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CI/CD : CloudBees revoit en profondeur sa stratégie
Remaniement de la direction, nouveautés logicielles, levée de fonds : CloudBees entend revoir sa stratégie pour rester dans la course au coeur d'un marché DevOps particulièrement concurrentiel.
Fondé en 2010, CloudBees s’est spécialisé dans le SDM (Software Delivery Management) et est rapidement devenu un des éditeurs portant l’outil CI open source Jenkins, largement utilisé en entreprise. En 2018, l’éditeur avait complété son offre pour couvrir l’ensemble de la chaîne CI/CD. Cette même année, CloudBees avait réalisé une levée de fonds en série E de 37 millions de dollars, couplée à un financement par emprunt de 25 millions de dollars pour accompagner sa stratégie produit et sa croissance de 77 % par rapport à l’année précédente.
Le 9 décembre 2021, rebelote. CloudBees a annoncé une levée de fonds de 150 millions de dollars en série F mené par Goldman Sachs Asset Management, associé à Morgan Stanley Private Credit, Bridgepoint Credit, HSBC, Golub Capital et Delta-v Capital. La valorisation de préfinancement atteint 1 milliard de dollars. L’éditeur a aussi contracté une facilité de crédit de 95 millions de dollars. Enveloppe totale : 245 millions de dollars.
« CloudBees utilisera ce nouveau capital pour faire progresser et accélérer l’innovation en matière de produits, recruter et développer des talents, étendre sa présence sur des marchés comme l’Asie-Pacifique et élargir ses partenariats mondiaux et régionaux », peut-on lire dans un communiqué de presse.
L’entreprise semble avancer les mêmes raisons qu’en 2018 pour justifier ce nouvel apport financier. Plutôt que d’évoquer la croissance de son chiffre d’affaires, Cloudbees met en avant dans ce communiqué son historique et son empreinte chez les grands comptes.
« CloudBees est depuis une dizaine d’années le fournisseur privilégié de logiciels pour les entreprises, y compris les grands noms du marché tels que Autodesk, Broadridge, Capital One, DZ BANK, Fidelity Investments, HSBC, IHG, Morningstar, Pegasystems, Salesforce, Social Security Administration, l’US Air Force et les services d’immigration des États-Unis », écrivent les porte-parole. « La liste de CloudBees compte 21 clients dont le revenu annuel récurrent est supérieur à 1 million de dollars. En fait, 41 % des clients de CloudBees ont un revenu annuel supérieur à 1 milliard de dollars et 26 % comptent plus de 10 000 employés ».
« Reculer pour mieux sauter »
La situation a changé. Selon Sacha Labourey, cofondateur ex-PDG devenu Chief Strategist Officer de l’entreprise, la croissance d’une société n’est pas linéaire. « En réalité, c’est plutôt des montées avec des plateaux. À chaque fois que l’on est sur un plateau, c’est le moment de repenser le système d’exploitation d’une société. Cela nécessite d’apporter de la diversité, d’autres façons de penser. […] Finalement, on voit ces changements qui nécessitent de reculer pour mieux sauter », avance-t-il. Et cela ne concerne pas seulement le changement de direction incarnée par la nomination de Stephen Dewitt au poste de CEO de CloudBees.
« Ce marché est intéressant parce qu’il est très compétitif. Il est compétitif, car il évolue constamment », déclare Sacha Labourey. « La pratique du DevOps a changé entre 2010 et 2015, puis entre 2015 et 2020 et elle sera encore différente en 2025. Cela signifie que l’on est “forcé d’évoluer” non pas simplement en ajoutant des fonctionnalités, mais il faut aussi faire évoluer le principe même de la livraison logicielle. Donc, il faut constamment investir pour rester parmi les leaders dans le domaine », explique-t-il.
Ainsi, le CSO anticipe « à l’œil » le fait que CloudBees investira « deux tiers à trois quarts » des 245 millions de dollars dans le développement des produits. « Une partie [de cette somme allouée au développement du produit] sera probablement consacrée à des acquisitions, des opérations qui comptent également pour étendre notre go-to-market », prévient-il.
« La guerre des plateformes »
Investir dans les produits signifie tout d’abord pour l’éditeur de poursuivre un travail entamé en 2020. « L’unification reste un sujet », déclare Sacha Labourey. « Nous avons des services qui sont leaders dans leur domaine – Jenkins, la solution issue du rachat d’Electric Cloud, entre autres – en revanche, nous devons toujours faire ce travail d’unification au sein d’une même plateforme ».
Puis, CloudBees entend améliorer l’UX de ses produits. « Nous avons beaucoup de travail sur l’expérience utilisateur. Nous nous rendons compte que finalement le DevOps est né de silos », avance le Chief Strategist Officer. « Certaines entreprises sont nées de Git comme Gitlab, d’autres sont nées du CI comme CloudBees, ou encore des repositories comme JFrog ». Ce problème d’UX serait donc une problématique commune à l’ensemble des éditeurs. « Les utilisateurs ne disent pas qu’ils vont passer d’un outil à l’autre, mais cherchent à collaborer pour tester des fonctionnalités, les déployer en production, vérifier si elles sont meilleures que le statu quo. Il nous faut avoir ce regard transversal ».
Cette transversalité rejoint le concept de « plateforme DevOps », poussé par GitLab, défini sous le nom de « Value Stream Delivery Platform » par Gartner.
« Je pense que c’est dans la tête de tous les acteurs et c’est probablement un problème si n’est pas le cas », tranche Sacha Labourey. « Nous sommes clairement dans une guerre des plateformes : le but c’est de simplifier les produits pour les clients qui aujourd’hui font beaucoup ce travail [d’unification] par eux-mêmes ».
Qui dit guerre, dit camp opposé. « Il y a différentes philosophies assez marquées », déclare le CSO. Vous avez des acteurs qui vantent une approche très intégrée et qui affirment être capables de fournir toutes les solutions de CI/CD, de scans de sécurité, et d’analytiques », indique-t-il. « Évidemment, nous desservons des entreprises qui souvent ont acheté des produits spécifiques pour chaque fonctionnalité. Nous avons donc une vision différente : nous devons fournir cette plateforme ouverte capable d’accueillir les éditeurs du marché, mais abstraire les fonctions sous-jacentes afin de simplifier les flux de travail et faciliter la vie des développeurs ».
Les acteurs traditionnels sont rejoints par les fournisseurs cloud. Microsoft tient une double stratégie avec GitHub et Azure DevOps. GCP et AWS proposent des outils, qu’ils commencent à rassembler leurs services pour combiner des fonctionnalités DevSecOps, d’observabilité et AIOps. « GitHub est un compétiteur intéressant dans sa manière de s'adresser aux développeurs avec la structure de Microsoft en support. Tous ces fournisseurs, GCP, Microsoft et AWS veulent proposer la meilleure infrastructure et les outils raccourcis pour leurs environnements, mais les clients entreprises ont parfois des problématiques qui vont au-delà d’un fournisseur et veulent déployer sur plusieurs infrastructures cloud », argumente le CSO.
Les analystes s’accordent pour affirmer que CloudBees dispose d’un écosystème mature de plug-ins et d’intégration, mais Sacha Labourey estime qu’il ne faut pas se reposer sur ses lauriers. « Nous avons effectivement beaucoup de ces connecteurs, mais je pense qu’il faut passer à la prochaine génération. Il faut s’assurer que ces intégrations sont bonnes, mais aussi qu’elles évoluent dans le temps de manière souple, il faut les mettre en permanence à jour et faciliter leur déploiement ». C’est ce que cherche à faire l’éditeur avec les outils de scans de code et CloudBees Compliance, une plateforme de CSPM basée sur la technologie OPA.
CloudBees veut simplifier son offre SaaS
De manière plus globale, les discussions avec les clients couvriraient un « spectre assez large ». « Au sein d’une même entreprise, nous pouvons avoir des demandes autour de solutions très avancées couplant du déploiement continu et de l’analytique en temps réel. D’autres équipes vont souhaiter des fonctionnalités d’orchestration de release sur des cycles qui vont durer plus de trois mois pour modifier les pipelines, modifier les fonctionnements, les définitions de l’orchestration », illustre le Chief Strategist officer.
L’éditeur ne compte pas pour autant oublier ces fondamentaux. Si CloudBees était principalement concentré sur Jenkins il y a quatre ans, Sacha Labourey considère qu’il devient un « bloc Lego » important d’un « ensemble riche ». « Toute une partie de la stratégie repose sur un investissement continu dans Jenkins, le projet open source et dans les produits CloudBees pour en faciliter l’utilisation et le rendre plus élastique, » assure notre interlocuteur. « Cependant, les entreprises ont différents besoins, par exemple autour du framework Tekton. Nous voulons offrir la possibilité à nos clients d’utiliser différents langages et types de pipelines selon les projets de manière transversale ».
Enfin, l’éditeur prévoit de faire évoluer son approche SaaS. « Nous sommes un peu décalés dans le temps et dans nos investissements par rapport à d’autres sociétés parce que nous avons toujours été très axés sur les entreprises. Les entreprises optent peu pour le SaaS ou alors pour du SaaS “monotenant”, c’est-à-dire qu’elles peuvent vouloir le mode de distribution et de consommation, elles veulent l’exclusivité de l’environnement, mais elles cherchent à ne pas le gérer, l’installer, le configurer, faire la maintenance elle-même », dépeint Sacha Labourey. La prochaine étape sera de simplifier l’accès aux services de l’éditeur par les développeurs en facilitant les inscriptions aux services plutôt que de devoir passer systématiquement par les équipes commerciales pour souscrire à une offre.