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BI : petit à petit, AWS QuickSight fait son nid
Lancée en 2016, Quicksight, la plateforme BI d’AWS serait désormais utilisée par plus de 100 000 clients. Une adoption davantage liée aux migrations vers le cloud qu’aux fonctionnalités de BI embarquée et de NLQ mises en avant par le fournisseur.
Qlik, Tableau, Microstrategy, TIBCO, SAS ou encore SAP. Voilà les noms qui reviennent souvent au moment de citer un éditeur de solutions BI. De nouveaux venus comme Domo, ThoughtSpot ou Toucan Toco tentent d’imposer leur patte sur un marché particulièrement saturé. Mais il faut aussi compter sur les fournisseurs cloud. Google a déjà marqué son empreinte en rachetant Looker. Microsoft est sûrement le mieux loti des trois géants avec le très populaire Power BI. Et AWS dans tout cela ?
La filiale cloud d’Amazon a lancé QuickSight en 2016, un outil de self-service BI. En février 2021, elle était considérée comme une actrice de niche dans le Magic Quadrant 2021 de Gartner consacré aux plateformes analytiques et BI. Pourtant, AWS assure que cela est en train de changer.
QuickSight Q, l’assistant BI des métiers selon AWS
Pour vanter les mérites de ce produit, AWS mise désormais sur QuickSight Q, une fonctionnalité d’interrogation des données en langage naturel (NLU/NLP), en anglais uniquement pour l’instant.
« La plupart des fournisseurs ont tendance à cibler les utilisateurs expérimentés avec leurs offres ML », lance Tracy Daugherty, directeur de la gestion produit de QuickSight chez AWS. « Nous, nous concentrons sur l’utilisateur final : nous avons mis l’accent sur la capacité de faire du langage naturel pur et dur pour ensuite traduire et répondre à leurs questions, même les plus complexes ».
QuickSight Q interprète une question écrite par un utilisateur pour chercher les bonnes données disponibles et générer automatiquement un tableau de bord. La fonctionnalité ne s’appuie pas sur les tableaux de bord et les rapports BI déjà construits par les analystes.
AWS n’est pas le seul à proposer cette fonctionnalité. Tableau propose Ask Data et Power BI inclut Q&A. Oracle, ThoughtSpot, YellowFin et MicroStrategy ont également une capacité de NLQ (Natural Language Query). « Certains outils sont basés sur la recherche, d’autres sur des mots clés. Nous, nous avons délibérément voulu un outil basé sur le NLU/NLP pour cibler les utilisateurs finaux », affirme le directeur.
Pourtant, ce ne serait pas la chose la plus appréciée par les clients. « Le plus gros avantage vu chez nos clients, c’est que ces questions sont rapportées aux experts BI qui peuvent voir non pas seulement la question, mais la manière dont elle a été posée, le ton de la personne, son intention. Cela leur permet de savoir si l’on propose les bons tableaux de bord aux équipes, si les data analysts utilisent le bon lexique ou s’ils fournissent les bons indicateurs », indique Tracy Daugherty.
Tracy DaughertyDirecteur QuickSight, AWS
Le directeur de QuickSight en fait régulièrement l’expérience en interne. « Je regarde nos tableaux de bord chaque semaine. Je n’ai jamais obtenu un tableau de bord parfait qui répondait à toutes mes questions », affirme-t-il. « Et donc, en général, je dois demander à quelqu’un de le faire. Deux semaines plus tard, je reçois une notification. Q est donc censé résoudre ce problème : je peux obtenir une réponse instantanément à ma question », vante-t-il.
Par rapport à certains de ses concurrents, AWS a l’expérience de développement de plusieurs services de NLU/NLP, dont l’assistant Alexa et le moteur de recherche augmenté Kendra. Et comme Kendra, QuickSight Q permet de se concentrer sur des domaines en particulier, comme la pharmaceutique, le manufacturing ou le marketing. « Nous ajouterons des domaines et le support pour d’autres langues au fil du temps », promet notre interlocuteur.
Analytique embarquée, data storytelling, temps réel : QuickSight tente de faire tout comme les autres
Cependant, QuickSight Q semble être l’arbre qui cache la forêt.
« Ces deux dernières années, nous avons largement agrandi les équipes et investi des ressources dans QuickSight », souligne Tracy Daugherty. « Une grosse partie de notre travail a consisté à ajouter davantage de fonctionnalités BI traditionnelles par-dessus notre architecture serverless ».
Pour rappel, la suite BI est animée par SPICE, un moteur de calcul in-memory basé sur une architecture column-store.
À la fin de l’année 2019, AWS introduisait la prise en charge d’API pour les données, les tableaux de bord, le moteur SPICE et les autorisations. Il s’agissait de faciliter le transfert de données entre comptes AWS et donc séparer les environnements de développement de ceux de production, d’automatiser l’actualisation des données traitées via des flux ETL et de charger des données filtrées pour des tableaux de bord préconfigurés par les utilisateurs.
En 2020, l’équipe responsable de QuickSight s’est chargée de développer des fonctionnalités taillées pour l’analytique embarquée et le data storytelling.
En novembre 2021, l’équipe a ajouté la possibilité d’embarquer des tableaux de bord dans des pages Web en un clic, de partager plus simplement les dashboards et de personnaliser la manière dont les rapports seront affichés dans les mails adressés aux collaborateurs d’une entreprise. Les utilisateurs plus avancés ont le droit à ML Insights, un outil pour découvrir des tendances cachées dans les données d’une organisation via la détection d’anomalies et des prévisions automatisées.
Selon les retours des utilisateurs sur Gartner Peer Insights, les administrateurs et les data analysts préféreraient sans doute une courbe d’apprentissage moins abrupte et une gestion simplifiée des permissions, qui ne nécessiterait pas d’utiliser le SDK QuickSight comme c’est le cas jusqu’à présent.
Les entreprises s’intéressent également à l’analytique en quasi-temps réel, vantée par la plupart des éditeurs. « Notre moteur SPICE s’approche de plus en plus du quasi-temps réel », déclare Tracy Daugherty.
Cependant, il ne s’agit pas de s’approcher d’une latence de quelques millisecondes. « Pour moi le temps réel se joue à la milliseconde, mais la plupart des clients attendent des réponses sous la barre des cinq minutes », explique-t-il. « Nous avons abaissé le temps d’actualisation des données à 15 minutes. En 2020, nous étions plutôt à une heure entre chaque mise à jour ». La NFL utiliserait déjà cette capacité pour mettre à jour les données des matchs de football américain affichées aux téléspectateurs.
AWS fait rimer BI et migration vers le cloud
Mais l’activité d’AWS et de l’équipe QuickSight ne se résume pas seulement à la promotion d’une BI simplifiée.
D’un côté, AWS entend accompagner les éditeurs dans leur transition vers le cloud. Les éditeurs avaient beaucoup d’applications sur site auparavant et ils sont en train de converger vers le cloud. Souvent, les cas d’usage analytiques étaient sur mesure et plutôt basiques et leurs clients veulent maintenant les adapter pour des milliers d’utilisateurs dans le cloud. […] Et c’est là que nous intervenons, parce que nous offrons la possibilité de bâtir des architectures serverless qui montent à l’échelle automatiquement… et souvent, cela concerne des applications BI embarquées », assure Tracy Daugherty.
De l’autre, le fournisseur mise sur une tarification agressive et sur les déploiements massifs de QuickSight. « Nous intervenons dans des déploiements typiques d’outils BI, sauf que les clients veulent en donner l’accès à tous leurs employés. La “vieille garde” tarifie la licence par utilisateur. Nous avons changé ce modèle. Tous les utilisateurs peuvent avoir accès à QuickSight. S’ils ne l’utilisent pas, c’est gratuit, s’ils l’utilisent un peu nous facturons par demi-heure, par tranches de 30 centimes, de sorte que votre facture peut aller de 0 à 5 dollars par usager final par mois. Ainsi, les clients peuvent constater la consommation réelle du service BI », vante le directeur.
Les data analysts qui créent les tableaux de bord sont considérés comme des auteurs : l’entreprise paie 216 dollars par an et par siège ou 24 dollars par mois. À cela s’ajoute le prix des questions Q, de la détection d’anomalie et du fonctionnement de SPICE.
Et cela semble réussir au géant du cloud. AWS revendique plus de 100 000 clients QuickSight. « Ce n’était pas le cas il y a deux ans. Je ne pense pas que les gens s’en rendent compte [du taux d’adoption] et cela doit en surprendre plus d’un », affirme Trace Daugherty. « Certains de nos concurrents ont des milliers de clients. Bien évidemment, les déploiements de QuickSight varient en taille. Des entreprises ont des dizaines de milliers d’utilisateurs, d’autres en ont dix ». Précisons que la bêta de QuickSight avait été lancée auprès de 1 500 clients en 2016.
La plateforme BI est à la fois proposée aux comptes stratégiques par les forces de ventes d’AWS, par les partenaires locaux, par exemple en Europe, et les intégrateurs, selon le responsable. Le fait que les clients partageraient leurs retours entre eux et que le Gartner la mentionne dans ses rapports serait deux facteurs d’adoption.
Tracy DaughertyDirecteur QuickSight, AWS
Le choix de QuickSight serait intrinsèquement lié à une migration vers le cloud. « Cette adoption a souvent lieu dans le cadre d’une migration vers le cloud d’un data warehouse ou d’une application basée sur une base de données relationnelle, mais nous nous connectons également aux middlewares on premise via VPC dans une phase de transition ». En Europe, AWS revendique pour client Siemens et Volvo, deux acteurs ayant lancé de vastes programmes dans le cloud.
Mais QuickSight remplace-t-il réellement les outils BI existants ? Cela dépend de la taille de l’entreprise, selon Tracy Daugherty, « Dans les grands groupes, il y a un mix d’outils BI et cela arrive que QuickSight remplace plusieurs d’entre eux et soit déployé par défaut, dans les départements où il n’y avait pas de solutions BI en place. Certaines équipes conservent leurs outils tiers », avance-t-il.
« Des sociétés décident de substituer tous leurs outils par QuickSight, c’est souvent le choix des plus petites organisations. De manière générale, nous observons une accélération de l’adoption de ce service. D’ailleurs, plusieurs départements Amazon ont remplacé des outils BI dont Oracle BI au profit de QuickSight », ajoute-t-il.
Cependant, le manque de connecteurs natifs vers des services cloud tiers pourrait freiner cette adoption, selon le Magic Quadrant de Gartner. Il s’agirait davantage d’une question de coût de transferts des données : certains utilisateurs remarquent sur Gartner Peer Insights que la plateforme est moins chère quand les données résident uniquement sur les services AWS.
Aussi, le cabinet affirmait en février 2021 que « le cloud hybride n’est pas le point fort de la vision QuickSight. Sa croissance risque de se limiter à la base installée ».
Les propos de Tracy Daugherty ont été recueillis lors d’AWS ReInvent, au début du mois de décembre 2021.