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Infogérance : Kyndryl, la startup qui vaut déjà 19 milliards, expose sa stratégie
C’est en ce mois de novembre que débute la carrière de Kyndryl, l’ex-branche Infogérance d’IBM devenue indépendante. Son directeur technique explique pourquoi il accompagnera désormais mieux les entreprises.
La société de services Kyndryl, ex-entité Global Technology Services d’IBM devenue indépendante, démarre son activité ce mois-ci. Se présentant comme une startup valant 19 milliards de dollars, Kyndryl conservera son activité historique, à savoir l’infogérance, mais gagne la possibilité de nouer de nouveaux partenariats qui étaient impossibles sous IBM. L’entreprise, qui compte près de 90 000 salariés, prétend être le « plus grand fournisseur d’infrastructures informatiques au monde » et prévoit de se concentrer sur les marchés émergents, notamment le Edge computing, le cloud hybride, la 5G et la sécurité.
Antoine Shagoury, directeur technique de Kyndryl, livre dans cette interview les objectifs que se fixe le prestataire : aider les entreprises à accélérer leurs projets de transformation digitale, investir pour mieux s’imposer sur les technologies émergentes et, puis, bien entendu, gérer au mieux la relation avec ce nouveau concurrent qu’est IBM.
LeMagtIT : Vous dites vouloir faire de Kyndryl un acteur plus agile pour avancer plus vite. À quels changements pensez-vous exactement ?
Antoine Shagoury : Lorsque nous faisions partie d’IBM, nos produits pilotaient un ensemble limité d’applications liées aux opérations des clients. Nous travaillions dans un périmètre très délimité.
Aujourd’hui, nous travaillons au-delà de ce périmètre, ce qui crée de nouvelles opportunités. Par exemple, nous collaborons maintenant directement avec les hyperscalers, ce qui nous ouvre un champ d’action sur l’ensemble de leurs offres et de leur écosystème. Nous pouvons désormais travailler sur des projets de bout en bout, qui vont des migrations de matériels, comme les mainframes Z, jusqu’à la migration des applications. Pour le dire simplement, notre marché cible a littéralement doublé au regard de toutes les possibilités qui s’offrent dorénavant à nous.
Notre indépendance nous apporte aussi la liberté de mettre enfin le talent de nos techniciens au centre des relations que nous avons avec nos clients, dans les discussions stratégiques. Pour moi, cela démontrera que nous ne sommes pas là pour vendre des solutions magiques. Dans mes emplois précédents (en tant que DSI de State Street Bank et de la Bourse de Londres), les meilleurs vendeurs que j’ai eus étaient des vendeurs techniques, qui ne se contentaient pas de gérer une relation avec un client.
LeMagtIT : Comptez-vous faire des acquisitions pour étendre votre catalogue de services ?
Antoine ShagouryCTO, Kyndryl
Antoine Shagoury : Nous sommes dans une excellente position pour commencer à chercher des entreprises qui complètent notre portefeuille de services. Il y a autant d’opportunités de partenariats, que d’investissements ou d’acquisitions. Mais le vrai sujet est de savoir où se situe la valeur stratégique.
Nous sommes en train de développer de manière très dynamique notre réseau de partenaires parmi les hyperscalers, les fournisseurs de données et les fournisseurs de matériels. Et nous étendons ces conversations aux startups. Notre objectif pour l’heure est de nous assurer que nous avons accès aux bons ingrédients, que nous avons les bonnes capacités pour répondre aux besoins de nos clients. Nous voulons les aider à rester à jour afin qu’ils puissent être plus compétitifs sur leurs marchés. Nous voulons être là pour les aider à adopter de nouvelles technologies, de nouvelles applications, de nouvelles méthodologies, de nouveaux processus automatisés.
LeMagtIT : Cela dit, avez-vous encore les moyens financiers pour faire des acquisitions, ou pour investir dans la R&D autour des nouvelles technologies ?
Antoine Shagoury : Nous sommes suffisamment bien capitalisés pour mener à bien notre stratégie, ce qui est rare pour une entreprise dès le premier jour. Par ailleurs, la recherche sur l’innovation fait partie intégrante de notre ADN grâce à notre lignée avec IBM. C’est donc un domaine dans lequel nous allons continuer à investir.
Mais prudemment, bien entendu : nous n’en sommes pas encore au point de pouvoir aller racheter une entreprise ou une technologie dès qu’un de nos clients en exprime le besoin. En revanche, nous avons suffisamment de moyens pour combler l’écart entre ce dont nos clients disposent actuellement et ce dont ils ont besoin. Ces moyens sont la capacité d’investir dans les personnes et dans la co-création de technologies avec nos partenaires.
LeMagIT : Lors de la présentation des derniers résultats d’IBM, les revenus de l’unité Global Technology Services (aujourd’hui Kyndryl, donc) ont chuté de 5 %, en grande partie parce que les entreprises ont retardé leurs commandes dans l’attente de la scission. Quand recommenceront-elles à vous acheter des services ?
Antoine Shagoury : J’observe que les dépenses des entreprises reprennent, doucement. Mais je pense que les raisons dépassent le sujet que vous évoquez. Que ce soit à cause de la pandémie, ou à cause d’autres influences macroéconomiques et microéconomiques, nombre d’entreprises repensent actuellement leurs stratégies d’investissement. Elles les envisagent désormais plus du point de vue du cloud qu’auparavant. Nous allons assister à une transformation du marché. Dans ce contexte, il est difficile de prédire quand les entreprises se sentiront autant à l’aise qu’avant pour investir.
LeMagtIT : Dans les faits, seule la moitié des entreprises ont lancé des projets de transformation digitale. Quels sont les freins qu’elles rencontrent et quels moyens êtes-vous capables de mettre en œuvre pour les lever ?
Antoine Shagoury : Le principal défi pour les entreprises est que beaucoup de choses se sont accélérées avec les nouvelles technologies. La quantité de solutions a augmenté de façon exponentielle. Au point qu’il n’est plus question de proposer des solutions pour s’ouvrir au cloud, mais d’inciter les entreprises à basculer leur activité principale en cloud.
Antoine ShagouryCTO, Kyndryl
Quand on y pense, l’évolution du marché a en définitive ajouté des obstacles chez nos clients, elle a ralenti les taux d’adoption pour les nouvelles technologies. Les entreprises ont maintenant besoin de trouver des partenaires avec la bonne approche pour les moderniser. C’est là que nous nous positionnons.
Nous avons beaucoup travaillé pour nous organiser en tant que société de services et pour créer un écosystème capable de minimiser la complexité, y compris celle à laquelle sont confrontées les petites et moyennes entreprises.
Notre force est d’avoir recueilli auprès de notre clientèle, de grandes entreprises de premier ordre dans le monde entier, une quantité considérable de métadonnées sur leur mode de fonctionnement et sur la manière dont nous pouvons les aider à se transformer. Elles, comme les plus petites entreprises. Les TPE, les startups, et même les PME se débattent avec toute une série de problèmes, par exemple en ce qui concerne les fournisseurs de services de paiement. Nous avons donc définitivement un rôle à jouer auprès d’elles.
LeMagIT : Mais avez-vous tout le bagage technique nécessaire pour répondre aux enjeux de transformation de vos clients vers des technologies inédites ?
Antoine Shagoury : La modernisation des applications est un domaine dans lequel nous voulons certainement nous développer. Nous investissons dans la formation de notre propre personnel sur ces sujets. Nous avons 65 000 personnes avec les certifications adéquates, et ce chiffre ne cesse d’augmenter.
Nous allons aussi poursuivre cet investissement avec nos partenaires. Certains ne le croiront peut-être pas, mais IBM restera un partenaire solide pour nous. Nous avons une base de clients commune et c’est ensemble que nous continuerons à aider ces clients à naviguer sur la voie de la modernisation des applications.
LeMagIT : Être désormais un prestataire indépendant ne risque-t-il pas au contraire de vous soustraire des marchés acquis à IBM ?
Antoine Shagoury : Il est certain que nous devrons établir notre présence en promouvant nos capacités avec du marketing. Nous sommes en train de créer notre propre marque, nous sommes à un stade où nous voulons vraiment démontrer ce que nous pouvons offrir. Mais je pense que la notoriété de la marque IBM jouera le plus souvent en notre faveur.