Cloud souverain : GAIA-X dissipe les confusions (et confirme ses ambitions)
Présence des clouds chinois et américains, comparaison avec Numergy et Cloudwatt, concept abstrait d’espace de données. Les risques de confusions sur GAIA-X ne manquent pas. À l’occasion de sa deuxième plénière, l’association qui pilote le projet les a dissipées dans un échange avec LeMagIT.
Le vendredi 7 mai 2021 se tenait la deuxième session plénière de GAIA-X. À cette occasion, plusieurs porte-parole du projet de cloud européen ont réaffirmé l’ambition du conglomérat et précisé (à nouveau) les points qui pouvaient porter à confusion auprès du « grand public ».
À commencer par la présence des Américains et des Chinois.
Pas qu’un cloud : un « perfect storm »
Le moral est bon au sein de GAIA-X. « Europe is back », lance en rigolant et en anglais dans le texte, Christophe Leblanc, Group Head of Resources and Digital Transformation à la Société Générale.
« Gaia X is a perfect storm », renchérit dans un sourire et toujours en anglais, Hubert Tardieu, ancien conseiller de Thierry Breton chez Atos et Président du Conseil d’administration de l’Association Gaia-X. « Je veux dire par là qu’il y a une attente considérable des acteurs. Il y a beaucoup d’argent. Une opportunité comme celle-là il y en a une tous les 100 ans. Il ne faut pas la rater ! ».
Hubert TardieuPrésident du Conseil d’administration de l’Association Gaia-X
« Il y a des transformations politiques. Le poids des États-Unis et de la Chine doit amener l’Europe à prendre en main la puissance de son écosystème », ajoute Jean Luc Beylat, Président du pôle de compétitivité Systematic Paris-Région. « Et c’est ce que fait GAIA-X »,
Pour lui, le projet de cloud souverain est en phase de décollage. « Ce que je vois six mois après [le lancement officiel de GAIA-X], c’est remarquable ! Et j’ai beaucoup d’expérience d’initiatives », se réjouit-il. « On voit beaucoup d’acteurs se fédérer, de productions, de dynamiques. Cela va forcément produire quelque chose ».
Confusions et clarifications sur GAIA-X
Reste que, « de loin », une certaine confusion peut peser sur ce cloud naissant.
La première, et non des moindres, est qu’il ne s’agit pas d’un cloud souverain. Pas au sens d’un Numergy ou d’un Cloudwatt avec lesquels il est pourtant souvent comparé.
Le projet est plus un annuaire et un agrégateur multicloud, comme nous l’expliquait Servane Augier d’Outscale, membre fondateur de GAIA-X. Le but est de donner une plus grande visibilité aux services (IaaS et PaaS dans un premier temps) qui existent chez les acteurs européens.
Jean Luc Beylat, Systematic Paris-Région
Le but est également de favoriser l’échange et la circulation des données, au sein de secteurs d’activités qui ont des besoins et des logiques d’informations communes – Hubert Tardieu parle « d’écosystèmes » (lire l’encadré) – et cela dans un cadre de confiance.
Ces échanges fluidifiés ne peuvent réellement se faire que dans le cloud et qu’avec une architecture, elle aussi, de confiance.
D’où, le concept d’« espaces de données » qui visent à « écrire une langue commune des données en Europe » dixit Jean Luc Beylat de Systematic Paris-Région, et qui sont au cœur de GAIA-X.
D’où également, un axe de travail très important sur l’interopérabilité des différents clouds, européens ou non européens.
Les 15 espaces de données de GAIA-X
GAIA-X travaille sur 9 écosystèmes européens, des « verticaux de la donnée » pourrait-on dire : Énergie, Aérospatial, Santé, Agriculture, Mobilité, Éducation, Finance, Espace, Écologie (Green Deal).
Six vont les rejoindre : Tourisme, Automobile, Smart Manufacturing, Smart City, Mer et industries créatives.
Américains et Chinois bienvenus, mais sans pouvoir de décision
Ou non européen ? Oui. Et c’est là une autre confusion – peut-être la plus répandue et la plus instrumentalisée par les détracteurs du projet. En accueillant le loup dans la bergerie, GAIA-X serait devenu une coquille vide, un projet torpillé de l’intérieur par les ennemis qu’elle entendait combattre.
Au lancement de GAIA-X, Servane Augier expliquait a contrario au MagIT que le but était de faire venir le plus d’acteurs possible, y compris les hyperscalers. Pour deux grandes raisons.
La première est que, de facto, les offres souveraines européennes ne disposent pas de toutes les briques des clouds américains ou chinois (un point que KPMG a cependant modéré dans un livre blanc sur le cloud européen).
La seconde était de pousser ces acteurs extraeuropéens à adopter les exigences de GAIA-X. À commencer, donc, par rendre leurs clouds interopérables avec les clouds locaux (via des API, des connexions réseau, etc.).
Voire à dissocier leurs stacks, en décorrélant leurs couches logicielles (Office 365 par exemple) de l’infra sous-jacente qu’ils gèrent (comme Azure), entrevoit Christophe Leblanc, de la Société Générale. Un scénario également envisagé par KPMG, et qui s’est récemment incarné dans une collaboration entre OVH et Google.
Mais adhérer à GAIA-X ne dit rien sur la conformité aux exigences de GAIA-X. Ni sur une future labellisation – tranche sans ambages Henri d’Agrain, Délégué général du Cigref. En clair, les acteurs américains et chinois peuvent être à la table des discussions, mais ils n’ont pas de pouvoir de décision. Et ils ne se conformeront peut-être pas – ou pas tous – à ses principes.
Hubert TardieuGAIA-X
« 75 % de l’offre [cloud] vient des GAFA. Ne pas les avoir à bord, condamnerait à être un acteur qui complémente leurs offres, sans avoir le contrôle », confirme Hubert Tardieu en réponse à une question du MagIT sur le sujet. « Nous avons voulu avoir les Google, les Microsoft, les Amazon. Ils sont là, [mais] sans avoir le droit d’être élus au conseil d’administration. Cela n’a pas été facile, mais ils l’ont accepté ».
« Tout l’enjeu maintenant est que les Policy Rules et les Labels que nous allons construire le soient conjointement : par les utilisateurs, par les CSP internationaux (américains et chinois) et par les CSP européens [Cloud Service Providers] », nous explique-t-il.
Futurs membres dormants ou partenaires actifs
Une fois ces bases posées, « la question sera pour eux de savoir s’ils souhaitent – oui ou non – adapter leurs offres à ces labels définis en commun ».
GAIA-X se sent d’autant plus en position de force que la sensibilité aux questions de droits étrangers intrusifs – à commencer par le FISA et le CLOUD Act – semble grandir. Signes de cette prise de conscience, le livre blanc de KPMG, déjà cité, ou le Cigref qui travaille actuellement sur un référentiel de « cloud de confiance ». Ce référentiel s’appuie sur trois piliers : la sécurité, la maîtrise par les clients de leurs dépendances aux fournisseurs, et « l’immunité à l’extraterritorialité de législation extraeuropéenne », insiste Henri d’Agrain.
Si les gros faiseurs internationaux du cloud « s’adaptent, ils garderont certaines parts de marché », entrevoit Hubert Tardieu. Sinon, ils les perdront, laisse-t-il entendre. En tout cas, « ils deviendront des participants dormants à GAIA-X ».
En attendant de savoir si les Google, Alibaba Cloud, Azure et autres AWS deviendront de grands clouds dormants ou des partenaires européanisés (pour reprendre une autre hypothèse de KPMG), l’association GAIA-X travaille sur ses règles.
En amont de cette deuxième plénière, elle avait publié deux documents sur son nouveau site officiel : un sur l’architecture, l’autre sur les Policy Rules. Une « V2 » mise en examen public dont une partie traite justement de la très épineuse question de la portabilité.
Nouveau logo et nouveau site pour GAIA-X
Une autre confusion pourrait rapidement s’ajouter à celles évoquées dans cet article. L’association GAIA-X vient en effet de changer de site Web. Malheureusement, celui-ci n’est absolument pas référencé dans Google.
À savoir donc : la base documentaire de GAIA-X est passée de l’URL www.data-infrastructure.eu/ à l’adresse www.gaia-x.eu/.
Au passage, le projet a changé de logo. L’arbre numérique qui plongeait ses racines dans la terre (Gaia) pour mieux lancer ses branches vers le ciel (le cloud) est remplacé par un carré beaucoup plus conceptuel et abstrait.