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IoT : la fondation Eclipse accueille Oniro, un « projet européen » proposé par Huawei
Le 26 octobre 2021, la fondation Eclipse a annoncé la création d’un groupe de travail. Il sera responsable de l’avancée d’un nouveau projet open source : Oniro. Ce système d’exploitation distribué et consacré à l’IoT a été imaginé à l’origine par Huawei, mais la fondation assure que, sous son égide, l’OS demeurera indépendant, ouvert et « européen ».
Techniquement, Oniro doit s’exécuter sur des appareils de différentes puissances. Il s’appuie sur une architecture double kernel. Un des noyaux est basé sur le projet Yocto, un ensemble de modèles, de méthodes et d’outils pour développer un système embarqué. Cependant, ce kernel est pensé pour animer des équipements « plus performants », comme les ordinateurs monocartes de type Raspberry Pi. Le second kernel, Zephyr, a été imaginé pour fonctionner sur des machines à « ressources contraintes », tels des capteurs ou des contrôleurs de type Arduino, Nucleo, STM32 ou d’autres cartes équipées de puces ARM ou Risc-V. Dans un billet de blog, Mike Milinkovich, président de la fondation Eclipse donne l’exemple de thermostats ou de machines barista connectées. Mais Oniro est également voué à propulser des solutions industrielles, des appareils IIoT et des projets Edge computing.
Des équipements moins dépendants du cloud
Cette approche multikernel et distribuée doit réduire la nécessité pour les appareils de communiquer avec le cloud. Elle serait synonyme d’interopérabilité, selon Mike Milinkovich.
« Habituellement, quand un appareil veut communiquer avec un autre équipement, il lit les données du second dans le cloud pour les afficher ou les utiliser », déclare Gaël Blondelle, vice-président de l’écosystème de développement pour la Fondation Eclipse. « Avec Oniro, les appareils se reconnaîtront, disposeront des mêmes couches de sécurité et feront partie d’un même environnement ».
En clair, dans un scénario grand public, Oniro doit faciliter les échanges de données entre les appareils mieux dotés, comme des ordinateurs ou des télévisions avec des dispositifs légers, tels des montres, voire des boutons connectés. Dans un cas d’usage industriel, il s’agit de faire communiquer des machines directement entre elles et avec les gateways réparties dans une usine. « [Cela] permet de mettre en place des architectures à faible latence, qui sont aussi intrinsèquement plus sûres et privées », écrit le président de la fondation Eclipse.
En matière de sécurité, Oniro met en œuvre un modèle de sécurité « by design ». L’OS est compatible avec les options de secure boot, de stockage sécurisé, de gestion des clés de chiffrement. Il comprend des services d’exécution sécurisés, notamment au moment de réaliser des mises à jour OTA. Pour cela, il s’appuie sur les normes ARM System Ready et des implémentations open source. « OP-TEE et Trusted Firmware fournissent des services tels que le stockage sécurisé, les logs non répudiables, la gestion sécurisée des clés, etc. », précise un porte-parole.
« L’approche de développement, elle, est unifiée », assure Gaël Blondelle.
La fondation a terminé son déménagement à Bruxelles en janvier 2021 et a adopté le statut AISBL (association internationale sans but lucratif), régi par le droit belge. Eclipse se présente désormais comme une fondation européenne à vocation internationale. Son siège bruxellois la rapproche incontestablement des institutions européennes. Du même coup, dans un communiqué de presse, Gaël Blondelle qualifie Oniro de « projet open source européen » alimenté par des contributions internationales.
Oniro différent d’OpenHarmony, mais interopérable
Précisons. Oniro émerge d’un partenariat avec la fondation OpenAtom, une structure chinoise créée en juin 2020 pour porter des projets open source soutenus par Tencent, Huawei, Baidu et Alibaba, entre autres. L’OS s’appuie sur le projet OpenHarmony donné à la fondation OpenAtom par Huawei. OpenHarmony est basée sur LiteOS, et est un élément de la gamme HarmonyOS. Il a été pensé pour alimenter des smartphones, des télévisions connectées, tout comme des appareils moins puissants.
Pour rappel, Huawei s’est rabattu sur ce système d’exploitation afin de propulser ses mobiles après l’interdiction d’accès aux logiciels américains, dont Android, par le gouvernement Trump. Cette politique commerciale agressive mêlant guerre de monopole et soupçons d’espionnage, la COVID, et la nécessité de développer tout un écosystème ont ralenti l’avènement des appareils équipés d’HarmonyOS. Mais Huawei ne baisse pas les bras et pourrait avoir trouvé un relais de ses efforts technologiques auprès de la fondation Eclipse.
« Oniro et le groupe de travail qui l’accompagnent découlent d’une véritable démarche open source. Il ne s’agit pas du projet d’un acteur dominant du marché », défend Gaël Blondelle. « La fondation Eclipse compte l’opérer de façon neutre, transparente, ouverte et méritocratique ».
D’après Gaël Blondelle, Oniro cible « les marchés européens et plus globalement non chinois ». À l’inverse, « OpenHarmony, au sein de la fondation OpenAtom, définit des spécifications et est une implémentation visant le marché chinois. Oniro est une implémentation indépendante des spécifications d’OpenHarmony », affirme Gaël Blondelle.
Oniro sera ainsi compatible avec OpenHarmony, et les applications développées pour les deux OS pourront être interopérables. « Le rôle de la fondation Eclipse est de maintenir l’indépendance d’Oniro. Nous aurons des fonctionnalités spécifiques à Oniro afin de respecter le RGPD, la confidentialité et des standards de sécurité », complète le vice-président.
Gaël BlondelleVP, écosystème developpement, fondation Eclipse
De même, la forge logicielle de la fondation qui accueille Oniro est hébergée sur des serveurs en Suisse. « Nous travaillons à changer cette situation et à héberger les projets de la fondation dans un pays de la communauté européenne », indique Gaël Blondelle.
Pourquoi accueillir un tel projet ? La fondation Eclipse ne veut plus être simplement considérée comme le porteur des technologies Java et prend le virage de l’IoT (le groupe de travail consacré à l’internet des objets vient de fêter ses 10 ans), de l’Edge Computing, et porte les projets liés à l’aérospatial ainsi qu’à l’automobile. En outre, Eclipse incube une quarantaine de projets IoT (donc dit non matures), soit environ 10 % du nombre total des projets hébergés (plus de 400).
Un projet sino-italien porté par Huawei
Selon Gaël Blondelle, le développement d’Oniro aurait démarré il y a près d’un an et rassemble les efforts de la branche européenne de Huawei, de Linaro, une autre association internationale à but non lucratif spécialisé dans le soutien de logiciels open source basé sur Linux et l’architecture ARM, et de SECO, un fabricant italien de modules, de SBC, d’IHM et de gateways IoT.
Ce sont les trois membres fondateurs du groupe de travail, mais Davide Ricci, directeur du centre européen de technologie Open Source du Consumer Business Group de Huawei, précise dans un communiqué de presse que les Italiens Array, NOITechPark et Synesthesia ont signé les premières contributions de code et ont aidé à bâtir l’infrastructure CI/CD basée sur le cloud public nécessaire au développement d’Oniro.
En février 2021, SECO avait annoncé être « le premier partenaire européen » de Huawei à soutenir OpenHarmony. Dans le même communiqué, Huawei affirmait que son centre européen de technologie se consacrait à la promotion d’OpenHarmony en « Europe et au-delà ». La proposition effectuée auprès de la fondation Eclipse semble un moyen pour le fabricant chinois de rassurer les potentiels participants, tout en s’assurant une existence technologique en Europe.
Seulement, Oniro devra se faire une place face aux systèmes embarqués Linux, FreeRTOS et Windows, largement utilisés par les développeurs IoT interrogés par la fondation Eclipse, dans le cadre de son IoT Developer Survey 2020.
La première release d’Oniro devrait être disponible d’ici au premier trimestre 2022. Pour l’instant, le projet est en cours d’évaluation. Il devra respecter les processus et les standards de la fondation Eclipse. L’organisation doit notamment statuer sur l’épineuse question des licences.
De son côté, la couche de développement OpenHarmony est sous licence Apache 2.0, tout comme le projet Zephyr, mais plusieurs dépendances sont protégées par les licences GPLv2 et BSD 3. Oniro devra adopter un modèle similaire et respecter la norme ISO 5230/OpenChain. Eclipse vient de se conformer à ce standard qui spécificie « les exigences clés », pour respecter l’application des licences open source dans une organisation.