Incendie à Strasbourg : plusieurs éditeurs français renouvellent leur confiance à OVHcloud

Les critiques fusent contre OVHcloud chez les clients et les infogérants ayant perdu des données dans l’incendie de Strasbourg. Bien que touchés eux aussi, les éditeurs Jamespot, Talkspirit, Tixeo ou PopCompta soutiennent au contraire le cloudiste. Un débat sur fond de souveraineté de l’IT et de bonnes pratiques de gestion de l’infrastructure dans le monde B2B, à commencer par le PRA.

Les esprits s’échauffent et le débat s’envenime autour de l’incendie du centre de données d’OVH à Strasbourg. Certains qualifient Octave Klaba de « zigue qui passe partout » pour parler de choses et d’autres, mais pas assez de cloud et d’infrastructure. D’autres, comme Stéphane Jambu (consultant en e-commerce et en visibilité, et influenceur revendiquant d’avoir atteint la limite des 30 000 relations sur LinkedIn), vilipendent le manque de sérieux d’OVHcloud (rappelons néanmoins que l’enquête est en cours). Stéphane Jambu se dit même « choqué » par « les experts autoproclamés en hébergement qui disent que les clients n’avaient qu’à faire des sauvegardes redondées par eux-mêmes ».

Un débat houleux

En face, plusieurs voix montent au créneau pour défendre OVH et répondre, parfois également avec véhémence. « Les serveurs qui ont brûlé sont sur une base de responsabilité de gérance. […] C’est en connaissance de cause qu’on doit y souscrire », rétorque par exemple F͏r͏a͏n͏c͏k͏ Gautier de Digitalcorsaire.com. « C’est comme réclamer à Renault de ne pas t’avoir souscrit une assurance conducteur. À un moment, il faut aussi comprendre ce qu’on achète […]  Cet incident révèle aux gens ce qu’est “la gérance d’un serveur”. »

« Pourquoi beaucoup de sites impactés [ne] l’ont été que quelques minutes ? », questionne-t-il ensuite. « Parce qu’ils avaient conscience qu’il fallait mettre un PRA en place », répond-il. « Si vous n’êtes pas foutu de mettre en place un PRA [N.D.R. : Plan de Reprise d’Activité], alors allez souscrire une autre offre, chez un autre hébergeur. Pour moi, OVH est clean dans l’histoire. Ce sont les infogérants incompétents qui se mordent les doigts [et] qui crient au loup ».

Mais pour Stéphane Jambu, la faute est bien chez OVH. Service client critiqué, incendie, certaines sauvegardes faites dans le même bâtiment traduiraient « une médiocrité » d’OVH. L’influenceur voit même poindre une procédure de groupe. « Ils vont prendre cher au tribunal », prévoit-il.

OVH condamné ? Pas si sûr. Les clauses des services d’OVH étaient clairement écrites. Et les options pour assurer une continuité d’exploitation étaient disponibles, rétorquent les défenseurs d’OVH.

« Quand vous hébergez sur OVH, vous avez le choix du site principal et des sites de redondance », rappelle pour sa part Lionel Bardinet, gérant de la société Bardinet, un spécialiste de l’équipement Télécom dans la région de Toulouse. « J’ai un serveur à Roubaix, redondé à Gravelines. Qui est le médiocre ? Celui qui offre cette possibilité ou celui qui ne s’en sert pas ? ».

Entre les deux, plutôt neutre, Alain Mevellec, le directeur général du CRM SaaS Sellsy, pense que « [l’incendie] ne va pas faire de mal à AWS, Google Cloud et Azure… ça, c’est clair ». Plus tranché, Stéphane Jambu évoque, lui, une image dégradée d’OVH à l’international si l’on s’en fie aux réactions sur Twitter.

PopCompta ne blâme pas OVH

Au milieu de ce dialogue tendu où le ton semble monter petit à petit entre les deux camps, plusieurs éditeurs B2B touchés par l’incendie – mais qui ont réussi à maintenir leurs services SaaS à flot – ont officiellement renouvelé leur confiance et leurs soutiens à OVH.

« Notre offre SaaS B2B était hébergée sur ce site [de Strasbourg]. Mais comme nous sommes des ingénieurs, notre architecture hautement disponible était redondée sur plusieurs sites. Nous n’avons subi qu’une interruption de quelques heures, sans perte de données pour nos clients », raconte Vladimir Popesco, président de PopCompta.

« Notre offre SaaS B2B était hébergée à Strasbourg. Mais comme nous sommes des ingénieurs, notre architecture était redondée sur plusieurs sites. »
Vladimir PopescoPopCompta

Ce témoignage vient comme un contrepoint d’une autre startup, spécialiste de la gestion des paiements, de la réservation et des plannings : YoPlanning, qui a perdu les données de ses clients dans l’incendie. Son fondateur, David Grandadam, en fait porter en grande partie la faute à OVH. Il explique notamment que le prix de la sauvegarde multisite du cloudiste français la réserverait aux grandes entreprises et que le RGPD lui interdisait de faire un backup sur site, dans ses locaux.

Chez Popcompta, pourtant, sauvegarde multisites et PRA il y a. « Je viens des télécoms, du monde “cinq neufs” (99,999 % de dispo), alors je crois rêver quand tous ces entrepreneurs et ingénieurs du dimanche constatent leur manque d’anticipation (et donc leur incompétence à réaliser des solutions fiables) et en rejettent la faute sur OVH », assène Vladimir Popesco sans viser YoPlanning.

L’ingénieur, diplômé par ailleurs de Polytechnique, souligne qu’une immense majorité des contrats OVHcloud sont des offres en ligne à moins de 20 € par mois avec des conditions générales de services (CGS) à accepter. « Tout est assez clairement détaillé dans les CGS chez OVH, qui restent assez lisibles… mais personne ne les lit », regrette-t-il. « Quand bien même voudrait-on éduquer ces clients qui cherchent un petit prix pour une ressource qu’ils pensent accessoire, ils s’en fichent… Ce n’est que lorsqu’ils la perdent (comme ici) qu’ils s’aperçoivent que l’accessoire était en fait essentiel ! C’est humain ».

« On peut refuser de s’assurer en faisant le pari qu’il n’y aura pas de souci, se contenter de 95 % au lieu du 99,999 %, mais [alors] on ne blâme pas son assureur ou OVH quand le sinistre arrive », conclut-il.

Jamespot et Talkspirit : soutien total à OVH

Plusieurs autres éditeurs importants dans l’écosystème SaaS français sont sur cette ligne.

Le fondateur du RSE Talkspirit, Philippe Pinault, apporte son soutien aux équipes d’OVH. Il rappelle publiquement qu’il travaille « depuis plus 10 ans avec vous [N.D.R. : OVH]. Et malgré l’écart de taille avec vos compétiteurs américains, vous avez toujours su nous apporter des services de qualité élevée, avec le bon standard de sécurité et une bonne disponibilité ». Le discours tranche avec les critiques sur la qualité d’OVH.

« Nous gardons une totale confiance en Michel Paulin et Octave Klaba pour sortir plus forts de cette épreuve [et créer] les champions européens dont l’Europe a besoin. »
Philippe PinaultTalkspirit

« Nous gardons une totale confiance en Michel Paulin [N.D.R. : président d’OVHcloud] et en Octave Klaba [N.D.R. : fondateur d’OVHcloud] pour sortir plus forts de cette épreuve. Nous restons à vos côtés pour créer avec vous les champions européens dont l’Europe a besoin ».

Le soutien est également entier chez Jamespot, éditeur de Digital Workplace, dont le fondateur, Alain Garnier, est un fervent défenseur de l’écosystème local et de la souveraineté IT européenne.

Environ un tiers des clients de Jamespot ont été touchés par l’incendie des serveurs à Strasbourg.

« Cet incendie est un événement majeur comme on en voit rarement, mais cela fait partie de la réalité », tempère Alain Garnier dans une intervention vidéo. Pour lui, un éditeur est un peu comme un hôte dont « on brûle la maison, mais vos invités doivent pouvoir arriver tranquillement et mettre les pieds sous la table à 20 h ». D’où l’impérieuse nécessité d’avoir des instances dans différents centres de données et un PRA.

Il n’en reste pas moins que la chose n’est pas simple. D’autant plus que depuis plusieurs semaines, Jamespot était en train de changer son infrastructure et de migrer des instances de VM vers Kubernetes. « Un PRA, c’est hard. […] On a migré en deux jours ce que l’on avait prévu de faire en trois mois […] Toutes vos équipes ne font plus que ça, et dans le stress […] Un PRA, tout le monde prie pour ne pas avoir à l’appliquer [mais] bonne nouvelle, on a réussi à sortir tous nos clients. Il y a eu des anicroches, mais c’est la vie. On ne fait pas un déménagement aussi rapide sans quelques problèmes ».

Pour lui, un problème clef de l’industrie numérique vient du fait qu’elle est vue par beaucoup comme totalement virtuelle, presque désincarnée. Mais, rappelle-t-il, « ce ne sont pas des électrons. Ce n’est pas un monde virtuel. C’est très physique. Il ne faut jamais oublier que derrière, il y a de la matière, des câbles, du plastique ».

« [Le numérique et le cloud] ce ne sont pas que des électrons. C’est très physique. Il ne faut jamais oublier que derrière, il y a de la matière, des câbles, du plastique. »
Alain GarnierJamespot

Cette remarque est amplifiée avec le cloud. « Le cloud, c’est des machines et des données avec des logiques de redondance de plus en plus forte jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de risque… sauf qu’il y a toujours un risque. […] Les hyperscalers aussi ont eu des problèmes [par le passé] ». D’où, là encore, l’exigence pour les éditeurs de comprendre et de maîtriser leurs infrastructures, même s’ils les ont mises dans le cloud.

« Il y a une dureté aujourd’hui envers OVH », regrette Alain Garnier. « Moi, j’apporte à nouveau mon soutien à nos amis d’OVH, à toutes leurs équipes pour le travail qu’ils font. Le moment est dur. »

Pour le président de Jamespot, cet incendie apporte aussi son lot de questions pour l’avenir : frugalité des données, niveau de redondance, « mais aussi quel prix on est prêt à mettre… parce que la redondance a un prix. Si je vous dis que vous payez le loyer de deux appartements au cas où vous devez déménager en urgence, cela va vous faire réfléchir. La problématique du coût associé doit être posée ». Y compris pour les clients finaux dont beaucoup sont dans une logique de pure réduction des coûts, sans prendre en compte cette infrastructure, logique qui ne peut être satisfaite « à moins d’accepter le dumping, comme font certains GAFA ».

Beaux joueurs, certains chez Microsoft France – comme Louis-Guillaume Morand – félicitent Jamespot et rappellent qu’une redondance du stockage (qui n’est pas un PRA) n’est pas si chère. « C’est même ce qu’il y a de moins cher, et OVH est LE price-killer sur le marché avec du 0,002 €/Go/mois pour le storage archive. À ce prix-là, pour les données critiques, la partie sauvegarde des données sur Paris ou Roubaix n’est pas si chère. Certes ce n’est pas du PRA, mais pour quelques euros par mois, sauver les données, c’est un must-have », lance Louis-Guillaume Morand.

Tixeo reste sur OVH dans sa logique multicloud

Autre acteur du SaaS français et client d’OVH, Tixeo confirme au MagIT qu’il a aussi été impacté par l’incendie. « Le sinistre a occasionné la perte d’une grande partie de nos serveurs présents sur le site de Strasbourg », confirme au MagIT Renaud Ghia, co-fondateur de la visio ultrasécurisée labellisée par l’ANSSI. « Mais heureusement les conséquences ont été très limitées pour nos clients ».

La recette de cette résilience est la même que pour ses confrères : une infrastructure cloud qui n’est pas localisée sur un seul site géographique et un PRA. « Les serveurs qui permettent la mise à disposition du service Tixeo sont répartis sur différents data centers : Strasbourg, Roubaix, Gravelines et Paris », nous précise le dirigeant. « En cas de problème sur un site, il est ainsi possible d’assurer une continuité du service depuis un autre data center : c’est exactement ce qui s’est passé ».

Dès que l’alerte a été lancée dans le courant de la nuit par OVH, les équipes de Tixeo ont instantanément lancé le Plan de Reprise d’Activité. Les données clients concernées par cet événement et les services associés ont ainsi pu être rapidement restaurés, grâce aux sauvegardes.

« Nous souhaitons renouveler notre confiance à OVH et continuer à travailler avec eux. »
Renaud GhiaTixeo

« Pour la grande majorité de nos clients cloud [N.D.R. : Tixeo est aussi disponible en version à installer sur une infra privée], le service était ainsi opérationnel mercredi matin dès 09h25. Pour quelques clients qui utilisent nos services de cloud infogéré – et compte tenu d’un redémarrage décalé sur certains sites –, la reprise du service n’a été effective qu’à partir de 10h ».

Mais même si les retombées sur l’activité de ses clients ont été très réduites, Tixeo veut apprendre et renforcer encore sa résilience. Comment ? « En accentuant notre stratégie multicloud pour rendre indétectable ce type d’événement par nos clients », répond Renaud Ghia.

L’herbe est-elle plus verte sur Azure ?

La stratégie multicloud de Tixeo passera-t-elle par un Azure ou AWS avec des mesures particulières pour sécuriser les flux ? Non. « Nous souhaitons renouveler notre confiance à OVH et continuer à travailler avec eux », précise Renaud Ghia. « Notre position est claire sur le sujet : il est primordial de soutenir tous les acteurs du numérique français et européen afin de renforcer notre souveraineté numérique ».

En revanche, Tixeo va diversifier ses plateformes souveraines. L’éditeur a déjà commencé en collaborant avec Scaleway qui héberge une partie de ses infrastructures. « Mais nous souhaitons aller encore plus loin dans cette stratégie qui nous apporte un plus haut niveau de résilience », promet Renaud Ghia.

Du côté de YoPlanning en revanche, la confiance est rompue. L’éditeur passe sur Azure pour – avance son président – sa solution qui, elle, est répliquée entre plusieurs datacenters de façon systématique (un point qui n’est peut-être pas si clair que cela).

Tout comme chez Tixeo, l’option n’est pas envisagée un seul instant chez Jamespot. « Les GAFA c’est très cher », lance Alain Garnier sous forme d’avertissement.

Autre argument en faveur d’OVH – ou de ses concurrents souverains : elles sont des infrastructures non soumises à l’extraterritorialité du droit américain. « Si nous n’avons pas basculé sur AWS, GCP ou Azure, ce n’est pas par méconnaissance de leurs offres ni de leur intérêt », répond Alain Garnier à Louis Naugès. L’entrepreneur pourfendeur du cloud souverain – et dont l’histoire personnelle est liée aux clouds publics américains, en premier lieu Google (fondateur de Revevol, la société de conseil sur les Google Apps, et d’une startup hébergée sur GCP) et Microsoft – l’interpellait sur LinkedIn. « Ils sont puissants et techniquement forts. C’est indéniable », concède Alain Garnier. « Mais pour garantir à nos clients un hébergement de confiance [on ne basculera pas] ».

« Je sais que pour toi [N.D.R. : Louis Naugès] – et tu l’as expliqué largement et longuement dans tous tes posts LinkedIn – cela n’en vaut pas la peine. Mais pour nous, c’est un engagement majeur », assène, acerbe, le fondateur de Jamespot. Le feu du débat de la souveraineté couve aussi sous les braises du centre de données d’OVH.

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