportées par les hyperscalers eux-mêmes dont je parle. Et nous sommes bien dans le cas d’un gouvernement qui a pris une initiative souveraine en dehors de Gaia-X. »
« Il y a indéniablement une frustration causée par l’absence d’avancements chez Gaia-X. Je pense que les hyperscalers vont d’eux-mêmes chercher à dialoguer en direct avec les gouvernements européens plutôt que d’aller discuter ces sujets chez Gaia-X. »
L’écosystème, le talon d’Achille des clouds européens
Paul Mc Kay n’est pas très optimiste concernant la possibilité d’alternatives européennes aux géants américains du cloud.
« OVHcloud et T-Systems sont sur les rangs pour répliquer localement les offres des hyperscalers. OVHcloud imite Google GCP, T-Systems imite Microsoft Azure. Mais ils doivent surmonter une difficulté : il est très compliqué pour ces fournisseurs locaux de répliquer l’ensemble des fonctionnalités qui existent chez les hyperscalers. L’avantage des hyperscalers, ce n’est pas la taille de leur datacenter, c’est la taille de leur écosystème de partenaires, de leur marketplace. »
Il détaille l’exemple de T-Systems qui a souhaité proposer des versions souveraines des services en ligne de Microsoft : « les services coûtaient plus cher, ils étaient moins fonctionnels et ils étaient mis à jour moins fréquemment. Ce n’est pas une proposition commerciale satisfaisante : on vous explique que si vous voulez de la souveraineté, vous devez payer plus cher, avoir un écosystème moins riche et des outils qui ont une version de retard sur les fonctionnalités ».
Et de conclure, sévère : « le problème de ces initiatives de cloud souverain est qu’elles vont surtout se résumer à revenir aux vieux concepts du datacenter privé. »