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Le logiciel français résilient, mais inquiet pour ses talents
Le panorama 2021 du logiciel français de Numeum et EY montre la résilience du secteur durant la crise. Mais les projets d’embauche et de formation des GAFAM en France préoccupent une industrie qui y voit un début de pillage des talents. À l’inverse du gouvernement qui y voit, lui, un signe d’attractivité du pays.
Crise oblige, l’édition 2020 du Top 250 des éditeurs français avait dû rester confinée à la maison, comme les salariés du secteur. Il est de retour en 2021. Pour ses auteurs – Numeum (fusion de Tech In France et Syntec Numérique) et EY –, l’année 2021 reste globalement un bon cru pour l’industrie logicielle française.
Le chiffre d’affaires global de l’édition atteint 17,9 milliards d’euros, soit une croissance de 9,1 % sur un an. C’est plus donc qu’avant la crise (+7,2 %). Cette progression traduit la forte résilience du secteur durant la pandémie. Une résilience qui s’expliquerait en partie par le poids des abonnements (SaaS) dans le CA des éditeurs, présentés comme un « amortisseur ».
+5 % pour l’édition logicielle sans le Top 3
En 2020, le SaaS représente en moyenne 43 % du chiffre d’affaires du secteur, contre 40 % en 2019. La part du SaaS continue de croître année après année. Chez les nouveaux éditeurs (et les plus petits), cette part des abonnements est encore plus conséquente, car ils tendent à se lancer directement sur ce modèle de contractualisation.
C’est donc le poids des grands éditeurs, plus anciens, en termes de chiffre d’affaires, qui explique que la part du SaaS se situe encore sous la barre des 50 % à l’échelle du marché. Le poids de ces grands éditeurs explique d’ailleurs aussi la forte hausse du secteur (+9,1 %) au cours de l’année passée.
Le Top 3 – Dassault Systemes, Ubisoft et Criteo – est en très forte croissance sur la période. Sans leur contribution, le logiciel français croît à un rythme plus modéré, de l’ordre de 5 %. « Cela reste très élevé dans un contexte de crise », tient néanmoins à noter Jean-Christophe Pernet, associé au sein d’EY.
Quant aux prévisions pour 2021, elles anticipent un net rebond de l’activité avec un retour à un rythme d’avant pandémie. « 56 % des éditeurs du panel anticipent une croissance à 10 % et plus. C’est sensiblement plus élevé que le le CA effectivement réalisé en 2020 », poursuit-il.
Des recrutements en hausse pour 85 % d’éditeurs
Cette dynamique retrouvée se constate également au niveau des perspectives de recrutements en 2021. Dans son panorama Top 250, Numeum précise que 16 700 emplois nets ont été créés entre 2018 et 2020 par les éditeurs « pure players ».
Michel ArtièresPDG d’Ateme
Ces éditeurs sont 85 % à prévoir une augmentation de leurs embauches. Une attitude en cohérence avec la part des éditeurs anticipant des taux de croissance de 10 % à 20 % (26,7 % des entreprises), voire supérieurs (29,7 %).
Ces recrutements devraient notamment étoffer les équipes de R&D des acteurs français, un pôle important. En 2020, la part des effectifs allouée à la R&D atteignait 33,5 %.
Ce chiffre sur l’embauche tend à diminuer avec la taille de l’entreprise. La raison en est simple. Ces éditeurs réalisent une part conséquente, sinon majoritaire, de leur chiffre d’affaires à l’international. Ils disposent donc à ce titre également d’ingénieurs R&D dans des centres étrangers. Mais leurs embauches, pour nourrir l’innovation au cours des prochaines années, pourraient se compliquer.
Des représentants de Numeum voient d’un mauvais œil la dernière annonce de Facebook. Pour créer son metavers, le GAFAM prévoit de recruter 10 000 personnes en Europe. Or, un « des gros atouts des éditeurs français, c’est la qualité de nos ingénieurs », souligne Michel Artières, PDG d’Ateme, prix de l’innovation 2021 (lire l’encadré ci-après).
« Je frissonne lorsque j’entends l’annonce de Facebook, comme lorsque Google ouvrait une chaire IA à Polytechnique. Je ne sais pas si on réalise combien nous nous faisons piller nos talents. C’est catastrophique pour notre industrie », s’inquiète le dirigeant.
Les talents français « pillés » par les GAFAM
Un « vrai sujet », reconnaît Stanislas de Rémur, PDG d’Oodrive, qui cite la multiplication des ouvertures de centres de R&D de géants étrangers du numérique en France. Et la réponse du gouvernement à ces préoccupations ne convainc pas véritablement. Pour Cédric O, il est important de soigner l’attractivité de la France vis-à-vis des investissements étrangers.
Gilles MezariPrésident du conseil des éditeurs de Numeum
Les difficultés de recrutement dans l’IT et les technologies avancées constituent aussi le frein principal à la croissance des startups en France. L’étude Top 250 le confirme puisque 83 % des éditeurs déclarent que les difficultés de recrutement sont un frein à leur développement. La concurrence est féroce.
Et pour attirer les ressources rares, les géants du numérique disposent d’un puissant atout : leur attractivité. Gilles Mezari, président du conseil des éditeurs de Numeum, le reconnaît. « Le problème, en France et en Europe, c’est que nous ne comptons pas assez d’éditeurs charismatiques susceptibles d’attirer les jeunes dès leurs cursus. »
La crise, et le bouleversement des modes de travail qu’elle a généré pourraient cependant fournir une solution à cette problématique. La flexibilité, permise par le travail hybride, a été une réponse pour sa startup, partage Edouard d’Archimbaud, cofondateur et CTO de Kili Technology (prix du Jury 2021).
Le travail à distance permet de recruter partout en France, voire en Europe. « Nous n’avons aucune difficulté à aller chercher des talents », déclare-t-il. Mais pour Stanislas de Rémur, cette réponse n’est pas pleinement satisfaisante, en particulier à long terme. En outre, rien n’interdit aux acteurs étrangers de recourir à la même méthode, étendant la zone de pénurie.
Gagnants des trophées 2021 des éditeurs de logiciels :
- Botify - Prix Croissance SaaS
- Ateme - Prix de l’innovation
- Contentsquare - Prix International
- Plug In Digital - Prix Jeux Vidéo
- Kili Technology - Prix du Jury