La stratégie d’AWS pour rester le premier de la classe
La semaine dernière avait lieu le grand raout d’AWS, ReInvent. Derrière le flot d’annonces, le nouveau PDG du fournisseur cloud a tenté de se rassurer et a encouragé les grands groupes à continuer de migrer leurs applications dans le cloud, même leur sacro-saint mainframe.
Nommé en mars, Adam Selipsky a pris les rênes d’AWS au mois de mai. L’homme connaît la maison. Entre 2005 et 2016, Selipsky a participé à la création du groupe et à son expansion en tant que vice-président du marketing, des ventes et du support avant de prendre la tête de Tableau, jusqu’au début de l’année 2021.
Mais il succède à Andy Jassy, nouveau patron d’Amazon. Celui qui entrecoupait ses interventions de citations musicales, celui qui n’hésitait pas sur la scène de ReInvent à tacler ses adversaires préférés, Oracle et Microsoft.
Lors de ReInvent 2021, les adversaires, Adam Selipsky ne les a évoqués qu’à demi-mot, au moment de dérouler la liste toujours plus longue de services de bases de données. Les technologies, elles, sont passées après la véritable conférence de lancement : celle dédiée aux partenaires.
L’attitude de Selipsky est moins désinvolte. Le PDG d’AWS suit à la lettre le script écrit pour lui, quitte à laisser quelques petites secondes de blanc quand il espère une réaction du public ne venant pas, ou quand David Solomon, CEO de Goldman Sachs, n’effectue pas la relance qu’il attendait lors d’une discussion menée devant un parterre de journalistes et d’analystes. LeMagIT le consent, l’exercice n’a rien d’aisé. Ce ReInvent hybride réclamait de reprendre certaines habitudes. Il y a quelques mois, l’ancien CEO de Tableau répondait aux questions de la presse depuis le bureau de son domicile personnel.
AWS par AWS : « le cloud des applications critiques »
Adam Selipsky incarne un tournant, certes léger, mais largement visible d’un AWS ne voulant plus être considéré comme le fournisseur technologique des startups et des scale-ups, réaffirmant avec insistance son statut d’hébergeur de solutions d’entreprises. Lors de la conférence principale, le dirigeant a vanté plusieurs fois les capacités du cloud d’AWS à héberger les applications critiques des organisations. Auprès des clients, les responsables du groupe technologique affirment qu’ils proposeront bientôt des instances respectant un taux de disponibilité de 99,999 %. L’argument est difficile à porter cette semaine : le sept décembre a prouvé que le fournisseur n’est pas immunisé face aux pannes, aussi courtes soient-elles.
En outre, alors même que le géant du cloud domine largement le marché, le PDG a tenu à montrer le Magic Quadrant 2021 de Gartner adoubant AWS comme leader incontesté du cloud.
Rappelons que c’est le même Carré Magique qui a égratigné la jolie surface des pratiques commerciales des fournisseurs cloud, y compris celles d’AWS.
Gartner se faisait entre autres l’écho de clients perdus dans le catalogue de services d’AWS. De prime abord, la richesse de ce portfolio, malgré sa complexité et les chevauchements technologiques, est un sujet de fierté. Adam Selipsky a listé plus de « 200 services complets » (la documentation contient plus de 350 références, services et SDK compris) et a rappelé que les « millions de clients » du géant du cloud lancent plus de 60 millions d’instances EC2 par jour. Oui, la semaine dernière, les porte-parole du groupe n’ont eu de cesse d’énoncer des chiffres tous plus impressionnants les uns que les autres.
De son côté, Werner Vogels, CTO d’AWS, a indirectement répondu à la critique relayée par les analystes. « Nous voulions vous donner ces petits composants primitifs pour que vous puissiez construire exactement ce que vous vouliez, sans que nous ayons à vous dire comment le faire », a-t-il lancé au public de développeurs et de clients le 2 décembre dernier. « Ces composants ce sont S3, EC2, SQS, etc. Mais vous nous avez toujours demandé plus de machines simples, plus de ces composants, des bases de données spécialement pour un cas d’usage, par exemple. Maintenant, nous avons plus de 200 services. Je sais que parfois l’on peut se sentir submergé, mais souvenez-vous : vous les avez réclamés ! C’est essentiellement de votre faute ! », s’est-il exclamé devant une salle hilare.
Werner VogelsCTO, AWS
De la nécessité de guider les clients grâce aux partenaires
Pour s’y retrouver, les clients existants peuvent faire appel aux services d’accompagnement d’AWS ou utiliser – dans un premier temps – les outils Well Architected Framework pour détecter les optimisations possibles de leurs charges de travail.
Pourtant, l’humour de Werner Vogels ne cache pas la vérité mise en exergue par Gartner : AWS a besoin de ses partenaires pour guider les clients à trouver « le bon outil pour le bon travail ». Une expression répétée à de maintes reprises par Adam Selipsky et par les responsables interrogés lors de ReInvent.
La préoccupation du fournisseur est de continuer à faire venir les SI de ses prospects sur sa plateforme, de préférence les très grands groupes. Les nouveaux clients et de ceux qui n’ont pas encore migré leurs existants dans le cloud souhaitent effectuer cette transition plus facilement. Ainsi, le géant du cloud a présenté la préversion d’un nouveau kit de migration et de modernisation de mainframe, en grande partie basée sur les outils et l’expertise de Micro Focus.
Il a également dévoilé Migration Hub Refactor Spaces, un service visant à « réduire le temps de mise en place d’un environnement de refactorisation », amenuiser la complexité de la transformation de monolithes, tout en améliorant l’administration des microservices, leur isolation et le routage via un seul espace de contrôle. En réalité, Refactor Spaces orchestre des Gateway API, des répartiteurs de charge et des politiques IAM pour ajouter de nouveaux services à un point de terminaison en dehors du cloud, mais exposé sur Internet. Cela permet d’ajouter de nouvelles fonctionnalités à un monolithe ou d’en décommissionner des parties avant de rediriger le trafic vers des microservices flambant neufs.
AWS doit aussi aider ses partenaires à mettre en avant les bonnes ressources. C’est tout l’intérêt, selon le fournisseur, d’AWS Partner Paths. Cinq nouveaux parcours d’adoption autour du logiciel, du hardware, de la formation des développeurs, de la distribution et des services. Ces Partner Paths renvoient à « des services de conseil, professionnels, gérés ou de revente à valeur ajoutée ». Il s’agit pour ces acteurs gravitant autour du géant du cloud de bénéficier des bonnes certifications et des solutions adéquates pour accompagner les grandes organisations (les porte-parole n’ont pas cessé de citer les firmes clientes d’AWS « âgées de plus de cent ans »).
Adam SelipskyCEO, AWS
« L’écosystème de partenaires est un des fondamentaux de la stratégie d’AWS depuis le premier jour », assure Adam Selipsky. « Nous ne pouvons pas le faire tout seuls, les clients ne veulent pas que nous le fassions tout seuls et nous avons réuni un large nombre d’éditeurs tiers, de prestataires SaaS, d’intégrateurs de systèmes, etc. Les clients ont des relations avec certaines ESN et veulent s’appuyer sur ces acteurs. Cela fait partie de nos prérogatives d’avoir de bonnes relations avec les entreprises de services et les cabinets de consultance ».
Auprès de nos confrères de SearchITChannel [propriété de TechTarget, également propriétaire du MagIT], Tim Varna, directeur général de la gestion de produit chez Syntax (un spécialiste canadien de la migration vers SAP S/4HANA sur le cloud, dont celui d’AWS), juge que l’ancien programme de partenariats « était déroutant pour beaucoup de clients ». « Avec les cinq Partner Paths, il est plus facile pour les clients d’identifier quel partenaire et quel parcours prendre suivant leurs besoins spécifiques ».
AWS et les verticaux : le géant du cloud s’allie avec le monde de la finance
Mais AWS voit aussi un intérêt à attirer les acteurs clés de certains verticaux. Le PDG d’AWS cite de manière non exhaustive les secteurs de l’automobile, de l’industrie, de la santé et de la défense (aux États-Unis), et de la finance. Il ne s’agit pas seulement de faire migrer de nouveaux venus, mais de les convaincre qu’ils peuvent devenir des partenaires du fournisseur.
Pour illustrer cette démarche, Adam Selipsky a présenté un partenariat avec Goldman Sachs dans le but de créer des solutions de gestion de données et d’analytiques dédiées aux services financiers. Plus spécifiquement, les deux entreprises s’appuient sur AWS Data Exchange pour partager des données qualifiées, Amazon FinSpace, mais aussi sur des outils développés ou enrichis par Goldman Sachs dont une base de données time series, l’outil d’analyse PlotTool Pro et la librairie Python de modélisation de risques GS Quant. D’ailleurs, Data Exchange, une place de marché similaire à celle de Snowflake, est pensée comme le terreau de ce type d’échanges commerciaux. À ce titre, les jeux de données qu’elle rassemble peuvent être désormais consultés depuis des API tiers.
Avec le NASDAQ, le groupe co-développe une solution d’Edge Computing en s’appuyant sur les appliances OutPosts et les Local Zones pour bâtir « un cloud privé », qui servira en partie à migrer les applications de l’institution. Plus classiquement, la société de Jeff Bezos a renforcé son partenariat avec Siemens afin de « favoriser l’adoption des jumeaux numériques » dans l’industrie en intégrant la suite Xcelerator (PLM, BPM, CAO, etc.) et le nouveau service AWS Twinmaker.