Gestion financière : Google passe à SAP et lâche Oracle
La maison mère de Google migre ses applications financières Oracle vers SAP, dans un contexte de procès (Java) et de concurrence (cloud) avec Oracle, et de rapprochement avec SAP entamé en 2017.
Selon le site d’information économique CNBC, Google va changer d’applications financières. D’Oracle, le géant du net et du cloud (et sa maison mère Alphabet) va passer à SAP.
La migration aura lieu en mai. La décision – qui ne concerne pour l’instant que la finance – a été communiquée aux employés par un mail interne. Mais elle a été prise bien amont, le projet ayant demandé de « longs mois de travail », dixit une source citée par le site américain.
Oracle et Google, une histoire de désamour
Le contexte entre Oracle et Google est particulièrement tendu. Même si un porte-parole de Google assure à CNBC que la décision est déconnectée de ce contexte, on peut légitimement en douter.
Tout d’abord, les deux acteurs s’affrontent dans un procès au long cours autour de l’utilisation de Java dans Android. Hasard du calendrier, la Cour Suprême a rendu ce jour un jugement en faveur de Google, jugement qui retourne la précédente décision alors en faveur d’Oracle.
Ensuite, et au-delà d’Android, Google se positionne de plus en plus sur le marché B2B, domaine d’Oracle.
Signe majeur de cette stratégie, en 2018, Google a purement et simplement débauché le Monsieur Produit d’Oracle, Thomas Kurian, qui avait passé plus de vingt ans chez l’éditeur, pour le nommer à la tête de sa filiale cloud (Google Cloud).
L’histoire officieuse dit que Thomas Kurian et Larry Ellison (le fondateur d’Oracle) étaient en désaccord profond. Le premier plaidait pour un Oracle « agnostique » – c’est-à-dire partenaire des hyperscalers pour faire tourner les bases de données et les applications maisons sur les IaaS et les PaaS de Microsoft (Azure), AWS et Google (GCP). Le second refusait catégoriquement cette option – et la refuse encore – à l’exception notable d’un partenariat avec Microsoft. Larry Ellison voit l’hébergement sur une autre infrastructure que la sienne comme un frein au développement de son propre cloud (Oracle Cloud/OCI).
Oracle a par exemple modifié en 2017 les termes de ses licences de sa base, pour décourager ses clients de la faire tourner sur AWS en en multipliant de facto le prix par deux.
Concernant Google, Oracle a toujours refusé de certifier ses bases sur GCP, rappelle CNBC. « Nous ne faisons pas de partenariat avec Google, parce que ce sont des concurrents », tranchait, on ne peut plus clairement, Larry Ellison en 2018 dans un échange avec des analystes financiers.
Visiblement lassé, Thomas Kurian a rejoint… Google.
SAP et Google, une histoire d’amour naissante
À l’inverse, SAP a décidé de ne pas décider. L’éditeur allemand propose son propre cloud. Mais il multiplie aussi les partenariats avec les hyperscalers (une demande très forte des clients si l’on en croit SAP France). Historiquement, SAP est proche de Microsoft. Mais il entretient également de bonnes relations avec AWS, HPE (autour de Greenlake) ou, donc, Google avec qui il a signé un accord de coopération en 2017.
Dernier témoignage en date de cette stratégie d’ouverture à l’opposé de celle d’Oracle, le programme « Rise with SAP » permet aux clients de l’éditeur allemand de choisir, avec l’aide et l’accompagnement de SAP, le cloudiste de son choix (AWS, Azure, IBM, Alibaba, Google) pour héberger sa base in-memory HANA et son ERP de nouvelle génération S/4HANA.
Entre Oracle et SAP, le choix de Google semble assez logique. De son côté, Oracle aime à dire que plusieurs de ses concurrents utilisent ses propres produits pour mieux dénigrer ses adversaires.
En 2019, rappelle CNBC, Larry Ellison affirmait par exemple que les énormes quantités de données indexées par le moteur de recherche de Google étaient gérées par une base Oracle. Idem pour le site e-commerce d’Amazon qui, disait-il, ne pouvait pas tourner sur les bases cloud (DBaaS) d’AWS.
« Notre base est tellement supérieure aux autres que même nos plus gros concurrents l’utilisent pour gérer leurs offres. Salesforce utilise Oracle […]. SAP utilise Oracle pour ses services cloud (et pour presque tous ses clients sur site). Même Amazon utilise Oracle DB pour gérer la plupart de ses activités », affirmait-il en novembre 2018.
Depuis, Amazon a dit adieu à Oracle. Et Google est passé à SAP pour sa gestion financière.
Dans la continuité de cette migration applicative, et suivant l’exemple d’Amazon (qui utilise désormais ses DBaaS), on voit mal Google ne pas penser à s’affranchir des technologies d’un concurrent direct, avec qui il entretient des relations plus que fraîches. Mais entre vouloir et pouvoir, il y a un grand écart que nombre de clients d’Oracle connaissent bien.