Volvo : un constructeur en route pour devenir éditeur
Volvo compte développer des voitures non plus définies par leurs capacités routières, mais par leurs fonctionnalités logicielles. Nos confrères de Computer Weekly ont pu s’entretenir avec les têtes pensantes de cette stratégie plaçant le développement logiciel au centre de l’expérience automobile.
En juin de cette année, Volvo Cars a exposé ses plans pour repenser la production automobile autour de l’idée d’une plateforme définie par logiciel. Le constructeur prévoit de fabriquer uniquement des véhicules électriques d’ici 2030. Le PDG de l’entreprise, Håkan Samuelsson, estime que d’ici là, au lieu de définir la valeur des véhicules par des composants matériels importants, de plus en plus de fonctionnalités seront fournies par des logiciels.
Pour se préparer à ce changement, la société a formé ses équipes internes et standardise ses développements sur une suite centrale composée de plateformes logicielles et matérielles. Selon Håkan Samuelsson, l’approche traditionnelle consistant à spécifier les composants et à demander à un fournisseur de premier rang de livrer des équipements exécutant des logiciels intégrés n’est plus efficace.
Patrick BengtssonResponsable plateforme logicielle, Volvo Cars
En clair, Volvo développe en interne une plateforme IT centrale et des logiciels. Le PDG pense que ce passage à une voiture définie par logiciel est un changement presque aussi important pour l’industrie que l’adoption du tout électrique.
Lors de l’événement, Patrik Bengtsson, responsable de la plateforme logicielle chez Volvo Cars, a décrit comment de multiples niveaux de transformation conduisent à la numérisation de l’industrie automobile. Selon le dirigeant, les changements à venir induits par les véhicules autonomes, la motorisation électrique et de la connectivité ont un catalyseur commun : le logiciel.
La quantité de logiciels déployés dans les voitures augmente en volume, en complexité et en valeur. Chaque entité de l’industrie automobile sera un jour touchée, transformée ou même perturbée par les logiciels, estime-t-il. Ironiquement, c’est déjà le cas. Rappelons que la plupart des entreprises du secteur, dont Volvo, n’ont pas échappé aux suspicions liées au scandale Dieselgate qui trouve son origine dans une manipulation logicielle, et dont les conséquences motivent encore les constructeurs à adopter l’électrique.
Computer Weekly [propriété de Techtarget, également propriétaire du MagIT] s’est récemment entretenu avec Patrick Bengtsson sur la manière dont la transformation numérique chez Volvo est transposée à la production automobile. « Nous sommes en plein périple », déclare-t-il. « Lorsque nous regardons l’architecture actuelle de la voiture, de plus en plus de fonctionnalités sont pilotées par des logiciels. Dans le passé, les constructeurs automobiles s’appuyaient sur des fournisseurs de premier rang pour livrer ces éléments de nouvelles capacités sous forme de logiciels de type “boîte noire”. À l’exception de Tesla, tous les autres fabricants automobiles procèdent ainsi. »
Les ambitions logicielles de Volvo
L’ambition de Volvo est d’utiliser tous les avantages promis par le software. Au lieu d’être reconnue pour sa suspension ou son type de moteur, une voiture définie par logiciel serait classée en fonction des caractéristiques offertes par son programme, anticipe le responsable.
Patrick Bengtsson, qui a précédemment dirigé le développement des logiciels d’infodivertissement et d’interaction avec le conducteur pour Volvo, affirme que ce travail a ouvert la voie à un avenir défini par logiciel. « En 2017, lorsque nous avons développé le système d’infodivertissement, nous sommes passés à Android », explique-t-il. Cela a représenté une étape majeure pour Volvo, car le constructeur automobile s’était auparavant approvisionné auprès d’un fournisseur de premier rang.
Une voiture Volvo utilise généralement environ 180 calculateurs. Le responsable explique que l’entreprise réduit ce nombre en transférant les modules informatiques les plus fonctionnels dans des composants matériels de base. Le système informatique central, qui sera d’abord introduit sur un SUV modèle Volvo dont la commercialisation est prévue en 2022, comporte trois ordinateurs principaux. Ceux-ci se soutiennent mutuellement pour réaliser les traitements de computer vision et d’intelligence artificielle, l’exécution des processus et l’infodivertissement (ou infotainment). Ces ordinateurs seront propulsés par le SoC Nvidia Drive AGX Orin, tandis que le SUV nouvelle génération sera équipé d’un LiDAR conçu par Luminar. Une autre division de Volvo, Zenseact, développera les technologies logicielles de pilotage automatique.
En principe, cette décision semble confortée par la pénurie de semi-conducteurs qui a fortement touché l’industrie automobile et Volvo. Diminuer le nombre de composants doit permettre de réduire l’impact d’une telle crise, mais Nvidia n’a pas non plus été épargné dans tous les secteurs d’activité.
Un système d’exploitation de systèmes d’exploitation
La prochaine génération de modèles Volvo purement électriques, dont le SUV annoncé pour 2022, embarque le système d’exploitation (OS) maison de Volvo Cars, appelé VolvoCars.OS. Il s’agira d’un système parapluie pour les voitures électriques Volvo, comme l’explique le responsable du programme : « Nous construisons un système et une stack de logiciels en interne pour nous connecter à VolvoCar.OS. La clé est de construire une structure API qui permettra à nos développeurs d’avoir accès à tous les capteurs de la voiture. »
L’objectif est d’incorporer les différents systèmes d’exploitation de l’entreprise à travers la voiture et le cloud, en créant un environnement logiciel OS unique. Les OS sous-jacents comprennent Android Automotive OS, QNX, AutoSar (AUTomotive Open System ARchitecture) et Linux.
Le traitement en temps réel est exécuté sur les organes informatiques principaux de la voiture, mais la connectivité et le cloud sont également utilisés pour fournir des fonctionnalités supplémentaires.
Selon M. Bengtsson, l’approche adoptée par Volvo permettra un développement plus rapide et plus souple et offrira des mises à jour over-the-air plus fréquentes aux véhicules des clients. « L’objectif de l’entreprise est de rendre les voitures Volvo meilleures chaque jour », ajoute-t-il.
Grâce à l’utilisation de simulateurs et d’émulateurs Android et aux capacités internes d’intégration et de déploiement continus, le constructeur compte largement accélérer la publication des mises à jour logicielles.
Un constat partagé par les acteurs de l’industrie
Les équipements déployés dans les voitures Volvo supporteront les actualisations dans le temps, mais ils pourront également être remplacés par des composants plus récents dans de nouveaux véhicules sans affecter le logiciel, promet Patrick Bengtsson. Cette approche est analogue à la façon dont les utilisateurs de smartphones reçoivent des fonctionnalités grâce à des mises à jour du système d’exploitation.
Au cœur de ce paradigme, tous les véhicules profitent de la même architecture IT matérielle et logicielle. La valeur ajoutée vient de l’activation de nouvelles capacités, affirme le dirigeant qui semble fortement inspiré par la stratégie de Tesla.
Par exemple, un client peut acheter l’option d’infodivertissement standard, mais décider ultérieurement d’obtenir une mise à jour pour activer les fonctions de meilleure qualité. De même, une mise à jour over-the-air pourrait être déployée pour améliorer la durée de vie et l’autonomie des batteries des voitures électriques Volvo. Un modèle haut de gamme pourrait déjà disposer de ces fonctions.
D’autres comme BMW, Volkswagen ou Mercedes suivent cette même voie. Stellantis (réunion de PSA et Fiat-Chrysler) a annoncé en mai dernier une joint-venture avec Foxconn pour développer les cockpits connectés, mêlant là encore logiciel et matériel.
De leur côté, les constructeurs français engagés dans la Software République cherchent en parallèle à normaliser la recharge électrique à travers l’Europe, ce qui induit là encore une combinaison de piles logicielles. Concernant la transformation de l’appareil industriel, Renault mise sur les technologies de Google Cloud, alors que BMW et Volkswagen ont choisi AWS. Il faudra tout de même investir massivement dans la fabrication ou l’adaptation d’usines capables de produire les véhicules électriques. Le constructeur suédois s’est rapproché de la startup Northvolt et de Volkswagen pour la fourniture de batteries, tandis que Renault se prépare à « injecter » deux milliards d’euros dans des « gigafactories ».