Alternatives à Office 365 : la fronde des locaux s’organise
Huit éditeurs français de « Digital Workplace » ont posé les bases d’une alliance inédite face à Microsoft. Ils appellent l’État à ne pas considérer la bataille comme perdue, à aller vers une « politique d’achat », et ils annoncent une « coopération technologique et stratégique ».
Les éditeurs français d’outils collaboratifs et de Digital Workplace ont décidé de prendre les choses en main et de réagir pour ne pas se faire distancer par Microsoft dans le secteur public. Pourtant, avec la nouvelle doctrine « cloud au centre » qui impose les « clouds de confiance » – SecNumCloud et non soumis aux influences du droit américain – tout partait bien. Les nouvelles exigences publiques semblaient taillées sur mesure pour ces acteurs locaux.
Des acteurs locaux pas assez matures pour l’État ?
Oui, mais voilà. Depuis, deux grosses annonces de « cloud de confiance » ont battu en brèche la vision de « souveraineté technologique » au profit d’une stratégie de « souveraineté des données ».
Concrètement, Bleu (Azure managé par Capgemini et Orange), et l’accord entre Google Cloud et Thales donnent l’accès à des salles dédiées au sein des data centers français de Microsoft et de Google, à des « superviseurs français », au travers de sociétés dont les capitaux sont majoritairement français.
Ces offres répondent parfaitement aux critères du cloud de confiance. Elles ont d’ailleurs été très bien accueillies par Bercy, l’ANSSI et le Cigref.
Après tout, il n’y aurait rien à redire à une multiplicité d’options souveraines où cohabiteraient des cloudistes européens (comme OVH et T-Systems) et des clouds américains « européanisés » (pour reprendre l’expression de KPMG). Mais ce qui fâche l’écosystème local serait un état d’esprit, résumé par exemple dans la phrase de conclusion de la lettre de la DINUM aux administrations rappelant qu’Office 365 n’est plus le bienvenu dans les Ministères.
« En l’absence d’urgence [il convient de] différer vos projets de remplacement [d’Office 365] en attendant une amélioration de l’offre disponible sur le marché (N.D.R. : c’est nous qui soulignons) » invitait le directeur de la DINUM, Nadi Bou Hanna.
« Faire savoir que des alternatives existent »
Depuis, la DINUM n’a pas souhaité préciser ses recommandations – qui suscitent également un certain scepticisme dans le milieu open source. Les éditeurs locaux, eux, n’ont pas attendu pour faire savoir poliment, mais fermement, qu’ils n’appréciaient guère qu’on les considère comme des solutions insuffisamment matures ou pas assez ergonomiques pour répondre aux besoins de l’État.
Huit d’entre eux ont donc décidé, ce lundi 18 octobre, de se rapprocher pour parler d’une seule et même voix.
Alain GarnierJamespot
« Après les annonces récentes du “cloud au centre” puis du “bannissement” d’Office 365, nous avons eu l’idée de réunir nos forces pour faire savoir au marché que des alternatives existaient », explique Alain Garnier, président de Jamespot (un des huit acteurs en question). « À nous huit, nous représentons plus de 3 millions d’utilisateurs en France. Cela commence à peser pour ceux qui pensent que “la guerre est perdue” », rappelle-t-il en écho aux propos du Président de la République sur le retard du cloud souverain.
Les huit acteurs de la Digital Workplace qui se sont regroupés autour de cet appel sont Atolia, Jalios, Jamespot, Netframe, Talkspirit, Twake (Linagora), Whaller et WIMI. Auxquels l’on peut ajouter CEO-Vision (éditeur de GoFast) qui a réagi dans le même sens sur LinkedIn.
Passer d’une politique publique d’investissement à une politique publique d’achats
Cette petite dizaine d’acteurs dit trois choses.
La première, donc, est que leurs outils existent. « La doctrine “cloud au centre” peut être mise en œuvre très rapidement, avec un moyen très simple : des solutions françaises […]. Elles sont opérationnelles dès aujourd’hui. Cela fait bientôt un an que l’on entend des discours sur l’importance de créer un cloud souverain. Il faut désormais passer aux actes. », martèle Alain Garnier.
Les huit acteurs de la Digital WorkplaceCommuniqué commun
La deuxième est que ces offres ont des atouts concurrentiels propres : maîtrise totale des données, relation directe avec les dirigeants des éditeurs, collaboration sur le long terme entre clients et fournisseurs, soutien du développement macro-économique local. Et bien sûr, indépendance technologique dans un monde où les alliances géopolitiques sont fluctuantes (comme l’a récemment montré l’affaire des sous-marins australiens).
La troisième, qui découle des deux premières, est qu’il faudrait les acheter. Plus exactement qu’il faudrait passer d’une politique publique d’investissements à une politique publique d’achats. Exactement ce que font les institutions américaines avec le Small Business Act.
« En sa qualité d’État stratège et avec l’aide de la DGE et de Bpifrance (Plan d’Investissement d’Avenir, JEI, Crédit d’Impôt Recherche, etc.), l’État a participé au développement technologique de la plupart de ces solutions de Digital Workplace. Avec cette décision de la DINUM, il existe là un momentum unique où l’État Acheteur pourrait emboîter le pas de l’État Investisseur », avance le communiqué commun. « Les agents de l’État peuvent donc dès à présent choisir ces acteurs dynamiques pour réussir leur transformation digitale dans de courts délais ».
Dans de « courts délais » : c’est-à-dire sans attendre Office 365 en mode Bleu.
Du collectif Play France Digital au partenariat stratégique et technologique
Les freins à la réalisation de cet appel restent cependant nombreux : poids de l’habitude des utilisateurs – qui sont réfractaires au changement (et habitués à Office), poids de Microsoft – y compris au sein des institutions, aversion naturelle des décideurs au risque –, selon l’adage qui dit que « aucun DSI ne s’est fait licencier pour avoir choisi IBM (ou aujourd’hui Microsoft, Google, ou AWS) ». Sans oublier, bien sûr, la qualité objective des solutions qui dominent le marché, à commencer par Office 365.
Alexandre ZapolskyLinagora
Un simple appel et des référentiels locaux (PlayFrance Digital, Solainn, etc.) risquent donc de revenir à crier dans le désert. Et à voir passer, au loin, la caravane Microsoft.
Les partisans d’une plus grande dose d’indépendance IT en ont conscience. Ils promettent, en plus de ces actions de communication, d’agir de manière coordonnée. « [Nous sommes] prêts à développer de nouvelles coopérations technologiques et stratégiques », assurent-ils dans leur communiqué.
Dans un échange avec LeMagIT, Alexandre Zapolsky, le fondateur de Linagora, révèle qu’une « rencontre va avoir lieu [entre] les CEO et les CTO de chaque société pour en parler ».
Alain Garnier de Jamespot confirme. « [Cette déclaration] est la première étape d’autres actions et d’autres alliances à structurer. […] Nous nous étions déjà tous retrouvés dans le collectif Play France Digital […] C’est un mouvement de long terme qui est lancé par les acteurs de l’écosystème numérique [français] pour consolider cet écosystème », résume-t-il. « Nous allons organiser une session de travail sur ces questions ».
« À suivre », concluent de concert (et temporairement) les deux présidents fondateurs.