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L'IA ne remplacera probablement pas l'analytique prédictive
Enrichie par l'intelligence artificielle, la pratique de l'analyse prédictive va probablement gagner en importance. Les études de cas britanniques du NHS et de National Express tendent à le prouver.
Si, en matière d’analytique, les outils destinés aux activités telles que l'exploration et l'extraction de données sont parvenus à une certaine maturité et sont plutôt bien adoptés, il en va tout autrement pour l'analytique prédictive et prescriptive.
Les capacités prédictives permettent de prévoir des événements à venir selon des performances passées et présentes, tandis que les solutions d’analytique prescriptive, ou instructive, examinent les données pour permettre aux organisations d'anticiper certains phénomènes.
Mais comme le fait remarquer David Semach, partenaire et responsable de l’intelligence artificielle (IA) et de l’automatisation chez Infosys Consulting EMEA : « L’adoption de l’analytique prédictive reste encore relativement faible et la technologie est en cours de maturation, alors que la souscription à des outils prescriptifs, constitutive de l’étape suivante, est pratiquement inexistante. »
David SemachResponsable IA, Infosys EMEA
Selon David Semach, cette situation est la conséquence de trois facteurs clés. Tout d’abord, explique-t-il, dans un contexte d’analytique prédictive, l’outil « magique », ou universel, n’existe pas. La mise en œuvre d’une telle technologie tient plutôt d’une entreprise complexe et coûteuse nécessitant une « solution à outils multiples », de grands volumes de données et un cas d’usage particulièrement bien défini.
Ensuite, il faut du temps et des efforts, non seulement pour développer les modèles prédictifs proprement dits, mais aussi pour agréger les données internes et externes, issues de l’ensemble des organisations et nécessaires pour alimenter le système. Enfin, les cadres dirigeants opposent souvent une résistance, car ce sont eux qui, habituellement, effectuent le travail prévisionnel, et ils ne s’en remettent pas facilement aux conclusions d’une machine.
« D’après un sondage que nous avons réalisé début 2020, 91 % des décisions métier sont prises sans le soutien de données, mais reposent sur l’expérience humaine et l’intuition », explique David Semach. « Toutefois, la qualité des données fait de moins en moins débat aujourd’hui : la transition vers le numérique qu’a entraîné la Covid a eu pour effet la mise en bon ordre des données et leur déplacement vers le cloud. »
Comprendre le marché de l’analytique prédictive
Les secteurs pionniers sur le marché sont notamment ceux de la vente au détail et des produits grand public en évolution rapide, le secteur pharmaceutique et des sciences du vivant, ou encore ceux de l’énergie, du pétrole et du gaz, avec une adoption en forte hausse au cours des 18 derniers mois.
Les fonctions métier particulièrement favorables à cette technologie sont notamment la finance, le commerce, dans une certaine mesure les RH, et la chaîne d’approvisionnement dans un contexte d’anticipation de la demande. En matière de cas d’usage, l’adoption va de la prévision de paiements en retard à la projection de l’activité d’une clientèle, en passant par la gestion des prospects les plus susceptibles de finaliser un achat.
« Aujourd’hui, une grande entreprise déploie 6 à 12 cas d’usage, mais il peut y en avoir des centaines ; nous n’en sommes donc qu’au début », explique Mike Gualtieri, Vice-président et analyste principal pour le cabinet Forrester Research. « Les organisations effectuent parfois leur propre mise en œuvre personnalisée. Toutefois, la plupart des éditeurs de logiciels intègrent des modèles prédictifs à leurs applications afin de permettre une mise à niveau côté client. Il y a probablement quelques cas d’usage là aussi ».
Il est cependant intéressant de constater que, dans de nombreux cas, les outils d’analyse prédictive existants reposant sur des méthodes statistiques semblent désormais s’intégrer à des plateformes de machine learning de plus grande envergure.
« L’année prochaine verra sans doute l’abandon de l'expression “analytique prédictive”, car parmi la cinquantaine de fournisseurs de ces produits, plus aucun ne l’utilisera. Ils baptisent de plus en plus leurs solutions “plateformes de data science ou de machine learning”, » explique Mike Gualtieri. « En réalité, ces plateformes intègrent souvent à la fois de nombreux procédés statistiques et des technologies de machine learning ; mais ces dernières sont considérées comme la technologie de pointe la plus tendance. »
Pour ce qui est des éditeurs qui commercialisent des produits d’exploration et d’extraction classiques, et dont le portefeuille propose des offres prédictives, David Semach considère qu’à moins qu’ils « n’évoluent drastiquement » et n’adoptent le machine learning au plus vite, ils « finiront par disparaître ».
Il n’en va toutefois pas de même sur l’ensemble du marché des capacités prédictives ; marché qui, selon David Semach, va poursuivre sa croissance soutenue. « Ça ne se fera pas en un jour – comptons plutôt trois à cinq ans – mais ça se fera », explique-t-il.
En attendant, voici deux organisations qui ont un temps d’avance et déploient déjà cette technologie de manière particulièrement efficace.
Comment l’hôpital universitaire de la Baie de Morecambe prédit les admissions aux urgences
« Si vous estimez que le secteur de la santé nécessite un changement transformationnel pour optimiser les prestations, les rendre plus abordables et fournir de meilleurs résultats, alors l’intégration de l’IA et de l’analytique prédictive constitue la bonne approche », explique Rob O’Neill, Responsable de l’analytique des Hôpitaux universitaires de la Baie de Morecambe, du NHS Foundation Trust.
Il y a environ trois ans, après avoir été retenu comme membre de la première promotion de la NHS Digital Academy, mise en place pour former les leaders du numérique, Rob O’Neill a commencé par mettre en œuvre la stratégie de l’organisation en matière d’analytique et de science des données.
« Le facteur moteur tenait à l’impossibilité pour le secteur de la santé de fonctionner tel qu’il le fait aujourd’hui de manière durable », explique-t-il. « Les défis sanitaires à l’échelle de la population entière sont considérables, fournir les services est coûteux et les fonds sont carencés ; nos finances sont donc systématiquement sous tension ».
Autre aspect clé, la population spécifique que le Trust prend en charge est dispersée sur une importante zone géographique avec des degrés de précarité variables. Par conséquent, connaissant l’échelle à laquelle se situe le défi, l’organisation a entamé un programme de changement significatif en vue de « refondre la manière de prodiguer les soins ».
L’objectif consiste à remplacer l’approche classique de l’hôpital, pilotée par une médecine généraliste, par un « système » plus global, et ainsi garantir la prestation des services de la manière la plus sûre et la plus économique possible, tout en améliorant en parallèle l’expérience du patient. L’analytique prédictive et la data science sont considérées comme des outils essentiels à un tel basculement.
« Je suis persuadé que le seul moyen de triompher de ces défis consiste à utiliser des données – et plus particulièrement la science des données, le machine learning et autres techniques prédictives – pour remettre en question la manière dont nous modélisons et comprenons l’activité », explique Rob O’Neill. « Il ne s’agit pas de prévoir l’avenir, mais de le changer par le truchement de stratégies bien pensées et cliniquement adoptées ; voilà toute l’ambition de ce basculement. »
À cette fin, le Trust a mis en œuvre un entrepôt de données en cloud Snowflake, des outils de DataRobot pour générer des modèles d’analytique prédictive, et des briques d’analyse des données Qlik pour soutenir la prise de décision des praticiens sur tout un ensemble de parcours de soin.
La puissance de la prédiction
Par exemple, le système est utilisé pour prédire avec précision le nombre de patients admis aux urgences un jour donné, et pour évaluer la gravité de leurs cas, afin de garantir que les ressources suffisantes seront disponibles. Le système est en outre employé pour prédire la durée probable du séjour hospitalier d’un patient et le risque de réhospitalisation après sa sortie, afin d’anticiper les demandes imprévues.
Un troisième modèle prédictif fait appel aux données liées à la pandémie pour prévoir les niveaux de risque personnels des différents patients en attente d’opérations non urgentes ayant dû être reportées du fait de la pandémie. Un quatrième modèle, actuellement en cours d’examen clinique, se focalise sur l’identification des patients hypertendus (atteints d’hypertension artérielle) avant même qu’ils ne soient admis à l’hôpital.
« La population occidentale est vieillissante, elle vit plus longtemps et présente une plage d’états chroniques complexe », explique Rob O’Neill. « Aussi, s’il est possible d’intervenir en amont de ce constat, c’est très bien. Et si nous sommes en mesure de comprendre les schémas de demande associés, nous pouvons mieux aligner nos ressources en interne. »
Dans le cadre du processus visant à organiser le Trust en fonction des données, ce dernier intègre des membres de son équipe d’analytique dans chacun des axes de travail de transformation, ainsi que dans ses unités métier cliniques.
« S’impliquer sur le plan clinique et bénéficier d’un pilotage clinique est particulièrement important pour s’assurer que la technologie est intégrée et acceptée », explique Rob O’Neill. « Il n’en reste pas moins que les cliniciens opèrent dans un environnement complexe et chargé. En outre, ils sont tellement focalisés sur le caractère sûr et adapté des soins qu’ils prodiguent à leurs patients, que toute solution susceptible de contribuer à soutenir la prise de décision est généralement très bien accueillie. »
S’il reconnaît que le Trust fait partie d’une « poignée » d’organisations du Royaume-Uni qui sont allées aussi loin que les sites de Morecambe en termes d’analytique prédictive, selon Rob O’Neill, cette situation va changer assez rapidement grâce au travail du NHSX, une unité gouvernementale britannique chargée de mettre en place une politique nationale et de développer une bonne pratique dédiée aux données, à la technologie numérique et à la technologie du NHS.
Rob O'NeillResponsable analytique, hopital universitaire Baie de Morecambe, NHS Trust
« Dès lors que l’on envisage une technologie nationale et mondiale dédiée à la santé, l’IA et l’analytique prédictive sont vraiment nécessaires », explique Rob O’Neill. « Si différentes organisations en sont actuellement à des stades variés sur la courbe de maturité, cette approche reste pleine d’avenir. »
National Express optimise les trajets de ses bus
Au cours des différents confinements liés à la Covid qui sont intervenus au Royaume-Uni, des modèles d’analytique prédictive se sont avérés essentiels à la National Express West Midlands (NEWM) pour s’assurer que le parc de véhicules opérant sur son réseau de bus s’alignait avec la demande d’une clientèle en distanciation sociale.
L’entreprise avait commencé sa transition vers l’analytique prédictive avant la pandémie, en mettant en œuvre une plateforme en cloud CitySwift, spécifiquement développée pour prévoir les temps de trajet et la demande des passagers sur les réseaux d’autobus urbains. Le recours aux techniques du Big Data et du machine learning a permis d’optimiser les horaires en tenant compte des niveaux d’intensité de circulation et d’autres événements extérieurs.
La décision d’adopter cette approche est intervenue lorsqu’il était devenu clair que le logiciel d’analyse des demandes était vieillissant et avait atteint le maximum de ses capacités pour doper l’efficacité opérationnelle et optimiser la rentabilité, explique Andy Foster, directeur commercial adjoint chez National Express.
« Le principal défi auquel nous sommes confrontés, ce sont les embouteillages ; et c’est une double peine pour nous : si les dessertes sont ralenties par les bouchons, nous devons mettre plus de bus sur le réseau pour un service équivalent. Or, l’exploitation d’un bus coûte entre 100 000 et 150 000 livres (entre 118 000 et 178 000 euros environ). Ce n’est donc pas une décision à prendre à la légère », explique-t-il.
« Le dilemme, c’est que si les services sont lents, ils deviennent moins attractifs pour les passagers, qui commencent donc à moins les utiliser. Cette situation fait à la fois grimper les coûts et diminuer les recettes, et vous finissez par être pris dans un étau », avance Andy Foster.
Autre problème pour NEWM, la compagnie n’avait aucun moyen d’analyser l’incidence d’une modification des horaires ou de la fréquence d’une desserte, ou de l’ajout de bus supplémentaires.
« Nous pouvions donc contacter la direction pour expliquer que “la ligne 97 a un problème” sans pour autant pouvoir quantifier si un indicateur particulier se révélait utile ou non », explique Andy Foster. « Nous pouvions uniquement dire qu’il pourrait améliorer les choses, mais sans quantifier aucun bénéfice. »
En conséquence, en novembre 2019, la ligne 97, empruntée par 80 000 passagers par semaine, est devenue la première à bénéficier d’une technologie de planification SwiftSchedule. Le logiciel servait à analyser la durée du parcours des bus entre deux arrêts, le nombre d’arrêts effectués et le nombre de passagers à monter et descendre. Des données d’historique externes, telles que la météo et les comportements de la circulation, ont également été ajoutées pour mieux comprendre l’incidence du monde réel.
Ces informations tirées d’environ 750 000 points de données par jour étaient utilisées pour apporter des changements aux horaires des bus ; les chauffeurs gagnaient ainsi en ponctualité, passant d’une moyenne de 89 % à 92,5 %, et en rentabilité, avec une économie de 2,4 % sur les coûts d’exploitation.
Lutter contre la pandémie
Mais lorsque la pandémie a frappé en mars 2020, l’impact a été sévère. Du jour au lendemain, plus de problèmes d’embouteillages, mais il fallait faire face à un changement continuel de la demande liée au confinement et à la distanciation sociale.
Pour répondre à ce défi, la NEWM commence à utiliser son logiciel SwiftMetric de CitySwift pour mieux comprendre l’incidence de la situation en termes de fiabilité, d’efficacité et de demande de bus, afin de prendre des décisions mieux informées.
« Nous pouvions déterminer dans quelle mesure la demande et la vitesse de l’exploitation changeaient, et ce très rapidement, car nous obtenions des données totalement analysées en moins de 24 heures », explique Andy Foster. « Le mardi après-midi, nous pouvions analyser ce qui s’était passé le lundi, et ainsi disposer des bus aux bons endroits et nous assurer que la capacité de transport était suffisante pour conduire les travailleurs essentiels sur leur lieu d’exercice en évitant de bonder nos véhicules. »
La compagnie de transport crée également une page Web destinée aux voyageurs inquiets. Elle leur permet de vérifier le degré de fréquentation probable pour une journée donnée, et d’ajuster leurs déplacements en conséquence.
À présent que le confinement est terminé et que les embouteillages ont repris, la technologie est à nouveau utilisée pour optimiser les lignes, en identifiant les économies potentielles pour les réinvestir dans une fréquence de bus améliorée. Sur la ligne 16, par exemple, la ponctualité a été améliorée de 4 %, ce qui a conduit à une hausse de 2 % de sa fréquentation, et de 4,6 % en nombre de voyages effectués.
Andy FosterDirecteur commercial adjoint, National Express
En septembre, la technologie a également été déployée pour couvrir 40 % des opérations de la NEWM. L’objectif à terme consistera à partager les informations sur l’état de la circulation avec l’autorité locale chargée du réseau routier, en espérant qu’elle réaffectera l’espace routier en vue de diminuer les bouchons.
Les données seront fournies au Transport for West Midlands, autorité chargée de coordonner les services régionaux, pour plaider en faveur d’une hausse du financement dans le cadre de la stratégie de bus nationale « Bus back better » du gouvernement.
« Si nous nous sommes toujours montrés efficaces dans l’exploitation des données, l’analytique prédictive porte la discipline à un niveau supérieur et nous permet de prendre de meilleures décisions concernant la gestion de nos ressources », explique Andy Foster. « C’est un outil puissant. »