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Les fermes verticales, des jumeaux numériques en devenir
Selon la startup écossaise Intelligent Growth Solutions, les systèmes IT et OT qui pilotent ses fermes verticales – des exploitations d’intérieur – pourraient aider les agriculteurs conventionnels à adapter les cultures aux changements climatiques, en jouant le rôle de jumeaux numériques.
Début 2020, Capgemini a prédit que, grâce aux progrès technologiques, les fermes verticales deviendraient bientôt une réalité. L’ESN estime que, parce que ces cultures hors sol utilisent peu d’eau (par rapport aux pratiques agricoles traditionnelles) et une combinaison d’éclairage naturel et artificiel, elles peuvent produire des cultures de manière plus durable.
À l’époque, Luc Baardman, expert en innovations numériques de Capgemini, remarquait : « Avec des entreprises telles que Signify et Valoya qui continuent à développer de meilleures solutions d’éclairage, les coûts d’exploitation d’une ferme verticale vont également diminuer. »
L’idée n’est pas nouvelle. Dans les années 1950, les promoteurs du plan Marshall vantaient déjà les mérites des productions hors sols auprès des cultivateurs turcs et algériens.
Intelligent Growth Solutions (IGS) est une startup écossaise fondée en 2013 qui espère fournir une infrastructure IT/OT ayant un avantage immédiat pour les agriculteurs. « La technologie a oublié l’agriculture », considère Dave Scott, directeur technique d’IGS. « Les agriculteurs sont tellement reconnaissants lorsque vous leur donnez quelque chose de simple ».
Dave ScottDirecteur technique, IGS
La seconde information se vérifie aisément. En revanche, la première est fausse. Les fabricants d’engins, les écoles d’ingénieurs, l’industrie agroalimentaire et les exploitants eux-mêmes ont poussé une mécanisation, une robotisation et une informatisation des méthodes agricoles.
Dave Scott a une formation d’ingénieur et affirme qu’il avait l’habitude d’être envoyé dans le monde entier pour réparer des machines lourdes. « Il y a huit ans, on m’a présenté un agriculteur excentrique qui avait une vision incroyable et une idée farfelue. »
IGS est née de cette expérience pratique de l’agriculture et de sa connaissance de l’économie agricole, ainsi que du savoir-faire technologique de Dave Scott. « Son idée était un peu folle : il s’agissait de mettre en place un contrôle et une analyse en temps réel absolu des cultures à un coût dérisoire ».
Mais lorsque le duo a décomposé le problème en blocs de construction, « nous avons atteint 95 % de la vision assez rapidement », affirme-t-il.
Aéroponie et IoT font bon ménage
IGS se concentre sur l’agriculture dans un environnement contrôlé en intérieur. IGS dispose de démonstrateurs grandeur nature, des bâtiments comportant des « tours de croissance » dans laquelle elle développe un système de culture en aéroponie. « La lumière, la nutrition des plantes, l’air, l’accumulation de gaz, le recyclage de l’eau, les conditions météorologiques et la pluie – les combinaisons sont infinies et chaque étape de la croissance des plantes est différente », remarque Dave Scott. « La phytologie est massivement incomprise. Nous appréhendons mieux le fonctionnement d’un poisson que celui d’une plante. »
Selon le CTO d’IGS, dans l’agriculture, les savoirs ne sont pas suffisamment diffusés. « Les agriculteurs ont beaucoup de secrets commerciaux », estime-t-il. « Ils détiennent des pépites d’informations sur les cultures qu’ils font pousser ».
Entendons-nous bien, les connaissances agronomes sont largement partagées, mais maîtriser une culture dans une parcelle donnée réclame d’analyser différents paramètres sur plusieurs années : un microclimat, la richesse du sol, le besoin ou non d’intrants, la présence de nuisibles et de « mauvaises herbes », l’hygrométrie, l’exposition au soleil… Bref, toutes les variables qu’un exploitant agricole prend en comptent sans pour autant documenter son processus. Évidemment, tout cela est bien plus facile à expérimenter dans un environnement contrôlé.
En collaboration avec des phytologues, IGS a mis au point des recettes spécifiques comprenant des variations de paramètres tels que la lumière, l’eau, les nutriments, l’humidité et la température. En modifiant ces paramètres, on peut augmenter le rendement, améliorer la qualité ou prolonger la durée de conservation des légumes, explique Dave Scott. « Nous essayons des choses à la volée ».
Un peu comme un jumeau numérique qui simule une machine industrielle, IGS est capable de changer un ou deux paramètres de la recette et de voir l’effet sur la plante, selon le CTO. « Les combinaisons sont infinies ».
La plupart des machines utilisées par IGS sont alimentées par des automates programmables conçus pour fonctionner pendant de nombreuses années. L’entreprise adapte également des capteurs moins robustes pour des missions spécifiques qui peuvent n’être nécessaires que pendant quelques semaines. « Nous pouvons microgérer ces capteurs dans notre installation à Dundee [une ville écossaise située à 100 km d’Édimbourg, N.D.L.R.] pour améliorer le fonctionnement de nos machines », précise Dave Scott.
Dave ScottDirecteur technique, IGS
En fait, IGS vend une combinaison d’automates pour faire pousser des plantes biologiques et une « recette » basée sur des données traitées depuis une plateforme SaaS pour définir les paramètres spécifiques affectant la croissance des plantes, afin d’obtenir le bon résultat pour ses clients. « Toutes les six semaines, vous bénéficiez de recettes améliorées », vante Dave Scott. « Nous fournissons des améliorations spécifiques aux cultures que vous intégrez via le cloud. Que vous ayez une machine en Antarctique ou en Arabie saoudite, vous obtenez les mêmes rendements. Vous pouvez cultiver n’importe quoi avec un programme qui fonctionne, mais le coût de cette opération est différent. »
IGS scanne les cultures à l’aide de caméras qui capturent des images bidimensionnelles et tridimensionnelles. La startup utilise également des capteurs IoT pour mesurer l’irrigation, l’exposition à la lumière et le taux de nitrates. Les données sont rassemblées dans le cloud Microsoft Azure. Des tableaux de bord sont affichés sur des écrans à l’intérieur des tours de croissance, mais sont aussi accessibles à distance.
Mais les organes vitaux de ces fermes verticales sont les systèmes d’éclairage LED, de ventilation et d’irrigation contrôlés via des processus basés sur des règles. Les plantes sont réparties sur des plateaux automatisés, déplacés plusieurs fois par jour pour les exposer à différents niveaux d’éclairage alimentés avec 1100 LEDs par plateau. D’ailleurs, IGS vend ce système d’éclairage automatisé pour d’autres cas d’usage à travers sa structure Intelligent Grid Solutions.
Des jumeaux numériques pour simuler la croissance des cultures
Pour l’instant, des humains analysent l’impact des modifications apportées aux différents paramètres de croissance des plantes. Selon Dave Scott, la prochaine étape consiste à employer l’intelligence artificielle pour trouver de nouvelles recettes. « Nous voulons que la machine examine les données historiques et suggère les changements que nous devons faire pour obtenir un résultat souhaitable », avance-t-il.
Par exemple, la croissance des plantes peut être étudiée avec la reconnaissance d’images accélérée de Nvidia en utilisant une série d’images enregistrées sur une période de 18 mois. Le machine learning est déjà utilisé pour optimiser le cycle d’éclairage, de ventilation et d’irrigation des différentes plantations.
Il est clair qu’il y a un coût, qui, du moins à court terme, est susceptible de limiter la portée des techniques manipulées par IGS et les entreprises proposant des fermes verticales. Une telle installation peut facilement coûter plusieurs millions d’euros. « Nous n’allons pas nourrir le monde », prévient Dave Scott, mais le CTO voit des opportunités dans des niches spécifiques : « Si nous pouvons cultiver des super aliments avec les bons minéraux, les gens y verraient de la valeur. »
Pour certaines cultures, la distance parcourue par les aliments peut également être un facteur de choix pour une ferme verticale plutôt qu’une exploitation traditionnelle, car des fruits produits dans des environnements contrôlés n’ont pas besoin de parcourir des milliers de kilomètres avant d’arriver dans l’assiette du consommateur.
Ici, IGS cible plus particulièrement une nouvelle population d’exploitant, des agriculteurs urbains. D’autres opportunités existent dans la culture d’ingrédients pour les parfums et pour certains vaccins.
Cependant, d’après Dave Scott, cette ferme verticale et son jumeau numérique pourraient « aider les exploitations agricoles conventionnelles. Les agriculteurs utilisent du diesel rouge en grande quantité », raconte-t-il.
« Cela signifie que cette forme d’agriculture nécessite beaucoup d’énergie. En plus de ces besoins énergétiques, le climat devient de plus en plus extrême. Chaque année, il y a le risque de ne pas pouvoir répondre à la demande des supermarchés, qui ont des conditions commerciales très strictes ».
Bien que cela ne figure pas sur la feuille de route immédiate d’IGS, il existe clairement des possibilités de recourir à l’aéroponie, dans un environnement totalement contrôlé, pour effectuer des simulations fournissant des données qui permettent aux agriculteurs d’améliorer le rendement de leurs récoltes. Il serait également envisageable d’en passer par là pour développer des semis plus résistants, selon Dave Scott.
D’autres acteurs comme l’Israélien CropX, le Français CybeleTech et d’autres conçoivent des solutions IT pour combiner données d’imagerie satellite, informations de capteurs placés dans les champs, de stations météo et modèles algorithmiques, afin de conseiller les agriculteurs dans l’optimisation de leurs rendements.
Pour l’instant, les réalisations pratiques d’IGS se matérialisent dans des contrats avec des sociétés comme Jungle, une startup française qui produit et distribue des aromates ayant poussé hors sol dans les enseignes Monoprix et Intermarché.
Le système d’IGS est capable de produire des légumes à feuilles vertes (choux, salades, brocolis, etc.), des herbes aromatiques et la startup tente de l’adapter pour la culture de pommes de terre, de fraises ou encore de piments forts.